Sortie humiliante de la France d’Afrique : Quelles conséquences pour son économie ?

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Sortie humiliante de la France d’Afrique : Quelles conséquences pour son économie ?
Sortie humiliante de la France d’Afrique : Quelles conséquences pour son économie ?

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Burundi. L’ère du prestige français dans l’Afrique postcoloniale s’effondre, même si les liens de Paris avec les capitales du continent africain ne seront probablement pas totalement rompus, malgré tout ce qui s’est passé. Ce que Paris a perdu en Afrique va au-delà des rébellions constatées au Mali, au Burkina Faso et au Niger contre l’hégémonie française traditionnelle. Les sentiments anti-français sont en train de se propager comme une traînée de poudre dans les pays du Sahel et du Sahara et pourraient faire « tomber » d’autres régimes proches de l’Élysée, conduisant à la montée de nouveaux dirigeants anti-français là où les observateurs ne s’attendaient pas.

Les discours hostiles à l’égard de la France se développent rapidement et se nourrissent du poids d’une lourde mémoire coloniale et des frustrations d’une réalité dans laquelle les promesses de développement et de prospérité se sont effondrées, alors que les nouvelles générations à travers les environnements africains ne souhaitent pas conserver les liens de subordination traditionnelle à l’hégémonie française explicite ou insaisissable.

Nous devons admettre que la vague de coups d’État dans certains pays du Sahel et du Sahara est devenue une expérience inspirante pour les dirigeants et les milieux aspirant au changement, et une lecture de la scène sous un certain angle qui peut donner l’impression que ce qui se passe est une sorte de « Printemps africain », à l’instar du ‘Printemps arabe’, qui attise la colère des milieux populaires dans d’autres pays, comme on l’a observé au Sénégal par exemple.

Nous nous trouvons donc face à une influence française qui se trouve confrontée à des problèmes croissants avec la tendance indépendantiste des pays pauvres et en développement dans la gestion des relations extérieures dans un monde multipolaire. Les capitales africaines ont des options plus larges que d’être pointées du doigt pour une dépendance unilatérale à l’égard de la France, car Paris n’est plus seul maître de la situation sur le Continent africain, comme le montre clairement les pays du Maghreb qui ont redessiné ces dernières années leurs relations avec la France selon de nouvelles règles.

« La France doit partir ! »

Il s’agit là d’une obsession devenue un slogan humiliant qui hante Paris aux yeux du monde dans plusieurs de ses fiefs africains.

Force est donc de constater que les responsables français perdent toute certitude quant à l’avenir de leur influence établie sur le continent, autour duquel les ambitions rivalisent et dont les évolutions successives attirent l’attention internationale.

Ainsi, pense-t-on, ces évolutions ont conduit Paris à recourir à un discours défensif inédit, parfois déroutant, pour parer aux accusations croissantes d’exploitation déloyale des richesses africaines, comme cela s’est produit récemment à propos des « ressources en or et en uranium du Niger ». Il fallait donc que Paris émerge pour apporter des éclaircissements sur des dossiers qu’il avait cachés à l’abri des projecteurs du monde, ou peut-être que certains d’entre eux étaient considérés comme « tabous » pour la France.

D’autant plus que Paris ne peut plus compter sur sa profonde influence sur les élites politiques, culturelles et médiatiques de l’espace africain francophone, car les élites traditionnelles liées à la France s’érodent avec l’émergence de « nouvelles générations qui ont appris l’anglais » et regardent le monde de manière plus indépendante que leurs prédécesseurs. Une tendance rebelle contre les effets des relations postcoloniales injustes se répand de plus en plus dans les cercles universitaires, culturels et artistiques africains, et ce qui renforce cette tendance est une tendance croissante à déterrer les dossiers d’un passé que Paris évite d’en rendre des comptes.

Ce qui est presque certain, c’est que la France n’abandonnera pas si facilement ses réseaux d’intérêts postcoloniaux, mais ses « bons moments » se durcissent véritablement et ses inquiétudes profondément enracinées prennent de l’ampleur. Les développements au Sahel et au Sahara ces dernières années ont placé les relations traditionnelles d’assujettissement de la France au centre de l’attention africaine et mondiale.

