Africa-Press – Burundi. Le Congrès national pour la liberté (CNL) fait encore parler de lui. La crise qui vient de durer huit mois fissure encore ce parti. Une semaine après leur suspension de toutes les fonctions de ce parti par Agathon Rwasa, dix députés dudit parti suspendent à leur tour leur ‘’ patron’’. Plusieurs reproches contre Rwasa sont énumérés. Et sa suspension à la tête du parti est mal accueillie en provinces.
Par Fabrice Manirakiza & Rénovat Ndabashinze
Le réquisitoire se résume en sept points : manquements graves ; violation des textes légaux du pays et du parti ; détournement des fonds et du patrimoine du parti ; égoïsme poussé à outrance et semer la diversion dans l’opinion et au sein des militants.
D’après leur décision du 4 juillet 2023, portant mesure de suspension d’Agathon Rwasa à la fonction de président et représentant légal du parti CNL, ces dix députés et membres du bureau politique de 2019 ajoutent l’absence des réunions statutaires des organes et son silence face aux demandes incessantes de réunions à travers les plateformes de communication interne et aux correspondances lui adressées.
Ces députés l’accusent de comploter contre les organes du parti. « Il a inventé et véhiculé le complot contre les organes qu’il dirige en accusant sans preuve certains responsables de vouloir renverser les organes du parti, de vouloir créer un parti CNL Nyakuri et attenter à sa sécurité ».
D’après eux, M. Rwasa entretient des accusations continuelles tendant à se victimiser, et a contourné les organes officiels du parti surtout en matière de communication par la création des comptes fantômes sur les réseaux sociaux. « Et ce, dans le but de propager des propos divisionnistes, haineux et déshumanisants envers ses adversaires. »
Concernant la violation des textes légaux, ces dix députés qui se réclament encore membres du Bureau politique accusent Agathon Rwasa de se donner la prérogative de modifier seul les statuts et le Règlement d’ordre intérieur du parti ; de vouloir détruire le parti par la décapitation de son organe suprême ; d’organiser des congrès illégaux et de s’être autoproclamé président du parti à travers un congrès illégal.
D’après eux, M. Rwasa a refusé d’obtempérer aux décisions de l’autorité publique en suspendant les dix députés membres du Bureau politique alors que le parti est en suspension de ses activités.
Des détournements
Les dix députés signataires de cette décision évoquent en outre des détournements de fonds. Ils reprochent à Agathon Rwasa d’avoir créé de nouveaux comptes bancaires et changé les signataires des comptes officiels du parti. « Et ce, pour pouvoir retirer en cachette l’argent sur les comptes ».
Ils reviennent même en 2020 où ils chargent Rwasa d’avoir géré de façon opaque les fonds destinés aux élections sans transiter sur les comptes officiels et d’avoir refusé de faire un rapport de leur utilisation.
Ils évoquent aussi un détournement des contributions du parti de deux députés de l’East African Legislative Assembly (EALA) pendant toute la législature de 2017-2022. « Ces fonds estimés à 200 millions de BIF », précisent-ils, sans citer les noms de ces députés. Agathon Rwasa est en outre accusé de s’approprier tout le parc automobile du parti estimé à sept véhicules dont 5 Jeeps, un véhicule de marque Dyna et une camionnette simple cabine.
Les accusations sont nombreuses. Ces députés font savoir qu’Agathon Rwasa ne se soucie pas des intérêts du parti, de ses membres et cherche à les spolier par des contributions répétitives. Pour eux, il est égoïste et prend le parti comme sa propriété privée ou se considère comme unique membre fondateur dudit parti. « Il cherche à avoir une mainmise sur le contrôle et la gestion de tout revenu du parti », dénoncent-ils, notant qu’il cumule des fonctions dans le but de nuire au bon fonctionnement des organes.
« Tenant compte de la situation de crise que traverse le parti depuis bientôt huit mois, nous constatons une absence prolongée du président du parti dans ses fonctions qui se traduit par une absence des réunions statutaires des organes, et un silence face aux demandes incessantes de réunions à travers les plateformes de communication interne et aux correspondances lui adressées », poursuivent-ils leur réquisitoire contre M. Rwasa.
Ces députés demandent au comité exécutif sous la direction du secrétaire général d’assurer l’intérim et à convoquer un congrès dans un délai légal pour pourvoir au remplacement d’Agathon Rwasa. Enfin, ils demandent à l’équipe intérimaire de s’adresser au ministre de l’Intérieur pour lui demander de permettre la tenue des réunions du bureau politique de 2019, à la permanence nationale du parti.
