Malvoyance: Solutions pour le Déficit Visuel en 2040

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Malvoyance: Solutions pour le Déficit Visuel en 2040
Malvoyance: Solutions pour le Déficit Visuel en 2040

Africa-Press – Burundi. Louis Braille (1809 -1852), inventeur éponyme – à 16 ans ! – du système d’écriture tactile par points saillants qui permet aux aveugles du monde entier de lire du bout des doigts, aurait sans doute adoré participer à l’atelier « Imaginons la vie d’un déficient visuel en 2040 ». Tel était le titre d’une matinée de réflexion proposée à une dizaine de malvoyants par le Campus Braille, un nouveau lieu dédié à la recherche et à l’innovation dans le domaine de la déficience visuelle tout juste inauguré en décembre 2024.

Réunies fin octobre 2025 à l’Institut National des Jeunes Aveugles (INJA), elles ont toutes pu exprimer et partager leurs besoins et attentes, sans s’interdire de rêver aux améliorations espérées d’ici les 15 prochaines années.

Le déroulement de cet atelier auquel Sciences et Avenir a assisté vient d’être restitué sous la forme d’un documentaire visible sur France 5 TV (émission « A vous de voir ») présenté aux journées du bicentenaire de l’écriture braille (13-15 novembre 2025, Paris) organisées par l’INJA, l’ ApiDV (Accompagner, Promouvoir, Intégrer les Déficients Visuels), l’Association Valentin Haüy, le Campus Louis Braille et la Fédération des Aveugles et Amblyopes de France.

200 000 personnes éligibles à l’obtention d’un chien-guide, or seuls 1% des malvoyants en bénéficient

« Pour notre premier anniversaire, nous voulions réfléchir ensemble aux usages concrets imaginables d’ici 2040 », expose en ouverture son directeur Thibaut de Martimprey, lui-même déficient visuel et accompagné de son précieux chien d’assistance. Mais le binôme qu’il forme avec cet animal n’est pas si fréquent. On estime en France à plus de 200 000 le nombre de personnes éligibles à l’obtention d’un chien-guide, or seuls 1% des malvoyants en bénéficient, ce dressage restant un travail long et spécialisé.

Mais au fait, malvoyant, déficient, aveugle… Où positionner le curseur?

En France, selon l’étude Homère menée en 2023, la plus vaste étude scientifique sur la population déficiente visuelle jamais menée au niveau national, on compte 1,7 million de Français atteints d’une déficience visuelle, dont 200 000 sont aveugles (ou malvoyants profonds, sans aucune perception de lumière). Des chiffres amenés à augmenter dans les années à venir, en raison du vieillissement de la population et des maladies qui en découlent (glaucome, DMLA…).

Dès lors, au-delà de l’aide que chacun peut trouver pour se déplacer via une éventuelle assistance animale mais aussi – et surtout – via l’entourage et/ou le recours à une canne blanche, connectée ou pas (différents modèles existent, comme Rango, Icane… ), quelles solutions imaginer d’ici 2040 pour être encore plus en lien avec le monde?

« Nous ne voyons toujours rien venir »

Vingt ans après la loi Handicap de 2005, il faut malheureusement reconnaître que celle-ci peine toujours à être appliquée dans sa totalité. « Nous ne voyons toujours rien venir », un slogan célèbre dans la communauté des déficients visuels, qui, à l’heure du monde connecté H24, rappelle que les malvoyants font bien partie des victimes de la fracture numérique (lire l’encadré ci-dessous). En France, on estime en effet que plus de la moitié des malvoyants présentent des difficultés quotidiennes, une personne déficiente visuelle sur deux étant sans emploi.

Evidemment, ces dix dernières années sont arrivés les smartphones, le numérique, les réseaux sociaux… et le quotidien de la communauté malvoyante s’est amélioré dans différents domaines, comme celui, essentiel, de la mobilité.

Si la possibilité de livraisons à domicile (courses, repas) s’est généralisée, se déplacer peut encore très souvent se compliquer: chiens guide trop rares, manque d’instructeurs de locomotion… et là encore, tout dépend évidemment de la sévérité du handicap, du lieu de vie (ville, campagne), de l’âge, du support de l’entourage et de ses moyens financiers.

“Avant, pour se déplacer, on était vraiment perdu n’importe où et on demandait de l’aide dans la rue », résume Mathys, chargé des études stratégiques et des partenariats financiers au Campus Louis Braille. Aujourd’hui, différentes solutions de navigation GPS et de guidage sonore (Ezymob, Sonarvision, Eyeview), avec parfois de la réalité augmentée, existent et « on pense aujourd’hui plus aux oreillettes, aux batteries et à la qualité du réseau”, note Mathys.

Une pétition pour rendre le numérique plus accessible à tous

Parce qu’un monde connecté ne doit pas être un monde excluant Aujourd’hui, moins de 3% des sites sont accessibles aux personnes aveugles et malvoyantes, et seules 15% des démarches administratives les plus utilisées en ligne respectent les obligations légales d’accessibilité. Depuis fin octobre 2025, une pétition circule sur cette question de l’accessibilité numérique.

Autre outil très utile et parfois disponible dès l’entrée de certains lieux (bâtiments administratifs, musées, salles de sport, écoles, locaux professionnels…): des plans tactiles. Ceux comme Virtuoz developpé par FeelObject sont de la taille d’un livre (13 cm x 23 cm) et ces cartes en relief que l’on peut tenir à la main permettent au malvoyant de construire, par le simple toucher, une représentation mentale de son environnement, ce qui l’aide à évoluer de manière plus autonome.

