Quand la faim vide des salles de classe

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Quand la faim vide des salles de classe
Quand la faim vide des salles de classe

Africa-Press – Burundi. Au premier trimestre de l’année scolaire, 2022/2023, au moins 5 mille apprenants ont quitté l’école à Kayanza et à Cibitoke, plus de 7 mille à Kirundo et Ngozi, plus de 4 mille à Makamba, à Rutana et à Bubanza. Le manque de nourriture et la pauvreté dans les ménages sont évoqués comme principales causes par les responsables scolaires.

Gatara, une des communes les plus peuplées du Burundi est aussi une des trois communes où s’observe beaucoup de cas d’abandons scolaires en province de Kayanza après Rango et Kabarore. « En général, l’éducation se porte bien » a rassuré Elias Ciza, chef de Bureau d’Inspection communal à Gatara, jeudi 16 mars 2023.

Selon lui, les enseignants sont en train de préparer les examens pour le deuxième trimestre de l’année scolaire 2022-2022. Pourtant, il confie qu’au moins 490 sur plus de 19 mille élèves ont abandonné l’école à Gatara. « Après nos enquêtes, nous avons trouvé que 328 sur les 490 ont abandonné l’école à cause de la pauvreté dans leur famille ».

Pour la plupart, poursuit-il, ils abandonnent à cause du manque de nourriture. Il indique que les élèves en âge de travailler quittent le banc de l’école pour aller chercher de l’argent dans les villes du pays ou dans les pays de la sous-région.

Le chef de Bureau d’Inspection de la Direction communale de l’Éducation de Gatara (DCE) donne des chiffres de 35 cas d’abandons dont 22 filles à l’Ecole fondamentale de Kiririsi, 33 dont 10 filles à l’Ecole fondamentale de Karundo, 26 dont 10 filles à l’Ecofo Kanyankuru et 32 dont 22 filles à celle de Kibayi.

Notre source assure que la faim est à l’origine de ces abandons : « C’est un problème. A cause de la faim, les absences sont nombreuses pendant les heures de renforcement. » Selon lui, certains élèves vont travailler dans les champs des personnes pour gagner de l’argent.

Ce responsable scolaire plaide pour que sa commune soit parmi les communes qui bénéficient du programme national des cantines scolaires :« Notre commune n’est pas concernée alors que manger à l’école ferait que les élèves y restent et suivent les cours. »

Cap sur Ngozi

Gratien Irakiza, son collègue de Kiremba en province de Ngozi, affirme aussi que 1166 élèves ont abandonné l’école dans cette Direction communale de l’Education DCE). Selon lui, les enseignants et directeurs d’écoles disent que la pauvreté dans les familles et le manque de nourriture dans les ménages sont les principales causes de cas d’abandons.

A cela il s’ajoute les grossesses non désirées, le manque d’extrait d’acte de naissance et le chômage dans une moindre mesure. Selon lui, les enfants abandonnent pour aller travailler dans les champs pour gagner de l’argent qui leur permet d’acheter de la nourriture. « Ils gagnent pour le moment 2 000, 2500, voire 3000 BIF avant midi ou après-midi ».

Ces enseignants et les responsables scolaires regrettent d’ailleurs que la commune de Kiremba ne soit pas concernée par le programme des cantines scolaires alors qu’il existe dans les communes voisines.

Il fait savoir que les élèves qui étudient sur les écoles proches de celles bénéficiaires du programme migrent vers ces dernières. « Si ce programme venait chez nous, sûrement que cela aiderait beaucoup car je ne peux pas nier que certains enfants quittent l’école car ils ne mangent pas assez chez eux ». Il souhaite que le programme commence avec l’année scolaire suivante, pourquoi pas au cours de celle en cours.

