Développement Durable: Priorité À Kabezi, Burundi

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Développement Durable: Priorité À Kabezi, Burundi
Développement Durable: Priorité À Kabezi, Burundi

Africa-Press – Burundi. Dans la commune Kabezi de la province Bujumbura, les habitants lancent un cri de détresse pour un développement durable. La réhabilitation des routes, un centre hospitalier plus performant et des écoles pouvant contenir tous les enfants sont les charges qui sont mises entre les mains des futurs dirigeants.

Sur la route nationale 3 (RN3) reliant la capitale économique Bujumbura et les provinces du sud du pays dont la province Rumonge, une petite route en piteux état traverse le centre de la commune de Kabezi. Pour parvenir aux bureaux du chef-lieu de cette commune qui se trouve à 1 400 mètres de la RN3, les chauffeurs des voitures qui longent cette route doivent manœuvrer pour ne pas avoir des problèmes.

Des grosses pierres sortent de la route sur différentes pentes et rendent difficiles sa praticabilité. Seules les motos semblent être les plus adaptées et sont en grande partie le moyen de transport le plus pratique.

Avant de commencer une grande montée qui mène vers les bureaux du chef-lieu de la commune qui semble être trop éloignés du centre, un petit bar tenu par Emmanuel Nizeyimana est ouvert et semble attendre les premiers clients.

Il fait une chaleur d’enfer et Emmanuel a déjà enlevé son t-shirt. Il ne se gêne pas d’accueillir les clients qui font irruption dans son bar torse nu. Il est au courant des élections et il est excité à l’idée de pouvoir voter pour la première fois de sa vie.

Il avoue être membre du parti au pouvoir, et pour lui, il est membre de ce parti parce qu’il est en vogue: « Je voterai pour ce parti parce qu’il est populaire, et pour ce qu’il va accomplir pour la population, je vois à la télé que demain sera meilleur. »

La hausse des prix est préoccupante

Emmanuel Nizeyimana déplore les prix des denrées alimentaires qui ne cessent de monter chaque jour: « Avant, le prix du haricot était à 2 000 BIF, mais maintenant, il est à plus de 4 000 BIF, c’est une situation que les futurs dirigeants devraient prendre en considération. »

Pour le barman, le programme du parti lui importe peu. Il pense que tout burundais est membre du parti au pouvoir: « Ce que le parti au pouvoir va nous apporter une fois réélu se voit à la télé pendant les travaux communautaires. »

Après s’être fait enrôler, il regrette de ne pas avoir su qu’il devrait par après aller vérifier qu’il est sur les listes. Mais pour lui, il n’est pas question qu’il se fasse élire parce qu’un jeune de son âge n’est pas respecté: « J’irai voter avec les autres, mais pour représenter les autres est impossible pour quelqu’un de mon âge, personne ne me respecterait, les jeunes de mon âge sont sous-estimés s’ils sont dans les postes de prise de décision. »

Il fait savoir que la cohabitation est au bon fixe entre les jeunes affiliés aux différents partis politique de sa commune. Il trouve que même pendant la campagne et après, il n’y a aucune raison palpable que cette cohabitation change.

Les futurs dirigeants devraient penser aux travaux de développement

Pascasie Nsekerabandya, cultivatrice de la colline Mubone de la commune de Kabezi et ancienne dirigeante de cette même colline, parle fièrement de sa participation aux élections, mais déplore le manque de projet de développement.

« La cohabitation est bonne sur notre colline, mais l’état de la route qui relie ma colline à la commune Mutambu en passant par la localité de Nyamugari est dans un état vraiment lamentable, celui qui réhabilitera cette route pour nous sera un héros », déplore-t-elle.

Un autre problème que soulève Pascasie, c’est le manque de courant électrique. Pour elle, celui qui se chargera de la réhabilitation de la route et ramènera le courant électrique dans sa localité sera un bon dirigeant: « Pour moi ce sont les préoccupations majeures, mais il y a aussi un manque d’eau potable, nous en avons, mais pas en quantité suffisante. »

Affiliée au parti au pouvoir, elle fait savoir qu’aucun heurt ne s’est jamais manifester entre les habitants des différents partis politiques: « Les mentalités ont changé maintenant, d’ailleurs les femmes par exemple ne sont plus repliées sur elles-mêmes grâce aux travaux d’intérêts communs qui les unissent comme les coopératives. »

Ce qui est de la participation dans les organes de prise de décision, Pascasie Nsekerabandya fait savoir qu’elle a été numéro deux sur sa colline pendant 10 ans: « C’est ce que je disais, ce n’est plus l’époque où on disait que la poule ne peut pas chanter alors qu’il y a un coq, les mentalité ont changer et les femmes ont compris qu’elles sont aussi capables. »

