Etats généraux des médias : les concernés proposent les points du débat

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Etats généraux des médias : les concernés proposent les points du débat
Etats généraux des médias : les concernés proposent les points du débat

Africa-Press – Burundi. A une semaine de la tenue des Etats généraux de la communication et des médias, en date du 24 au 25 novembre en province Gitega, les professionnels des médias expriment un besoin d’une discussion constructive sur notamment les relations journalistes-pouvoirs publics, la loi sur presse, les conditions de vie des journalistes, l’agrément des organes de presse, le fonds média, …

Gildas Yihundimpundu, directeur de BNP magazine (Burundi News Publication Magazine), souhaite un débat autour des relations journalistes-institutions. Depuis 2015, constate-t-il, cette relation s’est fortement dégradée. « Un journaliste est considéré comme un opposant ou quelqu’un qui n’aime pas son pays. » Pour lui, les Etats généraux devraient donc être une occasion pour réparer cela. « Je m’attends à une prise de conscience. Un nouveau départ. »

Notre confrère estime aussi que la loi sur la presse de 2018 mérite également un débat. « N’importe quel journaliste sait qu’elle ne dit pas grand-chose sur la protection des sources. Elle garde aussi un caractère vague sur les sanctions contre le journaliste, contrairement à celle de 2013. » Il soutient aussi que les notions de droits et libertés devraient être abordées. Il explique que les médias burundais évoluent dans un contexte culturel très difficile où parfois, ils sont obligés d’annuler certaines diffusions par crainte d’être sanctionnés par le Conseil national de la communication (CNC). « C’est le même cas pour les producteurs de films et chansons. Quelque part, cette situation bloque la libre pensée », commente ce responsable d’un médium.

D’après M. Yihundimpundu, le salaire minimum du journaliste devrait aussi faire objet de discussion dans les prochains Etats généraux de la communication et des médias. « Il est temps de penser à fixer une rémunération minimale pour un journaliste burundais, et que la loi s’applique avec rigueur dans ce sens. » Il déplore qu’au Burundi, chaque média ou employeur paie le journaliste comme il l’entend et rappelle que certains journalistes n’ont même pas de contrats de travail avec leurs employeurs. « D’autres sont renvoyés comme des vauriens ! Tout cela devrait faire objet d’un débat », insiste l’ancien correspondant de la BBC au Burundi.

« Il faut évaluer le rôle des médias »

« Je souhaiterais qu’il y ait premièrement un débat autour de la redéfinition du cadre légal régissant l’exercice du journalisme et son adaptation aux impératifs de l’évolution technologique », réagit Fabrice Iranzi, directeur de Regionweek. Il trouve qu’il y a actuellement une certaine confusion entre notamment le métier de journaliste et d’autres nouvelles formes de profession en matière de création de contenu qui sont venus avec l’évolution technologique. Ce directeur croit également qu’il est important de définir le rôle des médias dans la mise en place d’une politique nationale devant servir d’orientation stratégique pour le développement d’un nouveau narratif sur le Burundi. Il se dit convaincu que les médias peuvent jouer un rôle positif pour positionner le Burundi comme une terre d’opportunité.

Mais, commente-t-il, cela n’est pas possible sans une stratégie cohérente qui tient en compte des exigences du métier de journaliste et les différentes lignes éditoriales des sociétés médiatiques. Fabrice Iranzi juge aussi qu’il est urgent de débattre sur la viabilité des médias sur les plans éthique, déontologique et financier. Il est important d’approcher ces questions avec honnêteté en soulignant les défis. « Je sais qu’il existe des chartes d’éthique et de déontologie, mais il est mieux encore de se pencher sur les mécanismes de suivi et évaluation, en soulignant l’importance de la régularité dans le renforcement des capacités. » Sur le plan financier, le responsable de Regionweek explique qu’il est important de définir des modèles d’affaires cohérents pour rentabiliser le secteur des médias.

Esdras Ndikumana, journaliste à la Radio France internationale (RFI), propose aux participants de débattre sur une question fondamentale qui, pour lui, hante les médias burundais : « Quel doit être leur rôle ? Celui de journaliste ? »

Selon lui, des gens opposent souvent « accompagner l’action du gouvernement » et « être indépendants », alors qu’à son avis l’un n’empêche pas l’autre. D’après ce vétéran journaliste burundais, « accompagner l’action du gouvernement » ne veut pas dire des « bonnes nouvelles » et taire les mauvaises choses, pour montrer que tout va bien. Mais, c’est plutôt dire la réalité telle qu’elle est pour aider le gouvernement à rectifier le tir dans l’intérêt de la population.

La multiplication des médias est aussi intéressante

Quant à Philippe Ngendakumana, directeur du Journal Ikiriho, le débat devrait se focaliser sur l’agrément des organes de presse. « Il y a actuellement une pléthore de médias agréés par le Conseil national de la Communication sans toutefois qu’il y ait pluralité de papiers », considère-t-il avant de proposer à son tour un débat sur la loi sur la presse. Pour lui, il faudrait écrire noir sur blanc ce que le journaliste doit surtout éviter. M. Ngendakumana précise que dans la loi sur la presse actuelle, celle de 2018, il n’est pas mentionné « les délits » que le journaliste ou un organe de presse doit éviter alors que ce sont des « délits » que réprime le Code pénal. « Vaut mieux donc que ça soit répété comme dans le Code de 2015 et de 2013, puisque les délits de presse ne sont pas dépénalisés. » Il ajoute par ailleurs que le terme de délits de presse n’est pas approprié mais qu’il faut carrément parler d’infractions commises par voie de presse.

