
Hervé Mugisha
Africa-Press – Burundi. Une croissance économique prévue de 4,3%, l’inflation qui devrait chuter à 22%, le différentiel du taux de change entre le marché officiel et parallèle qui continue à être abyssal, malgré les réformes en cours, l’indépendance de la BRB, la 2ème tranche de la FEC (Facilité de crédit élargie) qui peine à être décaissée, etc. Samuel Delepierre fait le tour d’horizon de l’actualité économique de l’heure.
En visite au Burundi du 11 au 21 janvier, la délégation du Fonds Monétaire International (FMI) se disait satisfaite du pas franchi par le gouvernement dans la mise en œuvre des réformes. Bientôt trois mois après, quelles observations faites-vous ?
Effectivement, lors de la dernière mission en janvier 2024, l’équipe FMI a souligné que les mesures d’ajustement de politiques récemment adoptées, notamment l’ajustement budgétaire dans le cadre du budget révisé 2023/24, le resserrement de la politique monétaire entrepris depuis 2022 et la libéralisation du marché des changes, devraient soutenir la viabilité macroéconomique.
Depuis lors, la BRB a de nouveau resserré la politique monétaire en rehaussant le taux directeur et en réduisant la période de constitution des réserves obligatoires. L’objectif de ces mesures, c’est de contribuer à contenir l’inflation. Quant aux secteur budgétaire et fiscal, les dernières données à notre disposition semblent témoigner de performances satisfaisantes en termes de recettes. Toutefois, les déséquilibres extérieurs persistent, comme en témoignent par ricochet, les écarts de taux de change officiel et parallèle.
D’après les conclusions de ladite visite, la croissance économique devrait atteindre 4,3% et l’inflation chuterait à 22%. Au vu de la conjoncture socio-économique, des projections réalistes ?
A ce stade, nous n’avons pas révisé nos projections macroéconomiques établies à l’issue de la mission de janvier. Cependant, les dernières données de l’inflation publiées par l’INSBU (Institut National de la Statistique au Burundi) confirment la tendance baissière de l’inflation entamée depuis mi-2023. A mesure que les données de croissance économique et d’inflation seront disponibles au cours de l’année et en fonction de l’évolution de la conjoncture, le FMI ajustera si besoin ses prévisions en conséquence.
Parmi les objectifs de la récente révision de la loi budgétaire, il y a cette volonté d’accélérer la mise en œuvre des réformes économiques. Une quête atteignable ? -Est-ce une bonne chose d’autant que parmi les effets induits de cette révision, il y a la pression fiscale ?
Compte tenu la nécessité de réduire les déséquilibres économiques intérieurs et extérieurs, la réduction du déficit public dans le cadre de la révision budgétaire 2023/24 est opportune. Il revient au gouvernement de mettre en œuvre cet effort d’ajustement budgétaire tout en portant une attention particulière à son rythme et à sa composition, pour en minimiser l’impact sur la population et le secteur privé. C’est cela l’enjeu.
Est-ce de bon augure que la mission d’évaluation du FMI ne soit pas encore venue, alors qu’en principe l’évaluation doit se fait tous les 6 mois ?
La mission de janvier 2024 visait à évaluer la première revue du programme soutenu par la FEC approuvée par le conseil d’administration du FMI, en juillet 2023.
La prochaine mission devrait avoir lieu dans le cadre de l’évaluation de la deuxième revue, l’occasion aussi de faire le point sur la situation économique. A ce jour, aucune date n’a été arrêtée. Sur ces deux points, le FMI et les autorités continuent de travailler.
Pourquoi la 2ème tranche de la FEC (Facilité de crédit élargie) peine à être décaissée ?
La mission d’évaluation de la première revue du programme soutenu par la FEC était à Bujumbura au mois de janvier, les discussions ont continué à distance par la suite et devraient se poursuivre lors des assemblées de printemps du FMI et de la Banque mondiale, en avril à Washington. Certains points de politique économique sont encore en discussion. Lorsqu’un accord sera trouvé, nous pourrons communiquer.
Lors de la rencontre avec les investisseurs dans le secteur du tourisme, le président de la République a laissé entrevoir les éventualités que le pays tombe en faillite. Une éventualité à redouter ?
En ce qui concerne la situation budgétaire et de la dette publique, la dernière analyse de viabilité de la dette publique (effectuée conjointement avec la Banque mondiale) conclut que la dette publique du Burundi est soutenable mais à un niveau de risque de surendettement élevé. C’est pour cela que le FMI recommande la poursuite d’une politique budgétaire prudente dans le cadre du programme soutenu par la FEC.
Le différentiel du taux de change qui continue à être abyssal, malgré les réformes en cours (la dévaluation du FBU, etc.) Qu’est-ce doit être fait ?
La situation du Burundi n’est pas unique en Afrique, d’autres pays connaissent un marché de changes parallèle et une pénurie de devises. A la lumière des expériences de reformes dans d’autres pays, mais en tenant compte du contexte spécifique du Burundi, les mesures et les reformes à mettre en œuvre sont bien identifiées.
La dépréciation continue du taux de change parallèle reflète les déséquilibres macroéconomiques du pays, notamment la faible couverture des importations par les exportations et la faiblesse des flux entrants de devises.
De surcroît, la coexistence de deux taux de changes (parallèle et officiel) renforce encore davantage le manque de devises, puisque cette situation est très désincitative pour les exportateurs et les investisseurs étrangers.
L’économie se trouve dans une forme de cercle vicieux qui pourrait être enrayé par des reformes adéquates.
Concrètement ?
Pour cela, plusieurs réformes sur le marché de changes pourraient être mises en œuvre: (i) la poursuite de la libéralisation du marché des change déjà engagée, notamment l’autorisation donnée aux bureaux de changes et aux banques de pratiquer un taux de change librement déterminé, (ii) l’ajustement du taux de change officiel, (iii) la flexibilisation du régime de change pour permettre au taux de change de fluctuer pour refléter les fondamentaux économiques.
Des mesures peuvent être mises en place pour accompagner ces réformes, comme l’adoption d’un policy-mix (politiques budgétaire et monétaire) prudent et cohérent.
Les précédentes missions des délégations du FMI, ont sans cesse insisté sur « l’indépendance de la banque centrale ». La trouvez-vous maintenant exempte de toute ingérence extérieure ?
La mission de la BRB est « le maintien de la stabilité monétaire et la poursuite d’une politique de crédit et du change propice au développement harmonieux de l’économie du pays ». A cette fin, la BRB définit et met en œuvre la politique monétaire et de change. L’indépendance de la banque centrale est un élément important pour lui permettre d’atteindre ces objectifs.
J’en profite pour partager un article récent de notre Directrice générale sur l’importance de « Renforcer l’indépendance des banques centrales pour protéger l’économie mondiale ».
Nombreux analystes insistent sur les problèmes de dysfonctionnement institutionnel. Votre analyse.
C’est en effet un enjeu central du développement du Burundi, et un élément régulièrement mis en évidence dans les différentes analyses et rapports d’évaluation.
Les analyses des capacités institutionnelles conduites par le FMI et les autres partenaires au développement se font généralement à travers des missions spécifiques de diagnostic.
Récemment, l’évaluation PEFA (Public Expenditure and Financial Accountability) sur la gestion des finances publiques a été finalisée et publiée. Le FMI envisage également d’appuyer le gouvernement en conduisant courant 2024 un diagnostic de la gouvernance.
De manière plus importante, l’amélioration des capacités institutionnelles de l’Etat est un des objectifs de la « Vision Burundi Pays Emergents en 2040, Pays Développé 2060 » du Chef de l’Etat.
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