Avec fierté, elle fait remarquer que ça fait plusieurs années qu’elle est leader communautaire et qu’elle accompli ses tâches comme le ferait n’importe quelle autre femme: « Jusqu’à maintenant, je conseille d’autres femmes et je les motive aussi. Celles qui ont un charisme, je leur dis souvent d’aller se faire inscrire pour la place des dirigeants. »

Selon Pascasie, la considération que les hommes portent à une femme dirigeante n’est pas la même: « Il arrive des fois où on m’appelle pour trancher lors des litiges fonciers, mais certains hommes ne peuvent pas supporter mes interventions. D’autres exigent ma présence parce qu’ils connaissent ma valeur. »

Selon elle, certains réclame son retour dans la place qu’elle occupait: « Ils ont vu ce que j’étais capable d’accomplir et ils savent que je suis une femme battante, mais j’ai déjà atteint un âge où il faut laisser la place aux plus jeunes. »

Le genre importe peu sur le savoir-faire

Pascasie Nsekerabandya avoue avoir à maintes reprises sensibilisé les femmes sur le fait qu’elle est arrivée à être une femme leader pendant une grande période et que n’importe quelle autre femme peut le faire: « Les exemples des femmes battantes sont multiples et qui sont appréciées par tous. »

Pour Pascasie, les candidats capables existent: « Je le dis souvent à mes consœurs, il faut élire ceux qui nous mèneront vers un développement durable et sans aucune distinction, je suis convaincu qu’ils existent. »

Elisabeth Hatungimana de la même colline que celle de Pascasie, soutient l’idée d’élire des dirigeants plus méritants. Elle est cultivatrice et est aussi leader communautaire. Pour elle, si elle est choisie pour représenter les autres, elle dit que la première chose qu’elle ferait est de s’approcher de la population: « Je saurais d’abord écouter les doléances parce que les besoins de la population on ne peut plus multiples et les soumettre sans trop tarder à la hiérarchie supérieur. »

Comme sa consœur, l’état de la route qui mène à Mutambu revient, mais elle rajoute le besoin d’un grand centre hospitalier parce qu’elle trouve que le centre de santé de sa localité est exiguë et l’empêche d’accueillir les cas extrêmes: « Des fois, nous recourons à un hôpital qui est trop éloigné, si c’est une femme enceinte, il arrive des fois qu’elle ait des problèmes au cours de la route et l’ambulance n’est pas toujours disponible à tout moment ou pour tout le monde » plaide-t-elle.

Elle fait aussi savoir que l’hospitalisation au centre de santé de Mubone ne dépasse pas trois jours: « Un malade hospitalisé ne dépasse pas 3 jours, après 3 jours d’hospitalisation, il doit céder la place à un autre et ainsi de suite. »

Elle appelle aussi aux prochains candidats de penser à construire beaucoup d’écoles dans sa localité: « La population augmente de plus en plus et le peu d’écoles que nous avons n’arrivent plus à contenir tous les enfants qui sont en train de naître. »

Pour Elisabeth, la bonne cohabitation dans sa communauté n’aurait existé si la sensibilisation n’y était pas: « Les gens se sont levés et ont commencé à sensibiliser sur la bonne cohabitation, le respect mutuel malgré nos différences politiques, ethniques, religieuses et autres et maintenant, chacun est libre d’exprimer ses sentiments sans aucun problème. »

Elle fait aussi savoir que dans sa localité, les habitants ont regagné une confiance mutuelle: « Maintenant un habitant qui a un problème quelconque n’a plus peur de frapper à la porte d’un voisin. »

Cette leader prône pour un candidat qui assurera un avenir meilleur et un développement durable, un leader qui n’amènera pas la division ou qui viendrait perturber la paix déjà existante: « Voyez comment l’administratrice accueille tout le monde sans distinction, écoute à tour de rôle chaque doléance, c’est ce genre de dirigeant que nous voulons après ces élections qui pointent à l’horizon. »

Entre maltraitances et laxisme de l’administration

Beckham Vyizavyimana est un jeune homme de 16 ans, originaire de la colline Mena, zone Randa de la commune Kabezi. Il est venu au chef-lieu de la commune Kabezi pour chercher sa carte d’identité. Il demande aux futurs élus parlementaires de s’intéresser davantage au bien-être des enfants. « Je veux qu’ils plaident pour le bien-être des jeunes, qu’ils ne soient pas abusés. »

Beckham appelle aussi les futurs élus locaux à faciliter l’octroi de certains documents de la commune. « La procédure est longue. Si la prochaine administration peut améliorer le service, ce sera vraiment bien. » Il demande aux futurs parlementaires et conseillers communaux de plaider pour amener l’électricité dans leur colline.