Vers un réel éveil de conscience africain

Le coup d’État de Niamey et ceux qui l’ont précédé dans les capitales africaines ont révélé des aspects des relations franco-européennes bénéfiques pour les ressources africaines. La réalité qui est clairement visible est que les pays sont coincés dans les profondeurs de la pauvreté et de la misère, selon une étude mondiale, et les indicateurs, sont encore, plus d’un demi-siècle après les déclarations d’indépendance, généreux envers la France.

D’autres pays industrialisés ont d’énormes exportations de métaux précieux, mais ils n’ont pas de réelle souveraineté sur leur économie et leurs ressources ni même sur leur monnaie nationale et les réserves de leur banque centrale.

Ce sont des pays africains qui poussent leurs jeunes, désespérés de leur fortune dans leur pays, à affronter la mort sur les eaux de la Méditerranée à la recherche des promesses de vie en Europe. Certains de ces jeunes risquent de se noyer, se faire emprisonner, notamment dans des centres de détention de masse, ou travailler dans des conditions d’exploitation en marge sociale et opérationnelle, comme dans « Les champs de l’Europe du Sud » qui vivent du nouvel esclavage du travail. Des dessins satiriques représentaient les contradictions de la scène se déplaçant sur les vagues de la Méditerranée, autour de navires géants transportant de précieuses ressources africaines vers le nord, des bateaux branlants vacillent avec de jeunes Africains misérables qui cherchent la même destination et ne réussiront peut-être pas à l’atteindre vivants.

Donc nous pouvons affirmer qu’il n’y a aucune exagération dans l’affirmation selon laquelle la réalité économique et sociale établie par les relations postcoloniales porte une part importante de responsabilité dans l’émergence de poches de rébellion armée contre des gouvernements nationaux qui n’ont pas donné à leurs jeunes une chance de vivre décemment et les ont laissés se confronter aux options de la pauvreté, de l’immigration ou de l’adhésion à des groupes armés qui gèrent des réseaux d’intérêts alternatifs.

L’impardonnable, c’est le fait que Paris n’a pas usé de son influence pour sortir les pays africains dépendants de cette réalité chronique, puis est réapparu militairement à travers la fenêtre de crises et de contradictions que dégage cette réalité, sans ébranler les foyers de rébellion armée qui traversent la région après de nombreuses années d’interventions.

Les développements au Sahel et au Sahara remettent ainsi la France face à ses dilemmes en Afrique, et il ne semble pas que le moment de la nouvelle sortie du continent soit susceptible de déclencher des critiques sérieuses et profondes, au sein de la France, à l’égard des fardeaux du passé, des complexités du présent et des préoccupations de l’avenir.

De facto, la concurrence américaine, chinoise et russe a fait sentir sa présence dans des régions d’Afrique traditionnellement monopolisées par l’influence française, et il existe des options européennes concurrentes ou alternatives qui cherchent également à pénétrer profondément en Afrique, comme l’Italie, qui est en train d’organiser les questions d’immigration et d’énergie, ou encore le géant économique allemand qui, à sa manière discrète, veille à ses intérêts.

Retour sur les causes de l’humiliante défaite française au Niger

Les secrets de cette humiliante défaite française au Niger, après celles survenues au Burkina Faso et au Mali, constituent l’obsession des observateurs et analystes en France et à l’étranger, et ce sont des secrets qui peuvent se résumer ainsi :

• Le rôle algérien

La position stricte de l’Algérie en rejetant l’intervention militaire au Niger constitue la pierre angulaire de toutes les analyses approfondies de la défaite de la France au Niger, car elle a été le premier pays de la région à déclarer ouvertement et publiquement son opposition à l’intervention militaire française ou autre dans ce qui se passe au Niger, elle n’était cependant pas satisfaite de la position politique, c’est clair, mais sa traduction en actions sur le terrain a obligé la France à reconsidérer complètement ses calculs.

• La position américaine

La position américaine, qui semblait à première vue totalement incompatible avec la position française, est l’un des principaux secrets de la défaite française au Niger, le Département d’État américain puis le Pentagone ayant exprimé une préférence pour l’option politique plutôt que militaire.

Il est clair que Washington aurait reçu de Niamey des garanties que les intérêts américains au Niger ne seraient pas lésés, et que les forces américaines présentes dans ce pays ne se soucieraient pas de l’expulsion comme cela a été pour les forces françaises, ce qui a poussé l’Amérique à abandonner Paris seul, face à son sort.