Autre projet visant lui aussi à améliorer la mobilité en cours de développement au Campus Braille, l’étonnante ceinture haptique (tactile) Artha. Fabriquée en France et récompensée du prix du concours Lépine 2024, elle se porte autour des lombaires et est reliée à une minicaméra clippée sur des lunettes qui capte en temps réel (même la nuit) les informations de l’environnement du malvoyant. Grâce à des algorithmes de calcul embarqué, les images sont transcrites et reproduites dans le dos de l’utilisateur sous forme de vibrations dites haptiques, c’est-à-dire de petits tapotements générés par la ceinture. Ces impulsions ressenties à travers les vêtements permettent alors à la personne malvoyante d’avoir là encore une perception tactile de son environnement, ce qui l’aide pour ses déplacements.

Sa commercialisation (2600 euros) est en cours quand d’autres entreprises, sur ce même créneau de l’haptique, prévoient elles plutôt des casques, comme celui de Dotlumen développé avec Dassault Systèmes.

Enfin, tous ici ont évidemment vu ou entendu parler du « robot chien guide » développé par Glidance qui ressemble plus à un aspirateur qu’à un quadrupède. Cette canne robotique auto-pilotée (5000 euros) promet d’accompagner les personnes malvoyantes aussi bien qu’un chien-guide sans les contraintes, selon les arguments marketing…

Moins de 10% des aveugles accèdent aux études supérieures

Mais comme souvent, tout commence à l’école. Et là, de l’avis de tous, les soutiens scolaires type AESH (accompagnant des élèves en situation de handicap) ne sont à ce jour ni assez nombreux, ni assez bien formés. Idem pour les lieux d’apprentissage spécialisés, encore trop rares, pointent les participants. Et s’il existe désormais de nombreux outils numériques favorisant l’autonomie (logiciels de lecture d’écran, d’agrandissement de texte, d’assistance vocale…), ils ne sont pas toujours disponibles ou connus.

Résultat: moins de 10% des aveugles accèdent aux études supérieures. Quant au braille — ce système en 63 signes qui permet d’obtenir lettres, chiffres, accents, signes mathématiques et scientifiques et même la musique ! —, seuls les aveugles l’apprennent. Mais là encore, la pénurie de formateurs en fait craindre la disparition.

Quant à la culture (lecture, cinéma…), le parcours reste pour le moins semé d’embûches. Quelques chiffres pour bien comprendre: à ce jour, seuls 10% des sites internet sont accessibles aux personnes aveugles et malvoyantes, 6% des livres sont adaptés, 100 films sur les 500 qui sortent chaque année en salles sont audiodécrits et 4% seulement pour les émissions de télévision…

D’où l’intérêt par exemple du travail plébiscité par les participants de l’atelier de l’association Les Yeux Dits qui a développé La Bavarde, une application entièrement gratuite qui centralise les audiodescriptions et les synchronise aux films, que le malvoyant se trouve dans une salle ou à son domicile.

Autre exemple que tous ceux réunis autour de la table connaissent et utilisent, l’application Bemyeyes. Gratuite, elle permet à un malvoyant confronté à une banale tâche du quotidien (trouver un objet échappé, décrire des images, lire une étiquette…) de contacter par un appel vidéo en direct avec son smartphone l’un des très nombreux bénévoles situés quelque part sur la planète qui l’aidera à distance, le smartphone du malvoyant filmant son environnement et renseignant sur la tâche à accomplir.

Les mondes de la tech et de la santé ne communiquent pas encore assez

En attendant qu’autonomie, accessibilité numérique et inclusion deviennent vraiment des réalités concrètes pour l’ensemble de la communauté, les participants de l’atelier, eux plutôt bien familiarisés avec les différents assistants vocaux et outils d’IA déjà disponibles, se disent prêts à passer à l’étape ultérieure.

Mehdi se voit bien porter en permanence des lunettes connectées, parler à un robot humanoïde qui l’accompagnerait dans ses déplacements quand Hugo attend lui beaucoup de sa voiture autonome et que Marie a, elle, prévu de voyager partout sans aide sur la planète avec des équipements aussi performants que discrets.

Mais tous sont aussi unanimes à juger que le monde de la tech ne communique pas encore assez (et inversement) avec celui du soin. Les deux planètes sont encore très éloignées l’une de l’autre, la première ayant le nez dans ses algorithmes, la seconde restant concentrée sur des solutions exclusivement médicales ou chirurgicales.

Mais cela devrait changer. « Nous voulons justement établir des ponts entre les deux et allons bientôt travailler avec certains hôpitaux comme celui des Quinze-Vingts », précise Thibaut de Martinprey.

La tâche sera ardue. Car même les acteurs officiels censés être eux bien informés ne le sont pas toujours. Exemple avec une mésaventure arrivée à l’un des participants à la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH), un guichet unique par département mis en place depuis la loi Handicap du 11 février 2005

“Je les ai contactés pour une aide à me procurer un four dit thermorelief, témoigne Hugo. Or, personne ne savait qu’il s’agit d’un dispositif permettant l’impression tactile sur un papier spécial de schémas et d’images et ils croyaient que je cherchais un four culinaire de restaurant »… Et le jeune homme de poursuivre: « Il faudrait aussi que les développeurs prennent en compte la malvoyance dans la mise au point de leurs outils numériques pour nous les rendre vraiment accessibles, ce n’est pas encore le cas ». « Prenons aussi garde au risque d’isolement induit par trop de technologie », avertit Mathys, « les liens humains, c’est bien aussi ».

Sans doute faudra-t-il enfin que d’ici 2040 que les très nombreuses associations et autres fédérations de malvoyants se modernisent et fassent évoluer leur discours perçu comme trop victimaire par la « Gen Z » qui, à l’inverse des aînés, ne s’y retrouve pas.

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