La maltraitance masculine, un calvaire

Elias Irankunda, originaire de la colline Mena, est un homme marié. Parmi les plus grands problèmes dans la commune de Kabezi, il dit que les hommes sont très maltraités par leurs épouses aux yeux et au su de l’administration locale: « Nous, les hommes, sommes maltraités ; les femmes sont plus écoutées et favorisées par l’administration locale. Ma femme, personnellement, est devenue l’homme de la maison. Je n’ai plus de droits dans ma famille. »

Même calvaire pour Célestin Ntunzwenimana, originaire de la colline Gitenga, de la zone Mubone. « Dans ma famille, j’ai également des problèmes conjugaux avec mon épouse. Mais sur ma colline, les élus locaux (chef collinaire, chef de secteur) connaissent mes problèmes, mais ils ne font rien pour les résoudre. Les hommes sont maltraités aux yeux et au su des administrateurs locaux, et nous, les hommes, sommes dénigrés. Il y a cette habitude que ce sont les femmes, seules victimes, alors que les hommes aussi sont maltraités », regrette-t-il.

Ils exhortent les futurs élus et autorités locales à prendre en considération le « blues » des hommes et à ne pas favoriser uniquement les femmes.

Le dur quotidien des habitants de Kabezi

A Kabezi, le manque d’eau potable, l’accès limité à l’électricité et l’envolée des prix sont au cœur des préoccupations. Au-delà des tensions politiques, c’est la dureté du quotidien qui pèse le plus lourd sur les épaules des habitants de Kabezi. « Il y a un seul robinet pour tout un quartier. Certains placent jusqu’à 30 bidons pour une seule personne. Moi, avec un seul bidon, je dois attendre des heures. Et si l’eau est coupée, on va au lac. L’eau est sale. Elle serve pour la cuisson et la douche. C’est comme ça qu’on tombe malades », déplore Diane Ndayikeza.

La vie à Kabezi devient de plus en plus difficile, mais c’est surtout la flambée des prix qui la rend insupportable. « Le sac de charbon est passé de 50 000 BIF à 90 000 BIF. L’huile de 300 BIF à 1 000 BIF. Même les tomates sont devenues un luxe. » Elle soupire: « Aujourd’hui, 10 000 BIF ne tiennent même pas une journée. »

François Nduwimana, un jeune homme de 19 ans originaire de la colline Kabezi, zone Magera, renchérit: « Aujourd’hui, tu vas au marché pour acheter un kilo de viande à 28 000 BIF, demain, tu retournes et elle est à 35 000 BIF. »

Elias Irankunda parle également de la cherté de la vie dans cette commune: « Les prix sont hors norme. Par exemple, la farine de maïs était entre 1 800 et 2 000 BIF, désormais elle est à 2700 BIF. Le sel, qui est un produit de première nécessité, s’achète à 3500 BIF le kilo ; avant, il était à 1500 BIF. » De plus, souligne-t-il, ils sont fragilisés par la maladie du paludisme. « Nous demandons également des moustiquaires. »

François exhorte surtout les dirigeants à s’attaquer à la flambée des prix., déplore-t-il, avant d’ajouter: « Le problème de carburant doit être réglé, c’est trop. Les déplacements sont devenus un casse-tête. Par exemple, le prix du ticket pour le tronçon Ruziba – Kabezi, avant la crise, était de 1 000 BIF ; maintenant, il faut 4 000 BIF pour se déplacer. Par conséquent, un commerçant qui se déplace à ce prix augmente à son tour ses produits pour y gagner un revenu. »

Un autre problème est la rareté des boissons des produits Brarudi, ainsi que leur cherté: « Parfois, on a des fêtes chez nos beaux-fils et si tu t’y rends sans boisson, il peut t’accuser de ne pas le respecter, alors que c’est dû au manque de ces produits », confie un sexagénaire de la commune Kabezi. Rénovat Ndabazaniye, cinquantenaire et originaire de la colline Masama, zone Migera, abonde dans le même sens. « Il y a de la famine, de l’extrême pauvreté. Les prix sont hors normes, particulièrement pour les produits Brarudi. Par exemple, une bouteille de Primus s’achète à 5000 Fbu, et celle de Fanta entre 2000 et 2500 Fbu. Pour des gens pauvres comme nous, il est donc difficile de se procurer ces produits », regrette-t-il, tout en indiquant qu’il est difficile de manger à sa faim ces jours-ci.

