Africa-Press – Burundi. L’étude Cascade démontre qu’à consommation de tabac égale, le risque de développer un cancer du poumon est bien supérieur chez les fumeuses que chez les fumeurs.
Lancée par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), l’étude Cascade (Dépistage du CAncer du poumon chez les femmes françaises par SCAnner faible DosE) livre, un an après, ses premiers résultats, inquiétants pour les fumeuses. Il y un an, la Haute autorité de santé (HAS) reconnaissait l’intérêt d’une telle démarche. 3000 femmes fumeuses ou ex-fumeuses volontaires âgés de 50 à 74 ans ont déjà contacté les auteurs de cette étude pilote financée par l’Inca et le ministère de la Santé et 1300 y ont été intégrées dont 85 % de fumeuses actives.
Au final, la cohorte sera constituée de 2400 volontaires, soit deux fois plus de femmes que dans l’étude mixte NELSON publiée en 2020 portant sur plus de 15 000 volontaires mais constituée d’une écrasante majorité d’hommes. Revue de détails des premiers résultats avec le Professeur Marie-Pierre Revel, chef de service de radiologie à l’hôpital Cochin, investigatrice principale de l’étude Cascade, toujours à la recherche de volontaires.
Quelles sont les premières données issues de votre étude sur le dépistage systématique du cancer poumon chez les femmes ?
Pr Marie-Pierre Revel: L’étude fait ressortir que le taux de dépistages positifs est 2 à 3 fois plus élevé chez les femmes que chez les hommes. Un scanner sur trente s’avère positif dans cette étude. Cela confirme dans la « vraie vie » que pour une exposition au tabac équivalente, le risque pour une femme de développer un cancer du poumon est bien supérieur.
Ces chiffres vous ont-ils surpris ?
C’est plus du double de ce à quoi nous nous attendions. L’étude Nelson publiée en 2020, où les hommes étaient très majoritaires (83 %) montraient un taux de dépistage positif de 0,9 %. Chez les femmes, nous constatons dans notre étude que le taux de dépistage positif se situe entre 2 et 3 % un an après le début de l’étude. Soit plus du double du chiffre masculin.
Pourquoi une femme fumant autant qu’un homme a-t-elle plus de risque de développer un cancer du poumon ?
Il existe plusieurs hypothèses. L’une d’elle repose sur les différences de surface corporelle. Entre une femme qui fait 1,60 mètre pour 50 kilos et un grand gaillard d’1,85 mètre pour 90 kilos, les voies respiratoires ne présentent évidemment pas la même surface. Probablement, chez la femme, une même quantité de fumée se trouve donc concentrée sur une surface plus restreinte. On sait également que l’addiction au tabac est plus forte chez les femmes. Les hormones jouent probablement un rôle dans cette différence. Mais il n’existe pas encore de réponses précises.
Pas du tout. Il faut alerter bien plus les fumeuses sur les risques qu’elles encourent. D’autant que les chiffres sont mauvais. Si le tabagisme diminue globalement en France, il continue d’augmenter dans la population féminine. Près d’un quart des Françaises fument quotidiennement en 2021, soit une augmentation de 2 % par rapport à 2019 selon les données du RESPADD, le réseau de prévention des addictions.
La part des femmes parmi les personnes touchées par un cancer du poumon en France est passée de 16 % en 2000 à 34,6 % en 2020, selon les données des hôpitaux généraux (KBP 2020) publiées dans le Lancet Regional Health. En France, dans les années 70, le cancer du poumon chez la femme était une exception. Aujourd’hui, c’est devenu probablement la première cause de mortalité par cancer chez les femmes, comme c’est déjà le cas en Europe.
Le bénéfice du dépistage est-il plus important pour les femmes que pour les hommes ?
C’est une information importante à souligner. Le dépistage permet d’obtenir une réduction du risque de décès par cancer du poumon et c’est encore plus vrai si vous êtes une femme. Par exemple, après un suivi de 10 ans, les auteurs de l’étude Nelson rapportent une diminution de la mortalité par cancer pulmonaire de 26 % chez les hommes et de 33 % chez les femmes..
Pourquoi dans toutes les études sur le dépistage, sont-elles plus bénéficiaires que les hommes ?
C’est parce qu’elles ont tendance à développer une forme particulière de cancer, les adénocarcinomes. Ce sont des cancers moins agressifs que d’autres tumeurs. Leur croissance est un peu plus lente et cela permet de réaliser un dépistage qui permet souvent d’initier un traitement chirurgical avant que la maladie ne soit trop évoluée.
Pourquoi souffrent-elles de ces tumeurs particulières ?
C’est probablement liée à leur mode de tabagisme. Les habitudes de consommation de cigarettes et de tabac ont changé dans les années 60-70. Le tabac brun, sans filtre, a petit à petit laissé la place à des cigarettes dites « light ». L’arrivée des femmes dans le tabagisme a coïncidé avec le développement de ces nouveaux produits au marketing ciblé. Or l’inhalation de la fumée n’est pas la même selon le type de cigarettes utilisé.
Avec le tabac brun ou sans filtre, il n’est pas besoin d’aspirer très profondément la fumée pour avoir sa dose de nicotine. La fumée se concentre donc dans la partie initiale des voies respiratoires, tapissée d’un épithélium particulier où se développe un type de cancer lui aussi particulier et souvent agressif, les carcinomes épidermoïdes. Les hommes ont été et sont encore plus concernés par ces cancers. A l’inverse, les cigarettes dites « légères »- souvent adoptées par les femmes dès le début – nécessitent d’aspirer profondément la fumée, la faisant se concentrer dans des zones ayant un épithélium différent aboutissant à des cancers différents, les adénocarcinomes.
Quelles sont les prochaines étapes de votre étude ?
Il nous faut encore recruter des volontaires à Paris, Béthune, Grenoble et Rennes. Il faut que ce soit des femmes de 50 à 74 ans, fumeuses ou anciennes fumeuses (l’équivalent d’un paquet par jour pendant vingt ans), sans aucun symptôme. Ce dernier point est important pour ne pas avoir de biais dans notre étude. C’est aussi pour cela que nous ne faisons pas de recrutement par l’intermédiaire des médecins généralistes. D’ailleurs à la lecture de ces premiers résultats, les femmes concernées ne doivent pas systématiquement se faire prescrire un scanner thoracique. Le dépistage doit se faire dans un cadre précis avec un scanner les exposant à de faibles doses de rayons.
Votre étude évalue également l’apport de l’intelligence artificielle (IA) dans le dépistage. Fait-il vraiment la différence ?
Tous les scanners réalisés dans l’étude font l’objet d’une double lecture, par le radiologue assisté d’une intelligence artificielle puis par deux experts. A ce stade, on ne peut pas encore dire que l’IA l’emporte sur la double lecture, mais on peut le souhaiter ! En effet, en cas de généralisation du dépistage, cela permettrait de dégager d’importants moyens humains.
N’y-a-t-il pas un risque de faux positifs, c’est-à-dire de détecter un cancer qui n’en est finalement pas un ?
Non, la crainte des « faux positifs » est devenu un « faux problème » car nous savons faire le tri. Aucune de ces patientes n’a subi de gestes invasifs, comme une biopsie ou une opération injustifiée.
Que proposez-vous à ces femmes fumeuses ?
Nous leur proposons une aide systématique au sevrage. 75 % l’ont accepté car une majorité souhaite arrêter le tabac. Se faire dépister à temps et se faire aider dans une démarche de sevrage tabagique, c’est le duo gagnant proposé aux participantes de CASCADE.
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