Émulsifiants Liés aux Maladies Cardiovasculaires et Cancers

1
Émulsifiants Liés aux Maladies Cardiovasculaires et Cancers
Émulsifiants Liés aux Maladies Cardiovasculaires et Cancers

Africa-Press – Burundi. Derrière ce terme obscur se cache une famille d’additifs très présente dans la liste des ingrédients des denrées alimentaires. Or, les scientifiques s’accordent de plus en plus à les considérer comme potentiellement nocifs pour la santé. « En septembre 2023, nous avons publié dans le British Medical Journal un travail épidémiologique montrant une association entre la consommation de sept agents émulsifiants et un risque accru de maladies cardio-vasculaires, alerte Mathilde Touvier, directrice de recherche à l’Inserm. En février dernier, nous avons révélé dans Plos Medicine une association entre trois émulsifiants et des risques de cancer. Nous menons aussi des travaux sur le diabète de type 2. »

Les émusifiants, utilisés massivement par l’industrie

Le rôle des émulsifiants est de favoriser le mélange de deux substances non miscibles comme l’huile et l’eau. Ils empêchent, par exemple, l’huile de remonter à la surface d’une pâte à tartiner ; ils maintiennent la texture des crèmes glacées et de nombreux produits laitiers ; ou encore prolongent la conservation des gâteaux et biscuits sous emballage.

Aussi, l’industrie agroalimentaire les utilise massivement: selon l’association Open Food Facts (lire l’encadré ci-dessous), 53,8 % des produits alimentaires industriels en contiennent au moins un. Parmi les plus connus: la lécithine de soja (E322), la gomme arabique (E414), la cellulose et ses dérivés (E460 à 468), les carraghénanes (E407) ou le mono- et diglycérides d’acides gras (E471). Pas moins de 261 formulations différentes sont autorisées par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa).

Le « Wikipédia » de l’alimentation

Open Food Facts est une initiative citoyenne lancée en 2012 dans le but de rendre accessible à tous la composition des denrées alimentaires. Son développement a été facilité par l’adoption en 2011 d’un règlement européen rendant obligatoires 12 mentions sur les produits alimentaires emballés, incluant la liste des ingrédients, la déclaration des allergènes et le tableau nutritionnel. Les deux cofondateurs d’Open Food Facts, Stéphane Gigandet et Pierre Slamich, ont exploité ces obligations en mobilisant une communauté de volontaires qui photographient les emballages et alimentent une base de données. En France, environ un million de personnes ont participé au moins une fois à ce projet géré par une association loi 1901. Les données sont accessibles sur le site d’Open Food Facts.

Ils sont devenus un sujet de préoccupation au cours de la dernière décennie: entre 2010 et 2023, le nombre de publications scientifiques qui leur étaient consacrées a bondi de 120 à 790 sur Pubmed, la base de référence pour les articles biomédicaux. « Jusqu’au début des années 2010, la plupart des émulsifiants étaient considérés comme des substances neutres puisque dépourvues de calories, ni bénéfiques ni négatives pour la santé. Lorsqu’elles étaient consommées, il était convenu de penser qu’elles passaient dans le tube digestif sans être absorbées par l’intestin, et donc ne se retrouvaient pas dans la circulation sanguine. L’Efsa n’a émis de restriction de consommation que pour quelques-unes, plus précisément une dose journalière admissible « , explique Pauline Raoul, coautrice d’une synthèse sur ces additifs pour la revue scientifique Foods.

Des pathologies qui touchent surtout les pays riches

Cependant, une série de travaux sur le microbiote intestinal (l’ensemble des bactéries, virus, champignons, micro-organismes qui colonisent notre intestin) va remettre en cause cette affirmation. Parmi eux, ceux de l’équipe du biologiste Jeffrey Gordon, de l’université Washington à Saint-Louis (États-Unis), ont montré que chez les personnes en surpoids important, le microbiote intestinal présentait un déséquilibre, ce que les scientifiques nomment une dysbiose. Par ailleurs, un transfert du microbiote d’une personne obèse à une souris sans microbiote amène cette dernière à grossir de manière incontrôlée.

« Au départ, ces travaux ont surpris, mais depuis, ces expériences ont été reproduites et elles constituent aujourd’hui un standard pour la recherche. Elles démontrent que dans l’étude de certaines maladies, un micro-biote altéré est un facteur déterminant, complète Benoît Chassaing, chercheur à l’Institut Cochin, à Paris. Ces découvertes ont soulevé de nouvelles interrogations pour les scientifiques: qu’est-ce qu’un microbiote sain? Quels sont les facteurs susceptibles de le perturber? »

Parallèlement, dans les pays industrialisés, les chercheurs constatent le développement de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (Mici). En France, entre 1998 et 2008, une augmentation de plus de 70 % de ces affections a été observée parmi les jeunes âgés de 10 à 19 ans, et 270.000 personnes sont suivies pour ces pathologies, selon l’observatoire des Mici (Epimad).

« Comme ces maladies touchent en priorité, en dehors de facteurs génétiques, les habitants des pays riches, nous avons émis l’hypothèse que l’augmentation de ces affections était liée au mode de vie, notamment à l’alimentation, explique Carlos Monteiro, épidémiologiste brésilien spécialiste des aliments ultratrans-formés. Nous consommons de plus en plus d’aliments riches en additifs (édulcorants, exhausteurs de goût, colorants, émulsifiants) et en arômes. Nous avons commencé à penser que ces molécules interagissaient avec notre microbiote intestinal, qu’elles pourraient être à l’origine de ces dysbioses et favoriser des maladies métaboliques comme le diabète, l’obésité et les Mici. Très rapidement, l’attention s’est portée sur les émulsifiants en raison de leur utilisation massive aux États-Unis. »

Des effets saisissants observés chez les souris

Pour étayer cette hypothèse, un travail précurseur mené en 2009 par Alexander Swidsinski de l’université Humboldt, à Berlin (Allemagne), a montré qu’un émulsifiant, le carboxyméthyl cellulose ou E466, entraînait une inflammation chronique de l’intestin grêle chez les souris sensibles. Six ans plus tard, Benoît Chassaing, qui se trouvait alors au centre de recherche sur l’inflammation, l’immunité et l’infection de l’université d’État de Géorgie (États-Unis), apporte de nouvelles preuves dans une publication parue dans la revue Nature: « Nous avons donné à des souris deux émulsifiants (E433 et E466) largement utilisés aux États-Unis « , raconte le chercheur.