Manque d’eau potable et d’électricité

Ce grand-père fait également savoir que sur sa colline, il n’y a ni courant électrique, ni eau courante: « Il n’y a même pas de poteaux électriques. De plus, nous ne buvons que l’eau de la rivière Kivumo, car il n’y a pas de bornes-fontaines publiques. » Il demande aux futurs parlementaires et dirigeants locaux de faire leur possible pour leur fournir ces infrastructures essentielles à leur vie quotidienne: « Nous voulons aussi habiter, dormir dans des maisons éclairées et boire de l’eau propre. » Ce jeune homme demande également avec insistance la réhabilitation des routes délabrées dans leur commune et l’accès à l’électricité pour sa colline.

Il déplore que l’électricité puisse se couper plus de 4 fois par jour.

En ce qui concerne la flambée des prix, les commerçants se justifient: le transport coûte cher. Mais au final, ce sont les familles qui trinquent. Le fossé entre les revenus et les prix du marché accentue la précarité, et l’impuissance se fait sentir dans les propos des habitants.

Une harmonie globalement saluée, malgré quelques nuances

Irakoze Claude est un jeune homme de 19 ans, originaire de la colline Buhima II, en commune Mutambu de la province de Bujumbura rural. Dans son travail au quotidien, il est restaurateur à Kabezi. Ce jeune homme déclare qu’il participera bel et bien aux prochains scrutins. Du coup, il demande aux futurs élus de la province élargie de Bujumbura de faire leur possible pour les jeunes: « Je veux qu’ils travaillent pour donner du travail aux jeunes comme moi. »

Concernant la cohabitation des différents membres des partis politiques, Claude souligne qu’il n’y a pas d’altercations ni d’embrouilles pendant cette période électorale. « Tout le monde vaque à son travail sans problème. »

Samuel Irakoze est un jeune coiffeur, originaire de la colline Kabezi, zone Magera, qui indique que la cohabitation entre les différents membres des partis politiques est en général bonne. « Les membres de différents bords politiques cohabitent pacifiquement, même si parfois il y a des « hics » entre les jeunes. En gros, la cohabitation est bonne, et on se donne des conseils entre nous pour garder cette fraternité. »

Ce jeune déplore le comportement malsain de certains élus qui, une fois arrivés au pouvoir, travaillent contre l’intérêt des jeunes: « Nos dirigeants doivent nous prouver que nous avons fait le bon choix en les confiant notre destinée. »

Gérard Bazikwankana, originaire de la colline Rugendo, zone Mubone, indique qu’il attend impatiemment le jour des élections. « Dans ma colline, tout le monde a été enrôlé. Le chef de colline nous a beaucoup sensibilisés. »

Concernant la cohabitation avec les membres des différents partis politiques, le cinquantenaire indique qu’il n’y a pas de problème: « Personne ne blâme l’autre pour son appartenance ou son choix politique, et il n’y a pas non plus de chamailleries quand ils se retrouvent pour d’autres activités. Personne ne se voit refuser la participation à un événement en raison de son appartenance politique ; il n’y a pas de telle discrimination dans notre commune », dit-il.

Gérard espère que les futurs élus pour lesquels ils vont voter seront vraiment de véritables représentants du peuple: « Nous voulons qu’ils plaident pour l’acquisition de l’électricité dans notre commune et qu’ils multiplient les hôpitaux. »

Selon Rénovat Ndabazaniye, la cohabitation entre les membres des différents partis politiques est en général bonne: « La sécurité est XXL ; il n’y a pas d’altercations entre les différents membres, vraiment, c’est bon. Nous sommes unis, car nous sommes tous des Burundais », dit-il.

Ndabazaniye souligne qu’au moment des campagnes des candidats, il y a ceux qui commencent à marginaliser les autres, à générer des comportements discriminatoires: « Toi, tu n’es pas de mon ethnie. » Il appelle à l’unité en tant que citoyens burundais, en veillant au respect de l’autre.

Un bémol

Malgré ces témoignages, il y a un hic. Les tensions politiques sont palpables. Certains habitants évoquent des disputes entre jeunes de différents partis, des cas de torture, et un sentiment général d’injustice. Pour beaucoup, les périodes électorales ne riment pas avec démocratie, mais avec peur et instabilité. « Pendant la période des élections, tu ne sais jamais ce qui peut arriver. Ici, il y a beaucoup d’insécurité », confie A.N, une agente de Lumicash. Elle décrit des affrontements réguliers entre membres de partis politiques différents, des intimidations, voire des actes de torture. « Le parti au pouvoir, c’est lui qui a la parole. Aller se plaindre, c’est comme se plaindre à un piton ( kuja kwitwara ni nko kwitwara ku nsato). C’est une perte de temps. » Son témoignage illustre la défiance profonde envers les institutions locales, et un sentiment d’abandon partagé par d’autres habitants.