Ecofo Kabari aussi touchée

Marlin Minani, directeur de l’Ecofo Kabari du DCE Kiremba, reconnaît qu’il y a des enfants qui abandonnent l’école à cause de la pauvreté dans les ménages. Et d’affirmer : « Certains des élèves qui étudient à notre école l’ont quittée aux profits d’autres écoles proches qui ont des cantines scolaires. »

Néanmoins, il indique que la principale cause des abandons sur son école n’est pas la pauvreté ou le manque de nourriture dans les familles. « C’est une école fréquentée par des élèves de la ville de Masanganzira, des enfants de commerçants et de fonctionnaires ».

Minani fait savoir plutôt que les mésententes entre parents sont souvent à l’origine des abandons scolaires sur l’Ecofo Kabari. Au cours du premier trimestre, 35 élèves ont quitté son école. Il plaide pour l’installation des cantines scolaires dans les écoles de Kiremba, car dans des écoles plus reculées, la faim est à l’origine des abandons.

Les écoles qui ont des cantines ne sont pas à l’abri

Vers midi du 14 mars 2023, à l’Ecole fondamentale de Cewe en commune de Kirundo. Les écoliers et élèves suivent les cours. L’école de 1050 apprenants et parmi les écoles qui ont des cantines scolaires à Kirundo. Mais les stocks sont vides, il y a eu rupture.

Au premier trimestre de l’année scolaire en cours, confirme Evelyne Murekatete, directrice de l’école, 23 élèves ont abandonné l’école.

Néanmoins, elle souligne que ces abandons ne sont pas dus à la faim, mais à cause d’autres motifs comme la maladie. « Ils ont abandonné quand il y avait encore de la nourriture à l’école ». Quand il y a de la nourriture à cette école, la directrice de l’Ecofo Cewe soutient que les apprenants ne quittent pas les cours. « Ils suivent plutôt les cours avec intérêt et ne sont pas en retard ».

C’est quand il y a rupture de stocks comme aujourd’hui qu’il y a un découragement parmi les apprenants. « Les enfants viennent en retard, et les enseignants se trouvent presque seuls en classe ».

La directrice confie que l’absentéisme se fait remarquer dans ces périodes de rupture de stocks : « Les enfants qui sont présents en classe aujourd’hui ne sont pas ceux qui se présentent demain. »

Elle trouve que son école est dans des conditions difficiles. Elle se demande comment les enseignants de l’Ecofo Cewe pourront examiner des apprenants qui n’ont pas été régulièrement présents en classe.

« Par exemple, 24 sur 60 enfants sont absents en classe de première année, ce mardi 14 mars. » Elle souhaite que les stocks soient régulièrement alimentés car les ruptures impactent négativement le fonctionnement de son école.

Même préoccupation pour Pascal Rwasa, parent et membre du Comité de gestion de l’Ecofo Cewe. Pour lui, cela diminuerait le nombre d’abandons des premières, deuxièmes et troisièmes années qui sont plus nombreux par rapport à ceux de la 7ème, de la 8ème et de la 9ème année.

D’autres Ecofo ne sont pas épargnées

Même son de cloche pour Jean-Pierre Bamboneyo, directeur de l’Ecole fondamentale Rukuramigabo, rencontré à son école sur la colline Runyonza de la commune de Kirundo. Il cite la pauvreté des familles parmi les causes des abandons scolaires sur son école : « Un enfant peut manquer le matériel, scolaire, la nourriture, les vêtements et abandonner le banc de l’école. »

Selon lui, la cantine scolaire incite les apprenants à revenir suivre les cours. Il déplore que l’année scolaire en cours et l’année passée ont connu des ruptures répétitives de stocks. « Les périodes de rupture peuvent durer plus d’un mois ou un mois et demi ».

Ce directeur d’école, souligne que quand les vivres arrivent, même les apprenants qui avaient abandonné l’école regagnent leurs classes respectives. Et dans ces périodes où les stocks sont vides, il reconnaît que les absences sont nombreuses.