Les souris ont alors développé deux types de pathologies. Celles qui n’avaient aucune prédisposition génétique aux Mici ont manifesté une légère inflammation associée à une prise de poids aberrante. Mais celles qui, au contraire, avaient des prédispositions génétiques, ont présenté des inflammations très sévères. « Ces observations suggèrent que les agents émulsifiants ont un rôle dans l’épidémie de diabète de type 2 et d’obésité et participeraient aussi à l’augmentation des Mici « , conclut Benoît Chassaing.

Sur quelle base physiologique peut-on expliquer ces résultats? L’intestin est la partie de notre tube digestif qui permet aux molécules issues de la digestion d’être absorbées et d’aller nourrir l’ensemble des organes. Cette surface de contact est très protégée pour éviter que les molécules nocives ne pénètrent dans les tissus internes. La première barrière est un mucus (une sorte de gel), la deuxième est constituée de cellules dites épithéliales reliées entre elles par des jonctions serrées. La troisième ligne de défense est une barrière immunitaire. Les émulsifiants perturbent cette barrière de protection.

« Nous ne savons pas encore comment le dysfonctionnement se met précisément en place, concède Mathilde Body-Malapel, chercheuse à l’Institut de recherche translationnelle sur l’inflammation, à Lille. Ce que l’on peut dire, c’est qu’en interagissant avec le microbiote, l’émulsifiant va permettre à certaines bactéries de se retrouver dans la couche interne du mucus. » Reconnues comme étrangères, ces bactéries vont déclencher une réponse immunitaire: c’est l’inflammation. Une réaction normale, mais qui, si elle persiste, peut entraîner des lésions comme chez les personnes atteintes de Mici. « Rendue plus perméable, la paroi se trouve alors au contact des bactéries, l’inflammation devient chronique et le mécanisme s’autoentretient « , explique Mathilde Body-Malapel. Les émulsifiants sont-ils les seuls responsables de l’inflammation?

« D’autres processus comme l’ingestion de microplastiques ou la pollution de l’air peuvent également la favoriser, répond la chercheuse lilloise. Mais pour les émulsifiants, le degré de preuve est plus important. » En France, l’Équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (Eren), une collaboration de l’Inserm, de l’Inrae et de l’université Sorbonne Paris-Nord, est particulièrement en pointe sur le sujet.

Dans le cadre de sa cohorte NutriNet-Santé, plus de 175.000 personnes renseignent régulièrement le menu de leurs repas avec les marques des produits consommés. « Nous avons la chance de disposer de bases de données comme Open Foods Facts ou Oqali, qui décrivent précisément la composition des aliments mangés par nos volontaires, notamment le type d’additifs qu’ils ingèrent le plus régulièrement. Ce sont des données que n’ont pas les autres cohortes au niveau international « , souligne Mathilde Touvier, responsable de la cohorte Nutri-NetSanté. Elles ont permis de montrer l’impact des émulsifiants sur les maladies cardio-vasculaires et les cancers.

Associer épidémiologie et expérimentations

« Si les recherches en épidémiologie sont nécessaires, elles ne permettent pas à elles seules d’établir une causalité directe entre maladie et émulsifiant, relève son collègue Bernard Srour. Il faut une accumulation de preuves épidémiologiques et expérimentales. » C’est à ce travail que s’attellent Benoît Chassaing et son équipe de l’Institut Cochin. De retour des États-Unis, il a mené plusieurs séries d’expériences: l’une d’elles a consisté à reproduire un microbiote humain dans des tubes à essai et à tester 20 émulsifiants. La lécithine n’a eu aucun effet délétère, tandis que les carraghénanes (E407) et les gommes arabiques (E414) ont modifié significativement l’équilibre bactérien de la flore expérimentale.

Ensuite, il a mené une expérience dans laquelle sept volontaires ont suivi un régime enrichi avec un émulsifiant (E466) pendant onze jours, neuf autres servant de groupe témoin. À la fin, les premiers ont présenté un microbiote à la composition moins diversifiée, et pour deux participants, une inflammation intestinale. « Tous les émulsifiants n’ont pas un rôle dans la survenue d’un déséquilibre du microbiote, conclut le chercheur français. Par ailleurs, nous ne sommes pas tous égaux face à la dysbiose, car il y a une grande variété de microbiotes. »

Les recommandations émises en décembre 2022 par la Société européenne de nutrition clinique et de métabolisme préconisent, pour les patients atteints de Mici, d’éviter la consommation d’émulsifiants et plus largement de produits industriels riches en additifs. Un éditorial paru en janvier dans Gut-BMJ va même plus loin: il déconseille de donner ces aliments aux bébés de moins d’un an, une étude très documentée ayant montré qu’une consommation précoce augmente de façon significative le risque de maladies inflammatoires.

« En attendant de nouveaux résultats et une réévaluation de la réglementation européenne pour certains émulsifiants, s’il y a un message à faire passer au grand public, c’est de privilégier la consommation quotidienne d’aliments non transformés « , recommande Pauline Raoul.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Burundi, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here