Diane Ndayikeza, elle aussi agente de Lumicash, fait écho à cette peur: « Nous demandons que les élections se passent dans la paix. Dernièrement, pendant ces périodes, il y avait des balles, on se dispersait, on quittait nos habitations, la vie devenait un désordre. » Rappelant les épisodes précédents, où des élections ont été marquées par la peur, les fuites, et les divisions entre communautés. Son visage, marqué par la fatigue, semble dire qu’elle craint que l’histoire ne se répète. Cette réalité d’une population ballotée par les tensions électorales s’accompagne d’un appel à la responsabilité des partis: « Il faut mettre fin aux provocations entre les membres des différentes formations politiques. »

La politique reste présente

Dans ce contexte difficile, la population ne reste pas totalement passive. Plusieurs citoyens affirment s’être inscrits sur les listes électorales, dans un geste d’espoir et de civisme. « Je me suis inscrite pour voter », indique Jeanine Niyimfasha, habitante de la colline Rushana, assise dans les herbes, le regard vide et l’air désespéré. Elle explique que la vie quotidienne est une lutte permanente: « On cherche des petits boulots, on emprunte pour démarrer un petit commerce, et on rembourse comme on peut. »

Jeanine est une cheffe de colline. Elle est chargée de sensibiliser les habitants à participer aux élections, mais elle doit faire face à la méfiance de ceux qu’elle encadre. Une tâche loin d’être aisée: « Les gens me disent: quand il y avait de l’argent à distribuer aux défavorisés, personne ne nous a sensibilisés, mais maintenant que c’est pour voter, vous venez. » Cette défiance a créé des tensions dans la communauté, renforçant le sentiment d’abandon. Elle indique qu’elle tente de rassurer, de calmer les tensions, mais elle sent bien que la confiance est brisée. « Il y a eu une inscription pour les défavorisés, sans savoir qu’il y aurait de l’argent à la clé. Quand certains ont reçu de grosses sommes, ceux qui n’étaient pas inscrits ont crié à l’injustice. Moi-même, en tant que cheffe de cellule, je n’ai rien reçu. »

Malgré cela, Jeanine assure que « les préparatifs des élections se passent bien », et continue de sensibiliser les citoyens à exercer leur droit de vote.

Au cœur de ces difficultés, les services publics semblent eux aussi défaillants. A.N. évoque notamment sa récente expérience, le manque de professionnalisme de certains agents administratifs ou de santé. « Tu peux aller demander un service urgent et tomber sur des femmes en pleine discussion. Elles t’ignorent, alors que tu attends. Hier, j’étais au centre de santé pour un vaccin: on y est restées de 8h à 16h. » Ce genre de comportement, selon elle, nourrit le désespoir de la population déjà épuisée.

Malgré la fatigue, la peur et la frustration, les habitants de Kabezi gardent l’espoir d’un changement. Tous les témoignages convergent vers une même attente: que les élections permettent enfin une amélioration réelle de leurs conditions de vie. « On ne demande qu’à se développer pour que nous soyons comme les autres », affirme Jeanine.

Interview avec Espérance Habonimana
« Les femmes qui hésitent doivent s’inspirer des autres qui sont déjà en politique. »
Comment la population se prépare aux prochaines élections?

Dans la commune de Kabezi, la population se prépare bien pour les élections. Ils se sont inscrits et n’attendent que le jour des élections. En observant la population, il n’y a pas de problèmes majeurs, sachant que l’on leur a expliqué que les élections les concernent directement et que les élections sont un moyen de valoriser le pays.

On leur a précisé que, comme d’habitude, les élections se dérouleront sur une seule journée et qu’elles ne perturberont pas leurs activités quotidiennes. Nous les avons appelés à rester pacifiques et à attendre, après les élections, les directives des dirigeants. La population s’est enrôlée massivement, même si, au début, ils n’avaient pas encore bien compris. Mais après les séances de sensibilisation, ils ont commencé à participer activement.

Quid de la cohabitation politique entre les militants des partis politiques?

Nous avons 12 partis politiques sur la liste, mais ceux qui sont réellement actifs sont le CNDD-FDD, l’UPRONA, le CNL et le FRODEBU. Ce sont ces partis que l’on voit sur le terrain.