Sur son école, 51 apprenants sur 1032 ont quitté le banc de l’école ceux du préscolaire non inclus. Les éducateurs interrogés sur cette école considèrent que les cantines scolaires aident considérablement dans la lutte contre les absentéismes scolaires.

« Aujourd’hui, par exemple, 8 enfants sont absents en 3e année préscolaire. Imaginez si on comptait tous les absents jusqu’en 9e ! », commente un enseignant et membre du comité de Gestion de l’Ecofo Rukuramigabo.

Ces éducateurs s’accordent pour dire que la faim empêche les élèves à suivre les cours. Ils demandent aux bailleurs de fonds de veiller à ce qu’il n’y ait plus de ruptures des stocks dans les cantines scolaires.

Les aléas climatiques y jouent un grand rôle

Elias Nibizi, conseiller collinaire de colline Runyonza sur laquelle se trouve l’Ecofo Rukuramigabo, fait savoir que le changement climatique cause une mauvaise récolte qui, à son tour, cause un manque de vivres dans les ménages de sa colline. « D’où l’absentéisme et des abandons scolaires ».

Il demande au gouvernement du Burundi de continuer à financer le programme des cantines scolaires. Selon lui, si les enfants ne trouvent pas de quoi manger, ils abandonnent l’école, les plus âgés prennent le chemin de la Tanzanie pour aller chercher de l’argent.

D’autres restent et travaillent dans les champs d’autrui. C’est le cas d’Ernest Irutingabo, un ancien élève de l’Ecofo Cewe. Il affirme avoir quitté l’école par ce que ses parents n’étaient pas en mesure de subvenir à ses besoins.

« Je voulais continuer mes études, mais c’est moi qui devrais m’arranger pour avoir de la nourriture, des vêtements et du matériel scolaire », raconte ce garçon de 16 ans. Il a abandonné l’école alors qu’il était en 5ème à l’Ecofo Cewe.

Maintenant, il travaille dans les champs pour subvenir à ses besoins et de ses petits frères et sœurs. Il est l’aînée d’une fratrie de 6 enfants.

Ses parents sont gravement malades et sont inactifs. « L’une souffre d’une maladie du cœur tandis que l’autre a une maladie chronique des reins ». Irutangabo cultive dans les champs d’autrui pour gagner 1500 BIF de 6h00 à 11h00. Bien qu’il fût nourri à l’Ecofo Cewe à midi, il fait savoir qu’il a fini par abandonner l’école suite à sa situation de précarité.

Les directions provinciales confirment les faits

« Les enfants abandonnent en grand nombre », signale Léocadie Mukaporona, directrice provinciale de l’Education à Kirundo. Surtout quand il y a rupture de stocks des cantines scolaires, fait-elle savoir, c’est là que les abandons se font le plus remarquer.

Mais elle soutient qu’il y a d’autres qui abandonnent pour diverses raisons. « Au cours du premier trimestre 7989 sur 196 926 ont abandonné dans les écoles fondamentales et post-fondamentales », déplore la directrice provinciale. Et de préciser que les garçons sont les plus nombreux à quitter l’école : 4234 contre 3755 filles.

Mme Mukaporona indique que le taux d’abandon scolaire dépend de la production agricole dans le ménage : « Si le climat a été favorable et que la bonne production est là, il y a peu d’abandons scolaires. » Elle rappelle que la province Kirundo connaît régulièrement des sècheresses qui sont à l’origine d’une mauvaise récolte. « C’est cela la principale cause des abandons scolaires ». Néanmoins, elle rassure qu’en général, les activités scolaires vont bon train à Kirundo.

Même constat du côté de la DPE

Anicet Ndayisenga, conseiller chargé de l’administration et des finances à la Direction provinciale de l’Education (DPE) à Kayanza, regrette que 4833 apprenants aient abandonné l’école dans les écoles fondamentales de ladite direction. 264 ont quitté le bas de l’école de l’enseignement préscolaire, 163 à l’enseignement général et pédagogique tandis que 57 ont abandonné dans les établissements scolaires techniques.