Au cours des Etas généraux, Philippe Ngendakumana voudrait que le fonds des médias soit évoqué. Il explique que le gouvernement devrait alimenter davantage ce fonds, comme il y a la volonté politique affichée au plus haut niveau par le président de la République avec le slogan « Jamais sans les médias !».

Autre point auquel il insiste c’est l’accès aux sources. Pour lui, c’est dommage que les Burundais se retrouvent en train d’être informés par des journalistes en exil ou basés à l’étranger alors que l’effectif des médias et organes de presse ne cessent d’augmenter.

« Je me dis qu’au cours de cette grande messe, on va inventorier les défis auxquels les médias font face », indique Jean Marie Vianney, journaliste à Burundi Eco. Il propose d’insister sur le financement et la gouvernance et revenir sur la procédure de création des médias. Jean Marie Vianney trouve que le CNC autorise de façon incoordonnée. Or, soutient-il, plus ces médias sont nombreux, plus il y a des journalistes non formés, non payés, sans moyens. « Et l’information est par conséquent lacunaire, le produit est mauvais. » Pour lui, avant d’agréer un média, le CNC devrait entrer en détail au niveau des dossiers pour se rendre compte que les professionnels des médias sont payés.

Dieudonné Bukuru, directeur des publications au Journal en ligne Ejoheza News s’attend à ce que les Etats généraux du 24 au 25 novembre sur les médias soient un bon moment de reconnaître le rôle des médias en ligne. « Ces médias sont presque oubliés alors qu’ils ont un impact très important », alerte-t-il. Il affirme cela en se basant sur les réseaux sociaux qui sont devenus un espace infini de communication. « Cet nouvel espace ne peut pas être négligé »

Il espère aussi que la liberté de la presse au Burundi aura sa place puisque depuis 2015, il y a des sujets considérés comme tabous. « Difficile de faire un sujet d’enquête car, on te considère comme une menace de l’intérêt supérieur du pays alors que c’est un genre journalistique qui peut faire avancer ce pays. » Il pense que le gouvernement aura l’occasion de faire comprendre à la population que les médias ne sont pas des ennemis de la Nation. Plutôt qu’ils disent ce qui est en train de se passer pour inciter le gouvernement à bien travailler.

Un certain pessimisme

« Les sujets à débattre sont nombreux mais le plus important c’est le métier de journaliste », intervient Christian Bigirimana, rédacteur en chef de Jimbere Magazine. « Qui est journaliste et qui ne l’est pas dans ce pays ? », se demande ce journaliste d’une riche expérience au Burundi. Avec la prolifération des médias en ligne ou avec les réseaux sociaux, lance-t-il, tout le monde qui a un compte twitter, Facebook, YouTube, se fait passer pour un journaliste. Or, observe Christian Bigirimana, la plupart ne savent pas ce que c’est une information journalistique. « Les gens se permettent de faire du n’importe quoi. »

M. Bigirimana affirme qu’ils donnent des nouvelles sur ce qui se passe dans le pays alors qu’ils n’ont pas assez de formation et de techniques en rapport avec le métier. Pour lui, il faut que les instances habilitées puissent faire la part des choses pour savoir qui est journaliste, qui ne l’est pas. Il revient aussi sur l’accès aux sources d’information qui est mis en difficulté par une volonté de rétention d’information par les pouvoirs publics depuis 2015. Il aimerait que cette volonté soit affichée pendant les Etats généraux. « Il y a vraiment une nécessité que les pouvoirs publics collaborent avec la presse. »

Christian Bigirimana invite les participants aux assises de réfléchir pour voir comment transformer les médias burundais en entreprise de presse. Pour ce rédacteur en chef, cela signifie professionnaliser, éviter les achats de conscience. Les journalistes mal payés, mal traités, qui vivent dans des conditions précaires, poursuit-il, auront du mal à faire face aux multiples tentations de ceux qui détiennent le pouvoir ou d’autres qui veulent influencer les médias. « Pour éviter cela, il faut que le journaliste soit bien traité, considéré et formé. »

Néanmoins, certains parmi les professionnels des médias ne croient pas vraiment que les Etas généraux en vue puissent aboutir à quelque chose de très important et n’ont pas d’attentes particulières. « Ce n’est pas la première fois que l’on organise des Etats généraux au Burundi. On a vu différents experts et partenaires s’exprimer, mais depuis, on n’a rien vu venir. Le monde médiatique va-t-il faire la différence ? », s’interroge un journaliste. Nolis Nduwimana, rédacteur en chef à la Radio culture, rappelle que lors des Etats généraux de l’éducation 37 recommandations ont été formulées. « Mais une année va bientôt s’écouler sans que rien ne soit mis en application. C’est une réunion comme tant d’autres », regrette-t-il.

Raymond Nzimana rédacteur en chef ai à la Radio RSF Bonesha FM, souhaite qu’il y ait un débat sur la presse indépendante, les défis des journalistes au Burundi, la dépénalisation des délits de la presse, le respect des droits des journalistes dans l’exercice de leur métier et le fonds d’appui aux médias mais reste sceptique quant à la réalisation des conclusions qui sortiront des assises. « Plusieurs fois, l’acte ne suis pas la parole »

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