La cohabitation politique dans notre commune de Kabezi est assez bonne. Les partis politiques présents à Kabezi travaillent en toute quiétude. Parfois, lorsque nous avons des réunions avec eux, ils nous disent qu’ils sont à l’œuvre et qu’il n’y a pas de problèmes. Même s’ils rencontrent quelques difficultés, nous nous entraidons.

Bien que certains dénoncent des chamailleries, en réalité, il n’y en a pas dans notre commune, car les membres de différents partis cohabitent ensemble. Certains sont frères, parents ou enfants. Leur cohabitation est harmonieuse grâce à de nombreuses sensibilisations qui leur ont montré que, même s’ils ne sont pas dans les mêmes partis, ils sont d’abord des frères, des voisins, des habitants de la même colline, de la même commune et du même pays.

Ils peuvent discuter en paix des choses qui les divisent, en se donnant la parole mutuellement pour que chacun entende le raisonnement de l’autre et fasse son choix en fonction des discours des partis. Comme on le dit souvent, les chamailleries dans la population sont dues à la famine. Nous avons donc encouragé les habitants, avec les dirigeants des partis, à s’adonner à l’agriculture afin d’avoir de quoi manger.

Comment se porte le secteur éducatif?

Concernant le secteur éducatif, la situation est bonne. Nous avons 12 collines, et chacune dispose d’une école, ce qui signifie que les enfants ont accès à l’éducation, même si le taux d’élèves est très élevé.

Nos écoles fonctionnent normalement. Nous avons reçu 240 bancs-pupitres, et les natifs ont également fait don de 120 bancs. Le ministère de l’Education a aussi contribué en fournissant des bancs dans notre commune.

Et les enseignants?

Le nombre d’enseignants reste insuffisant, mais nous maîtrisons la situation. Lorsque nous manquons des enseignants, nous faisons appel à des vacataires, payés par la commune. Nous avons 60 vacataires qui sont rémunérés grâce aux contributions faites par la commune. Les parents constatent aussi la nécessité de contribuer.

Parlons du secteur de la santé

La situation est bonne dans notre commune. Parmi les 12 collines, 3 ne disposent pas encore de centre de santé dans le programme TABARIRO.

Nous avons également un hôpital privé tenu par des Sœurs, et cette année même, un nouvel hôpital privé a été construit. Cependant, nous ne pouvons pas dire que tout est parfait, car il reste ces 3 collines sans centre de santé.

La commune Kabezi a-t-elle des routes suffisantes?

En ce qui concerne les routes, il y en a, même si leur construction n’est pas encore totalement terminée. La population a pris conscience que là où il n’y a pas de bonnes routes, il n’y a pas de développement. Elle a donc commencé à entreprendre des travaux pour améliorer l’état des routes. Ce que nous demandons aujourd’hui, c’est de l’aide de l’Agence Routière du Burundi (ARB) pour nous soutenir dans les zones où nous rencontrons des difficultés pour construire et pour nous aider à construire des ponts. Les routes qui nous paraissent les plus difficiles ont été signalées à nos supérieurs, et cela est inscrit dans le livre des projets communaux.

Quid de la participation des femmes aux prochaines élections?

Je suis ici en tant que femme dirigeante parce que j’ai vu que les femmes peuvent aussi participer en politique. Quand on entre en politique, on rejoint un parti et on travaille. Rien ne peut empêcher une femme de participer, tout dépend de ses capacités en politique. Aujourd’hui, les femmes de la commune de Kabezi sont prêtes à participer et à être présentes dans les partis politiques, et elles y travaillent activement. Nous les encourageons à continuer.

Parfois, on dit qu’elles se discriminent, mais cela vient du fait qu’elles n’ont pas encore reçu les enseignements nécessaires pour comprendre qu’elles peuvent aussi être présentes dans les partis politiques. Aujourd’hui, nous avons deux collines dirigées par des femmes, et ces deux collines sont bien organisées. Ces dirigeantes ont une parole devant la population. Cela sert d’exemple pour sensibiliser les autres femmes. En observant les associations dirigées par des femmes, on constate qu’elles sont bien structurées.

Concernant les représentants des partis qui sont en compétition, les femmes occupent des places importantes. Elles participent activement, tout comme les hommes. Nous constatons que leur implication est en nette amélioration. Les jeunes, eux aussi, participent activement.

Je conseillerais aux femmes qui hésitent à s’impliquer de s’inspirer des autres femmes qui ont compris qu’elles peuvent participer au développement du pays par la politique. Tout est lié à la politique. Elles doivent comprendre qu’elles peuvent être candidates et apporter leur aide à la société.