• La marche arrière des pays de la « CEDEAO »

L’autre revers de la médaille, serait la marche arrière constatée au sein des pays membres de la CEDEAO quant à leurs menaces d’intervention militaire, leur retrait clair des avertissements et l’approche de l’heure de la décision et de l’intervention, qui auraient également joué un rôle dans la révélation de la France et dans la reconnaissance de la défaite de Paris, ainsi que toute sa pression sur la Communauté économique.

L’Afrique de l’Ouest n’a pas réussi à entraîner ces pays dans la guerre en son nom, notamment en ce qui concerne le changement de position, sachant que de nombreuses raisons se sont conjuguées et qui ont contraint la CEDEAO à changer de position sur le coup d’État au Niger et à annuler la carte d’intervention militaire.

• Le rejet populaire et l’échec des manœuvres françaises

Le rejet populaire généralisé au Niger, comme dans le reste des pays de l’Ouest du continent, de la présence française sur place, en raison de l’exploitation scandaleuse des révolutions poursuivies par l’ancienne puissance coloniale, est également un facteur important d’éloigner l’influence française et contrecarrer ses projets jugés malveillants, car la conscience populaire au Niger s’est considérablement accrue du danger de s’appuyer sur la France contre le terrorisme, parce que, semble-t-il, c’est elle qui le crée pour semer la terreur parmi les habitants de la région, comme en témoigne le fait qu’elle s’était empressée de libérer un grand nombre des terroristes qu’elle détenait, et une fois libérés ils ont lancé des opérations terroristes au Niger et au Mali.

Il semble également que les peuples de la région ont compris que les forces françaises sont « un précurseur du pillage de l’uranium, de l’or, du pétrole et d’autres richesses », et que la dépendance économique et sécuritaire continue à l’égard de la France signifie la poursuite de leurs souffrances éternelles, qui ont nécessairement conduit à un état de rassemblement populaire autour des « putschistes » qui ont été considérés comme des « sauveurs loyaux », ce qui les a encouragés à se dresser contre la France, à ne pas céder à ses menaces et à sentir que le peuple était avec eux.

Tout cela a conduit donc à l’échec de toutes les manœuvres françaises dévoilées, depuis la tentative d’utiliser la carte terroriste pour attaquer la stabilité du pays, par des menaces directes, et en utilisant la carte de la légitimité représentée par le président Bazoum, jusqu’à la tentative d’exploiter son propre ambassadeur à Niamey, en refusant de le retirer après que les autorités nigériennes le lui ont notifié.

La France vers la perte des grands avantages qu’elle avait acquis au Niger

La France aurait accepté à contrecœur de retirer ses forces militaires du Niger, au moins partiellement. Pour Paris, il ne s’agit pas seulement d’une défaite politique, mais aussi d’une défaite économique, du fait qu’il s’avère que pendant de nombreuses années, la France a obtenu de l’uranium d’Afrique pour presque rien.

Il semble donc que les nouvelles autorités nigériennes ont des raisons de croire que les contrats ont été conclus d’une manière qui a fait perdre beaucoup d’argent au Niger. Par exemple, rien qu’en 2010, le Niger a exporté pour 3,5 milliards d’euros d’uranium vers la France (aux prix mondiaux), mais n’a reçu en retour que la bagatelle de 459 millions d’euros pour ces exportations.

C’est pour cette raison que la réaction de la France au changement de pouvoir au Niger a été très amère. Le problème ici n’est pas qu’il n’y a nulle part où acheter de l’uranium, à part le Niger (il y a effectivement de l’uranium sur le marché mondial), mais que la France sera de facto privée d’uranium « quasi gratuit », qui est aussi d’importance stratégique. Il y a une très, très grande différence entre payer le plein prix et payer un prix sept fois inférieur. En d’autres termes, le bien-être énergétique de la France dépendait de l’uranium nigérien acquis presque pour rien, dont il est désormais clair qu’elle en sera privée.

Au vu de ce qui a été noté précédemment, apparemment, les médias français auraient commencé à préparer la société au fait que l’armée française quittait un autre point d’Afrique, et qu’en plus de ce qu’elle a déjà perdu (essentiellement le Mali et le Burkina Faso), la France perd aussi le Niger.

Tout cela serait dû à l’arrogance coloniale et à l’inflexibilité diplomatique, et notamment à la faiblesse du travail de renseignement, car chaque coup d’État militaire tombe toujours comme neige sur la tête de la France, et elle y réagit tardivement, perdant du temps et essayant de rattraper le train qui est parti, mais il sera trop tard.

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