Zéro corruption dans les marchés publics : une utopie ?

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Zéro corruption dans les marchés publics : une utopie ?
Zéro corruption dans les marchés publics : une utopie ?

Africa-Press – Burundi. Bien que l’Etat ait décidé d’impliquer le secteur privé dans la lutte contre la corruption dans le secteur des marchés publics, la balle est toujours dans son camp. L’Etat n’a pas mis en place tous les garde-fous exigés par la récente loi des marchés publics. Analyse

L’exécutif n’y va pas de main morte pour sévir les fonctionnaires corrompus limogés : « Afin de protéger les intérêts de l’État, les sociétés privées qui ont engagé des personnes ayant été destituées, licenciées, démises ou limogées de leurs fonctions par l’État pour manquements graves portant atteinte à l’économie nationale, doivent résilier sans délai leurs contrats, si elles souhaitent maintenir leur partenariat avec l’Etat.», lit-on dans le compte-rendu du conseil des ministres

Selon l’Etat, certains fonctionnaires corrompus ont été limogés. Néanmoins, l’Etat a constaté que ses ex-employés ont été recrutés par les entreprises privées exécutantes des marchés publics. Cela est, aux yeux du gouvernement, une rétribution pour les services que ces employées infidèles ont offert à ces entreprises. Voilà pourquoi, l’Exécutif veut sévir.

A mon humble avis, cette fameuse rétribution des fonctionnaires corrompus n’est que la partie visible de l’iceberg. Le secteur du marché public est gangrené par la corruption et le détournement.

Les préalables ne sont pas connus…Cependant, avant d’embarquer le secteur privé dans la répression des fonctionnaires corrompus, l’Etat devrait d’abord corriger les faiblesses qui poussent à la corruption. Il faut d’abord mettre en application au moins les préalables exigés par la loi pour que les marchés publics soient attribués, exécutés et contrôlés en toute transparence.

Depuis 2018, l’année de la promulgation d’une nouvelle loi des marchés publics, il s’observe toujours la corruption dans le secteur des marchés publics. Comment expliquer que l’autorité de régulation de marchés publics a publié uniquement sur son site web 26 sur 155 plans prévisionnels de passation des marchés pour l’exercice 2021-2022 ? Or, depuis 2018, la loi prévoit la mise en place d’un journal officiel des marchés publics où tous les appels d’offres sont publiés. Pourquoi, plus de 5 ans après la promulgation de la loi qui impose la publication des plans prévisionnels annuels, cette pratique de transparence des marchés publics n’est-elle pas encore ancrée dans les habitudes des institutions publiques ?

Auditeur indépendant, une pierre angulaire ignoréeEn outre, cette loi prévoit que l’autorité de régulation recrute un audit indépendant afin de contrôler les marchés exécutés. Néanmoins, depuis 2018, aucun auditeur indépendant n’a évalué les marchés publics réalisés. La liste est longue, nous vous épargnons l’absence des garanties de bonne exécution ou les mains levées de ces garanties dans les dossiers, ou encore de nombreux contrats attribués en dehors de la période de validité de l’offre, sans oublier l’absence de pièces de paiement dans l’archivage de marchés, ou bien les pénalités de retard qui ne sont pas payées malgré des retards constatés dans l’exécution des marchés…

Nous pouvons continuer à épiloguer et à nous questionner sur d’autres faits, mais la liste serait trop longue. Le tableau que nous venons de brosser est affligeant. La corruption, le détournement, les conflits d’intérêt dans les marchés publics sont monnaie courante. Tout le monde le sait, mais personne n’ose les dénoncer.

Quelques méthodes frauduleusesMalgré la loi et les contrôles, un certain nombre de marchés publics enregistrent pas mal de fraudes. Ces dernières sont difficilement décelables par des contrôleurs non avertis, car elles prennent souvent l’allure de marchés réglementaires et sont la conséquence de la volonté délibérée des fonctionnaires.

Par exemple, lorsqu’un chef d’une institution publique veut absolument qu’un marché soit pris par une entreprise de son choix, les textes réglementaires sont là pour lui venir en aide. Plusieurs techniques sont possibles.

Lorsque l’ouvrage est compliqué, il peut soumettre le dossier d’appel d’offres à son ami, quelques mois avant la publication de l’appel d’offres. D’autres candidats n’ont qu’une quinzaine de jours, le minimum de délai légal pour étudier le dossier. Cette technique permet d’éliminer facilement les soumissionnaires qui auraient pu faire de l’ombre à la société élue.

Une deuxième méthode frauduleuse, très simple et très performante de surcroît, consiste à manipuler les quantités à fournir ou la description des ouvrages. Et là encore, tout est possible : le responsable ajoute sur la commande des ouvrages qui ne seront pas exécutés ou fournis ainsi que des descriptions de prestations très coûteuses. La société élue, elle, détient toutes les ficelles et pourra adapter ses prix en les baissant fortement pour ces ouvrages ou fournitures, ce qui fera de lui le moins-disant.

La surfacturation, une termite qui ronge nos caissesSelon le communique du conseil de ministre, la surfacturation est une autre manœuvre frauduleuse utilisée par les gestionnaires des marchés publics pour détourner l’argent.

Au moins deux voies sont viables pour comprendre ce phénomène. La surfacturation résulte de la complicité entre le chef d’un marché public et la société qui exécute ledit marché. Voici, le mode opératoire de surfacturation.

Dans un premier temps, la société exécutante du marché et le chef du marché se mettent préalablement d’accord de surfacturer. La première surfacture le service rendu ou une prestation en passe de l’être. Et le second la paie ou la fait payer.

Dans un second temps, la société rétrocède au chef du marché, éventuellement en liquide ou en nature, ce qui correspond au trop-perçu. Tout dépend des termes de l’accord éminemment secret.

Pour conclure notre analyse, la corruption, nul ne l’ignore, est un fléau qui ronge le Burundi. Si elle n’est pas efficacement combattue, les conséquences économiques peuvent être désastreuses. L’argent sale issu de la corruption contribue à renchérir le coût de la vie et à altérer les lois du marché. Il affecte des vies, hypothèque l’avenir de notre économie, nuit au climat des affaires, fait fuir les investisseurs, et pour citer la formule de l’ancien président français, François Mitterrand « l’argent qui corrompt, l’argent qui achète, l’argent qui ruine, l’argent qui pourrit jusqu’à la conscience des hommes ».

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