Lors des campagnes électorales, il s’observe des bagarres entre les militants des partis politiques, quels conseils pour vos administrés?

Je conseillerais à ceux qui ont des opinions politiques divergentes de se rendre compte que ne pas être dans le même parti que son voisin ne signifie pas que c’est ton ennemi. Nous leur disons que, dans une démocratie, chacun choisit son parti auquel il appartient en fonction des projets proposés. Je les encourage à cohabiter en paix, à s’entraider et à mener une campagne sans violence.

Les enseignements donnés aux membres des partis politiques doivent les inciter à aller à la rencontre de la population pour présenter les projets de leur parti, en se concentrant sur le développement de la population. Aujourd’hui, la population regarde de près l’utilité du parti pour elle.

Rencontre avec Marie Louise Baricako
« La capacité des quotas de transformer les politiques reste encore très limitée. »
Quid de la représentation de la femme dans les instances de prise de décision?

Nous voudrions analyser la question de la participation des femmes dans les instances de prise de décision dans la perspective tant du nombre que de l’impact. En dépit de la mise en place des quotas pour garantir la présence féminine dans les instances de prise de décision, leur influence et leur capacité de transformer les politiques restent encore limitées par des facteurs socio-culturels et politico-ethniques.

L’écart entre le nombre de femmes participant aux instances de prise de décision et l’impact de leur présence reste en effet une question qui compromet la légitimité du combat pour la participation des femmes au processus de prise de décision.

Comment?

A l’origine de ce décalage entre le nombre et l’influence des femmes engagées dans la politique et les instances de prise de décision, il y a notamment les obstacles socioculturels et l’exclusion tenant à histoire jonchée de crises socio-politiques qui ont endeuillé le Burundi depuis son indépendance jusqu’aujourd’hui.

La résolution durable de ce problème lié à la marginalisation des femmes burundaises passera par une forte volonté politique accompagnée de l’engagement des dirigeants. Il faudra également initier la promotion déterminée de l’éducation et de l’engagement des femmes, en vue de leur émergence publique comme actrices politiques au même titre que les hommes et sans aucune distinction. En outre, il faudra favoriser à tout prix l’émancipation et la responsabilisation des femmes burundaises, en mettant un accent particulier sur le rôle moteur de la femme dans le développement durable du pays.

Quelle est la situation aujourd’hui?

Il sied de reconnaître dès le départ l’avancée remarquable réalisée par le Burundi en ce qui concerne la participation des femmes dans les instances de prise de décision, grâce à l’introduction des quotas constitutionnels.

En effet, la Constitution burundaise de 2005 a instauré un quota d’au moins 30 % de femmes dans certaines instances électives et nominatives, notamment au Parlement, au gouvernement, dans les conseils communaux et à certains postes de l’administration et de la justice.

L’application de ces quotas a permis une augmentation significative de la représentation des femmes au Parlement, de sorte qu’après les élections de 2020, les femmes représentaient environ 41,5 % des députés à l’Assemblée Nationale et 41 % des sénateurs.

La présence des femmes au sein du gouvernement a également progressé, atteignant 33,3 % des postes ministériels en 2020 (7 femmes sur 21 ministres).

On a vu également une représentation accrue des femmes au niveau de l’administration locale, avec environ 36 % des postes d’administrateur et 33 % des sièges dans les conseils communaux occupés par des femmes, encore une fois, après les élections de 2020.

Globalement, on pourrait dire que depuis l’instauration des quotas en 2005, la représentation des femmes dans les postes électifs concernés a connu une progression constante, respectant généralement le seuil de 30 %.

Mais…

Cependant, force est de constater que l’impact de cette amélioration reste encore très minime. Les quotas sont respectés comme pour faire croire au monde que les femmes ont une place dans la gouvernance du Burundi, mais quand on regarde le changement que cela apporte dans la gouvernance inclusive et centrée sur le peuple qui devrait s’en suivre, on constate qu’il reste encore beaucoup à faire. Au-delà de cette avancée au niveau du nombre, même s’il faut encore l’augmenter, leur impact et leur capacité de transformer les politiques reste encore très limitée.

Quels sont alors les défis?

Des défis importants subsistent, notamment en ce qui concerne l’inclusion des femmes dans tous les secteurs et à tous les niveaux, ainsi que la nécessité de surmonter les obstacles socio-culturels et économiques. Une plus grande volonté politique et un engagement manifeste de la part des dirigeants du pays, ainsi que le plaidoyer inlassable des femmes ouvriront certainement la voie à une participation effective des femmes dans les instances de prise de décision au Burundi.