Une comédie
« Ces dix personnes n’ont pas le droit de suspendre le président du parti. Non seulement ces derniers, même tout le bureau politique n’ont pas ce droit. Seul le congrès qui est l’organe habilité a le droit de changer le président du parti », réagit Simon Bizimungu, secrétaire général du parti CNL. D’après lui, ces gens-là mentent : « Car Agathon Rwasa n’a jamais été absent depuis le début de ces problèmes. Au mois de mars, il a convoqué un congrès, même chose qu’en avril. Et dans ce congrès, ces gens-là étaient présents. »
S’agissant de la gestion du trésor du parti, M.Bizimungu indique qu’Agathon Rwasa n’a jamais été gestionnaire de la caisse du parti. « L’un de ces dissidents était trésorier du parti. C’est bien elle qui a toutes les informations de la mauvaise gestion des finances du parti. S’il faut expliquer, elle est la première à expliquer cette mauvaise gestion dont ils parlent actuellement », explique-t-il précisant qu’il s’agit de Pélate Niyonkuru.
Et de trancher : « Jamais, moi je suis secrétaire général et le président du parti est Agathon Rwasa. Le reste c’est de la comédie que ces gens sont en train de jouer actuellement. Nous interprétons cela comme une complicité de certaines gens qui ne sont pas membres du parti CNL dans ce dossier »
Désigné par l’équipe de dix députés pour assurer l’intérim, Simon Bizimungu, secrétaire général du parti CNL refuse cette offre. Il appelle plutôt tous les militants de ce parti à rejeter la décision annonçant la suspension d’Agathon Rwasa. Il rappelle à ce groupe que ’’les coups de force sont révolus, que leurs actes sont contraires aux décisions prises le 28 juin 2023 par le président du parti les suspendant de leurs fonctions de membre de l’organe national de ce parti’’. A tous les militants, il leur demande de rester unis autour du président de ce parti, Agathon Rwasa.
Sur cette mauvaise gestion, un vétéran du parti interrogé indique que les contributions en provenance des députés de l’EALA n’auraient jamais transité par la trésorerie du parti. « C’est le député Christophe Nduwayo qui collecterait les dons et remettait cette somme directement au président du parti », révèle-t-il, sous anonymat. Seulement, il se demande pourquoi ces dénonciations interviennent aujourd’hui. Pour lui, la crise qui secoue le CNL depuis un certain temps aurait déjà trouvé une solution s’il n’y avait pas des intérêts personnels : « Que ça soit du côté Rwasa, ou de ces dissidents, tout n’est pas blanc. En tout cas, ils se connaissent bien. » Sans être précis, il trouve d’ailleurs qu’il y a une main extérieure derrière cette crise.
Qu’en pensent les représentants provinciaux ?
En Bujumbura mairie, Pascal Gikeke, représentant municipal du parti CNL, trouve cette décision nulle et sans effet : « Qu’Agathon Rwasa soit tranquille. Les Inyankamugayo (nom des militants du parti CNL) et les représentants provinciaux du parti, nous lui réaffirmons notre soutien dans le développement du parti. »
A Mwaro, Fabien Mahera, représentant du parti, dit ne pas comprendre comment ces dix députés contestent les clauses du récent congrès alors qu’ils étaient présents.
A Rumonge, Obède Ntakiyiruta abonde dans le même sens : « Nous rejetons cette manœuvre de cette équipe de dix personnes qui visent à détruire notre parti. Tous ceux qui sont en train d’aider cette équipe dans ce montage ne sont pas différents de ceux qui sont en train d’enterrer la démocratie au Burundi. » D’après lui, il est temps d’avancer et couper court avec ces tricheries. « Nous demandons au ministre de l’Intérieur de ne pas être impartial comme cela s’est déjà manifesté. »
En province Cibitoke, Ananias Bucumi, représentant de ce parti se garde de tout commentaire. Contacté, ce mercredi 5 juillet 2023, il indique qu’il est très tôt pour s’exprimer sur le dossier : « Adressez-vous au secrétaire général du parti. »
En province Bujumbura, Didace Nzambimana, représentant provincial du parti, qualifie cette décision d’odieuse : « Tous les Inyankamugayo profitent de cette occasion pour décourager le comportement indigne des soi-disant membres du Bureau politique du parti. Nous soutenons fermement Agathon Rwasa et nous lui promettons de tout faire pour garantir la stabilité du parti dans notre localité. »
Dans la province de Muramvya, Céleus Bigirimana, représentant provincial du parti CNL, indique qu’il n’a pas été surpris par les agissements de cette équipe. « Depuis la fin des élections de 2020, ils n’étaient plus présents sur terrain. Nous ne sommes pas derrière eux. Les dirigeants du parti reconnus sont ceux issus du Congrès extraordinaire de mars dernier. »
A Makamba, Laurent Harushimana, représentant provincial de ce parti, estime que ces dix députés n’ont pas les compétences de suspendre le président du parti. Il rappelle que ces derniers avaient déjà été suspendus du Bureau politique du parti. Il demande au ministre de l’Intérieur de ne pas valider cette décision et de ne pas s’ingérer dans les affaires internes du parti CNL : « Qu’on nous laisse nous préparer pour les prochaines échéances électorales. » A ces dix députés, il leur conseille d’approcher le ministère de l’Intérieur pour créer leur propre parti.
