Africa-Press – Burundi. Bonne nouvelle: on aurait sous-estimé la capacité de certains micro-organismes à lutter contre le réchauffement climatique. En tête des gaz à effet de serre les plus puissants, le méthane. Cette petite molécule (CH4) résulte de la décomposition des végétaux dans un milieu humide. Les activités humaines, en particulier l’agriculture et la production et l’utilisation d’énergies fossiles, contribuent à plus de la moitié des émissions de ce gaz. Les lacs libèrent également du méthane en grande quantité car ils reçoivent beaucoup de matière organique. Mais heureusement, certains micro-organismes luttent contre ce phénomène.
Ces bactéries sont dites “méthanotrophes”: elles absorbent du méthane pour se développer et produire de l’énergie. De ce fait, elles freinent la libération du gaz dans l’atmosphère. “Ces micro-organismes sont considérés comme un important “filtre biologique à méthane”, indiquent les chercheurs de l’Institut Max Planck de microbiologie marine.
Dans une nouvelle étude, l’équipe de scientifiques révèle que ce filtre est plus efficace qu’on ne le pensait: certaines bactéries méthanotrophes continuent d’absorber du méthane même lorsqu’elles sont privées d’oxygène. Une condition de plus en plus courante dans les lacs à cause de l’augmentation des températures. Leurs résultats ont été publiés dans la revue Nature Communications.
De l’asphyxie des lacs
Le niveau d’oxygène d’un lac dépend de nombreux facteurs: l’altitude, la température des différentes strates d’eau, le développement des algues et des plantes, etc. Depuis 1980, les lacs ont perdu de l’oxygène, 3 à 9 fois plus rapidement que les océans. “Le principal moteur de cette perte d’oxygène dans les eaux de surface est l’augmentation globale des températures qui diminue la solubilité de l’oxygène dans l’eau”, peut-on lire dans un dossier de l’Inrae.
En effet, la température des eaux de surface des lacs à augmenté de 0,38°C par décennie. Conséquence directe: leur concentration en oxygène a baissé de 0,11 mg/L parallèlement. Et tandis que la température des eaux profondes est restée relativement stable, leur concentration en oxygène a tout de même chuté. Pourquoi ? La hausse de la température des eaux de surface a accentué les différences de densité entre les strates d’eau, lesquelles se mélangent alors moins bien. Le brassage de l’oxygène en profondeur perd donc en efficacité.
Pour comprendre la perte d’oxygène des lacs, un autre phénomène est à prendre en compte: l’eutrophisation. L’activité anthropique, essentiellement, accroît les apports en nutriments de ces écosystèmes, qui se trouvent alors déséquilibrés. “Les manifestations les plus connues sont l’apparition de cyanobactéries toxiques dans les lacs et les cours d’eau, et les proliférations de macroalgues vertes dans les zones côtières”, illustrent les chercheurs de l’Inrae. L’oxygène se raréfie alors, et le milieu devient inhabitable pour beaucoup de poissons, de crustacés ou de mollusques. Mais certains microorganismes résistent…
Des bactéries qui décomposent le méthane
C’est au lac de Zoug, en Suisse, que les chercheurs de l’Institut Max Planck ont prélevé des échantillons d’eau. D’une profondeur de 200 mètres, il a la particularité d’être constamment dépourvu d’oxygène (au delà de 120 mètres). A leur retour au laboratoire, ils identifient dans les prélèvements des bactéries méthanotrophes essentiellement dépendantes de l’oxygène. “Sans ce précieux gaz, on ne savait pas encore si et comment elles pouvaient décomposer le méthane dans l’eau”, retracent les auteurs.
Mais d’abord, comment fonctionnent ces bactéries ? En milieu oxygéné, elles décomposent le méthane en dioxyde de carbone. Un autre gaz à effet de serre, mais beaucoup moins puissant, et qu’elles peuvent absorber. “Une partie du CO2 est consommée par les métanotrophes eux-mêmes, qui l’utilisent comme source de carbone, au même titre que le méthane”, éclaire Sina Schorn, première autrice de l’étude, lors d’une interview pour Sciences et Avenir.
Pour utiliser le méthane, les bactéries ont besoin d’oxygène car l’enzyme qui catalyse cette réaction nécessite de l’O2. “C’est pourquoi la contribution de ces micro-organismes, dont le fonctionnement est basé sur l’oxygène, n’est pas prise en compte dans les estimations de l’atténuation du méthane en milieu anoxique, c’est-à-dire dépourvu d’oxygène,” rapporte l’autrice. Pourtant, les résultats de cette nouvelle étude prouvent que ces méthanotrophes restent actifs, même lorsque l’oxygène se fait rare.
S’adapter à un milieu sans oxygène
Dans leur expérience, les chercheurs ont testé les capacité des méthanotrophes. Aux échantillons d’eau de lac naturelle, ils ont ajouté des molécules de méthane un peu particulières. Elles ont été marquées à l’aide d’un atome de carbone “lourd” qui permet aux scientifiques de suivre leur évolution. Grâce à cette technique, c’est l’activité des micro-organismes qui est révélée. Résultat: malgré la faible teneur en oxygène, certaines bactéries sont parvenues à absorber le méthane. Elles appartiennent à l’ordre Methylococcales, des micro-organismes fréquemment détectés dans les eaux anoxiques mais dont on comprenait mal la présence, jusqu’à aujourd’hui.
Les chercheurs évoquent plusieurs mécanismes pour expliquer leur activité dans ces conditions hostiles. “D’une part, il est possible que ces bactéries soient très efficaces pour récupérer de minuscules quantité d’O2 dans les eaux du lac”, avance Sina Schorn. Certains méthanotrophes pratiquent aussi d’autres processus de respiration, qui leur permettent de répondre à leurs besoins énergétiques. Par exemple, la dénitrification, basée sur les nitrates ou encore la fermentation.
“Avec l’asphyxie grandissante des lacs, ces bactéries sont susceptibles de jouer un rôle crucial dans l’atténuation du méthane au sein des futurs écosystèmes lacustres,” analyse la chercheuse. Reste à présent à confirmer ces résultats en observant leur activité in situ, dans les eaux lacustres anoxiques, et s’assurer que celle-ci perdure malgré la hausse des émissions de gaz à effet de serre. “On ne sait pas encore si elles seront capables de résister à l’augmentation des niveaux de méthane”, s’inquiète Sina Schorn.
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