Les dirigeants devront passer de la parole aux actes, des principes à la concrétisation de leur engagement.

L’engagement politique des dirigeants en faveur d’une gouvernance centrée sur le peuple leur permettra de réaliser que sans les 52,2 % de la population totale que représentent les femmes selon le dernier recensement, la paix et la sécurité, ainsi que le développement durable ne seront pas possibles au Burundi. Cette courbe numérique doit toujours être prise en compte lorsqu’il s’agit de déterminer les quotas de représentation dans les institutions et instances de prise de décisions.

Quelles sont les contraintes qui entravent la participation active de la femme dans les institutions de prise de décision?

Parmi les obstacles qui freinent la participation des femmes, on pourrait citer la coutume et surtout les mentalités patriarcales qui ont toujours été et demeurent encore un obstacle majeur à l’émancipation de la femme et empêchent sa participation active dans la vie socio-politique du pays. La femme est encore perçue comme une actrice de l’arrière-cour, ne devant se consacrer qu’à la sphère familiale et domestique (le foyer, les enfants, le ménage).

Il y a aussi le manque de soutien, lorsque certaines femmes se voient encore obligées de requérir l’autorisation de leur mari pour s’engager politiquement, ce qui limite la liberté d’engagement des femmes.

Un autre obstacle est l’accès limité des filles à l’enseignement supérieure. Le pourcentage des filles qui accèdent à l’enseignement supérieur reste encore faible malgré leur enrôlement massif au primaire et au premier cycle de l’enseignement secondaire. Dès que les moyens manquent au niveau de la famille, les parents favorisent les garçons au détriment des filles.

En outre, les filles sont encore victimes de diverses formes de violences basées sur le genre, qui les forcent à abandonner l’école alors qu’elles avaient la capacité de continuer et terminer. Enfin, l’absence de politiques claires favorisant la participation politique des femmes au sein des partis politiques.

Certains parlent de l’absence de solidarité entre les femmes, est-ce votre avis?

Il est vrai que le manque de solidarité entre femmes peut constituer un obstacle, étant donné qu’elles constituent une grande partie de l’électorat. Certaines femmes ne soutiennent pas toujours leurs paires, elles optent de soutenir plutôt des figures masculines.

Mais ce manque de solidarité peut aussi être dû au choix des candidates à présenter, qui ne sont pas nécessairement toujours les plus qualifiées ou les plus engagées, comme cela dépend des responsables des partis qui désignent les candidats à mettre sur les listes électorales. Par ailleurs, ce manque de soutien des femmes ne devrait pas justifier à lui seul la faible participation des femmes dans les sphères de prise de décision que l’on observe au Burundi.

Cette question soulève notamment l’importance de renforcer les réseaux de soutien et de mentorat entre femmes pour promouvoir une participation politique féminine plus effective et plus active.

Que peuvent faire les femmes pour accéder à ces instances de prise de décision?

Les femmes peuvent s’engager activement dans la vie politique et communautaire en dépassant les stéréotypes et en renforçant leur confiance de soi, rejoindre ou créer des associations de femmes pour mutualiser les efforts et faire un plaidoyer pour les lois plus égalitaires.

Elles peuvent organiser des programmes de formation et de sensibilisation sur les droits des femmes, le leadership et la participation politique, en ciblant particulièrement les femmes rurales et les jeunes filles ; soutenir et accompagner les femmes dans leurs démarches pour se présenter aux élections locales et nationales, en leur fournissant les ressources et les formations nécessaires.

Quels conseils pouvez-vous prodiguer aux femmes burundaises pour les prochaines élections?

Je conseille aux femmes de participer massivement comme candidates sur les listes électorales là où cela est encore possible et soutenir d’autres femmes candidates lorsqu’elles sont compétentes. Elles doivent participer activement aux campagnes électorales.

Quels sont les projets prioritaires pour les femmes que les futurs dirigeants peuvent mettre en avant?

Les futurs dirigeants devraient prioriser l’autonomisation économique des femmes, notamment par le soutien aux initiatives entrepreneuriales féminines. Sans oublier la lutte efficace contre les violences basées sur le genre.

Les futurs dirigeants doivent mettre en place de politiques tenant compte de l’égalité de genre et favorisant la participation équitable des femmes dans toutes les sphères de prise de décision.

Il faut réformer les lois non égalitaires et l’adoption de la loi sur les successions et les libéralités.

Les futurs dirigeants doivent respecter les quotas obligatoires dans les institutions en saisissant toutes les opportunités pour relever ces quotas vers la parité hommes-femmes.

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