Burundi : pourquoi Évariste Ndayishimiye a nommé un nouveau Premier ministre

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Burundi : pourquoi Évariste Ndayishimiye a nommé un nouveau Premier ministre
Burundi : pourquoi Évariste Ndayishimiye a nommé un nouveau Premier ministre

Africa-Press – Burundi. À défaut d’un coup d’État, dont le président Évariste Ndayishimiye disait se méfier le 2 septembre, c’est un véritable coup de tonnerre qui vient de secouer Gitega et le microcosme du pouvoir burundais. En annonçant au matin du 7 septembre le limogeage de son Premier ministre, Alain-Guillaume Bunyoni, le chef de l’État burundais a surpris son monde.

L’ancien général a fait preuve d’un sens tactique très militaire pour se débarrasser de celui qui était considéré comme son plus sérieux rival depuis son accession au pouvoir en mai 2020, en ne mettant que quelques heures pour réussir une opération, semble-t-il, parfaitement préparée. L’ensemble des parlementaires burundais a ainsi reçu un message, tard dans la nuit du 6 septembre, leur demandant de se présenter dès 8 h 30 au palais de Kigobe, sans plus de précision. Ce n’est qu’une fois sur place, qu’ils apprennent qu’ils ont été convoqués pour entériner la décision du chef de l’État de remplacer son Premier ministre.

Le décret est alors très vite approuvé à l’unanimité et à main levée par les 113 parlementaires, avant d’être dans la foulée validé, là encore à l’unanimité, par le Sénat. La présidence pouvait donc officialiser en tout début d’après-midi, dans un communiqué des plus lapidaire, la nomination à la primature de Gervais Ndirakobuca, qui dans l’heure prêtait serment devant le président et l’ensemble des deux chambres parlementaires réunies.

Aile dure

Si la stupéfaction semble avoir été totale sur le moment, la décision d’Évariste Ndayishimiye était pourtant attendue depuis longtemps, tant le fossé entre le chef de l’État et son chef de gouvernement allait en s’élargissant au fil des mois. Pour beaucoup d’observateurs burundais et étrangers, Alain-Guillaume Bunyoni, plus haut gradé de la police et homme fort de l’appareil sécuritaire burundais pendant près de quinze ans, avait été placé à la Primature pour maintenir sous une surveillance étroite le président Ndayishimiye, au nom de la frange la plus dure du Conseil national de la défense pour la démocratie – Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD, au pouvoir). Les deux hommes ont plusieurs fois eu l’occasion d’afficher leur désaccord sur les questions de lutte contre la corruption ou de libéralisation de l’économie, vues d’un mauvais œil par un Premier ministre avant tout garant du système légué par l’ancien président Pierre Nkurunziza et dont il était l’un des principaux rouages.

« Toute la question était de savoir quand Évariste Ndayishimiye allait oser remettre en cause ce système« , explique un diplomate en poste à Bujumbura. Plusieurs fois, le président burundais s’était plaint en petit comité de voir certains de ses plus proches collaborateurs saboter son action à la tête du pays depuis deux ans, sans jamais citer personne. Il avait pourtant haussé le ton, le 2 septembre, en dénonçant à l’antenne de la Radio-Télévision Nationale du Burundi (RTNB) « ces hauts responsables qui se croient tout-puissants » et qui en plus de l’empêcher de travailler « auraient des velléités de coup d’État ». Avant de passer à l’acte cinq jours plus tard, le chef de l’État se serait d’abord assuré d’avoir le soutien de la grande majorité des généraux, anciens rebelles hutus du FDD comme lui-même et ses anciens et nouveau Premier ministres.

Maquis et renseignements

Car Gervais Ndirakobuca, comme son prédécesseur, sort du maquis. Il a même été très proche d’Alain-Guillaume Bunyoni, avec lequel il a partagé les différents leviers de l’appareil répressif lors du troisième mandat controversé de Pierre Nkurunziza. Le nouveau Premier ministre y a d’ailleurs gagné un surnom : Ndakugarika (« je vais t’étendre raide mort » en kirundi). Membre des FDD dès 1993, il fait toute sa carrière au sein de la police nationale, avant de prendre la tête du très redouté service national de renseignement (SNR) au lendemain de la tentative de coup d’État de 2015. Il quitte « la Documentation » cinq ans plus tard pour être nommé ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique. Très proche de l’ancien président Nkurunziza, il serait, à l’instar de Bunyoni, entré au gouvernement pour garder un œil sur le président et veiller à ce qu’il respecte la ligne tracée par son prédécesseur.

Évariste Ndayishimiye a donc remplacé le numéro un de son gouvernement par un numéro deux qui, jusqu’à ces derniers mois, présentaient des états de service pourtant pas très éloignés. Au point que l’un comme l’autre sont encore sous le coup de sanctions internationales – américaines pour Bunyoni, européennes pour Ndirakobuca. Depuis un peu plus d’un an, le jeu d’alliance interne au CNDD-FDD a néanmoins évolué en fonction des intérêts propres à chacun, et un rapprochement certain a pu être constaté depuis 2021 entre le président et un Gervais Ndirakobuca qui prenait de plus en plus ses distances avec Alain-Guillaume Bunyoni, notamment sur le dossier de la lutte contre la corruption.

Reprise en main

Avec cette nomination, le président Ndayishimiye semble donc avoir repris la main, sur son gouvernement. C’est ce que semblent confirmer les premiers bruits autour de la composition de la prochaine équipe gouvernementale, qui pourrait être annoncée dans les toutes prochaines heures. Pour succéder à Gervais Ndirakobuca à l’Intérieur, un nom revient en effet avec insistance, celui de Gabriel Nizigama. Ce dernier, chef du cabinet civil depuis 2013, d’abord sous la présidence Nkurunziza puis sous celle de Ndayishimiye, a, lui aussi, été « démissionné » au matin du 6 septembre. Il compte pourtant parmi les principaux soutiens de l’actuel président, dont il a ouvertement soutenu la candidature en 2020, à l’heure d’organiser la succession du « chef ». Au cabinet civil, Gabriel Nizigama a été relevé de ses fonctions, également sur décret présidentiel, pour être vite remplacé par le colonel Aloys Sindayihebura, jusqu’alors chef du SNR. « Un représentant de la jeune génération qu’entend installer Évariste Ndayishimiye pour remplacer peu à peu la vieille garde CNDD-FDD », estime encore notre diplomate.

Car après le gouvernement et ses proches collaborateurs, le président burundais pourrait être tenté de faire le ménage au sein du parti. Dans le collimateur du chef de l’État, se trouverait dorénavant Révérien Ndikuriyo, son successeur à la tête du CNDD-FDD, lui aussi ancien maquisard et allié de longue date d’Alain-Guillaume Bunyoni, dont les outrances verbales commenceraient à agacer du côté de Ntare Rushatsi House. L’ancien et le nouveau Premier ministre se sont d’ailleurs retrouvés ce 8 septembre dans l’après-midi au palais présidentiel, pour la passation officielle. Une bonne nouvelle concernant le premier, disparu du paysage depuis l’annonce de son départ et que la rumeur avait promptement envoyé en prison.

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