A Ngozi, Jonas Nahimana, représentant du CNL dans cette province, qualifie le groupe des 10 personnes de dissidents qui se sont écartés de la ligne droite dudit parti. Selon lui, ils n’ont aucune prérogative de suspendre le président du parti. Et de faire savoir que ce qu’ils ont déclaré n’engage qu’eux-mêmes et non les militants du CNL. « Nous les invitons de cesser de torpiller les activités du parti, de ne pas se comporter comme des mercenaires. » Il demande au ministre de l’Intérieur de laisser ce parti organiser librement ses activités : « Le CNL n’a violé aucune loi. »
A Kirundo, Anatole Karorero, représentant provincial de ce parti, fait savoir que les 10 personnes n’ont aucun droit de destituer le président du parti. Par contre, tient-il à préciser, le président du parti a les prérogatives de les suspendre après avoir consulté ses conseillers et le Secrétariat général du parti. D’après lui, les 10 personnes ont toujours été caractérisées par l’insubordination. Il considère leur agissement comme un simulacre : « Nous reconnaissons Agathon Rwasa comme seul président du parti CNL », déclare-t-il.
A Muyinga, Jacqueline Uwizeye, présidente provinciale des femmes Inyankamugayo, se dit étonnée du comportement de ces dix députés. Elle signale qu’ils étaient présents lors du récent congrès et se sont même inscrits sur les listes de présence. « Ils ont même donné des propositions d’amendements. Nous ne pouvons pas soutenir cette équipe », tranche-t-elle. Elle se demande d’ailleurs comment ils ont eu l’autorisation de tenir une conférence de presse alors que le ministre de l’Intérieur a suspendu toutes les activités du parti. Elle encourage le SG à continuer à défendre les intérêts du parti.
A Bubanza, Alexis Manirakiza, représentant provincial qualifie de dissidents ceux qui ont pris cette décision. Pour lui, ils ne visent qu’à perturber le parti. « Nous informons tout le monde que nous soutenons fermement Agathon Rwasa », souligne-t-il.
Nous avons essayé d’avoir l’avis des représentants provinciaux de Karusi, Cankuzo, Kayanza, Rutana, Bururi et Ruyigi sans succès.
Nous avons aussi tenté, à maintes reprises d’avoir la réaction du ministre de l’Intérieur, en vain.
« Ils ne doivent pas être consultés »
Face aux différentes réactions des représentants provinciaux, Térence Manirambona, indique que le Bureau politique est un organe suprême du parti : « C’est un organe de conception, d’orientation et de suivi de la politique du parti adoptée par le congrès national. »
Recontacté ce mercredi, il signale que les statuts et le règlement d’ordre intérieur (ROI) précisent bien les pouvoirs et les compétences de chaque organe. Il ajoute que l’article 49 des statuts et l’article 39 du ROI montrent clairement qu’en absence du président du parti pour différents motifs, c’est le Secrétaire général et le comité exécutif qui assurent l’intérim.
En cas d’absence ou d’empêchement temporaire du SG, poursuit-il, ‘’ le comité exécutif en collaboration avec les présidents des régions s’organise pour la gestion des affaires courantes. Et l’article 39 du ROI indique qu’en cas d’incapacité du SG d’assurer la gestion des affaires courantes, il est remplacé dans cette tâche par le Bureau politique présidé par le doyen en âge », détaille M. Manirambona.
Face au refus du SG de reconnaître l’offre des dix députés, il reste optimiste : « La nuit porte conseil. Nous pensons qu’il ne peut pas accepter que le parti continue de sombrer dans l’impasse. » Et d’ajouter : « Si Simon avait pris une décision, on va interroger nos textes légaux. »
Revenant sur les réactions des représentants provinciaux du parti, il signale que son équipe se réfère aux textes légaux du parti. « Ce sont ces mêmes lois qui régissent ces représentants provinciaux, communaux, zonaux et collinaires. Ceux qui disent le contraire sont appelés à nous montrer les dispositions que nous avons violées. »
D’après lui, personne ne peut se réclamer représentant du parti sans connaître ces textes. Et de charger encore fois M. Rwasa : « C’est sa stratégie de faire des représentants et des militants le bouclier humain en les maintenant dans l’ignorance et la manipulation de l’opinion. »
Interrogé sur le fait que leur point de presse a été tenu alors que le ministre de l’Intérieur avait suspendu toutes les activités du parti, il indique qu’ils n’ont commis aucune faute : « Le ministre n’a jamais interdit aux gens de parler. Car, l’’’ancien’’ président du parti et le SG sortent des écrits et font des déclarations. »
Il ajoute d’ailleurs que nulle part n’est mentionné qu’ils devaient consulter les représentants provinciaux, communaux, etc., pour prendre une décision. Et de préciser que la convention ou congrès national intervient pour l’exclusion d’un membre du parti et/ou pour des poursuites judiciaires.
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