« D’après les rapports des directions communales de l’éducation, la principale cause des abandons est liée à la pauvreté des ménages », révèle Monsieur Ndayisenga.

Selon lui, d’autres abandonnent parce qu’ils ont échoué, à cause des maladies, les grossesses non désirées etc. C’est la commune de Rango qui connaît le taux le plus élevé d’abandons scolaires avec 806 abandons recensés, secondée par celle de Kabarore avec 783 cas d’abandons.

Ce responsable indique les rapports montrent que ce sont des enfants qui ont eu des difficultés dans l’obtention du matériel scolaire qui finissent par quitter l’école. « Ils vont alors chercher du travail à Bujumbura et dans les pays voisins comme la Tanzanie et la RDC ». Et de plaider pour l’extension du programme des cantines scolaires jusqu’à Kayanza.

Idem à Ngozi

D’après Prospère Nshimirimana, conseiller chargé de la planification et des statistiques à Ngozi, au moins 3 % des apprenants de la DPE de Ngozi ont abandonné l’école. « La principale cause est l’insuffisance des moyens dans certains ménages », livre-t-il avant de confier que les élèves abandonnent volontairement pour aller chercher la vie dans les pays étrangers. « 7080 apprenants ont abandonné dans les écoles fondamentales tandis que 227 ont quitté l’école dans le post-fondamental ».

Les responsables scolaires interrogés s’accordent pour dire que la pauvreté dans les familles est la cause principale des cas d’abandons scolaires. Ils demandent alors que le programme des cantines scolaires soit étendu à tous les établissements scolaires. « Si le programme est renforcé et qu’il atteint de nouvelles écoles sûrement que les cas d’abandons diminueront remarquablement».

Une préoccupation pour les intervenants

« C’est une question préoccupante au niveau du système éducatif », réagit Jean Samandari, président de la Coalition Education pour Tous « Bafashe bige ». Il juge que c’est une situation déplorable pour l’éducation et le pays, car cela a des conséquences multiples.

Selon lui, les conditions de vie des ménages sont devenues difficiles à telle enseigne qu’il y a des familles qui ne parviennent plus à satisfaire les besoins fondamentaux de leurs enfants, notamment le besoin de manger. « Quand un enfant n’a pas mangé, il devient incapable de suivre les cours ».

D’après M. Samandari, les enquêtes faites par son organisation montrent que dans presque toutes les provinces du pays, la cause majeure des abandons scolaires, c’est la pauvreté.

Les cantines scolaires, une des solutions

Jean Samandari félicite le gouvernement du Burundi qui a mis en place la politique des cantines scolaires : « Nous constatons quand même qu’il y a une plus-value. »

Néanmoins, il constate que c’est une solution budgétivore qui est possible avec l’appui des partenaires. Il indique de plus que son association va contribuer dans ce cadre avec l’appui des partenaires de la Coalition Éducation pour Tous « Bafashe bige »

« Nous allons nous concentrer sur 100 écoles sur 246 écoles dans la province de Ruyigi sur une période de 5 ans », promet Jean Samandari, avant d’annoncer que le projet commence avec l’année scolaire suivante avec 14 écoles pilotes. Mais, ce militant de la société civile, soutient que les cantines scolaires constituent une solution intermédiaire.

Pour lui, parmi les solutions efficaces figure notamment la sensibilisation de la population à la solidarité.

Car, explique-t-il, elle peut contribuer en s’organisant localement pour assister les familles démunies afin que leurs enfants puissent rester à l’école. Il considère aussi qu’il faut l’auto-développement des familles pour lutter contre la pauvreté.

Le président de la Coalition « Bafashe bige » appelle les parents et les éducateurs à collaborer pour rendre l’encadrement des élèves plus efficaces et interpellent les natifs des communes pour donner leur contribution.

« Il faut une étude de base »

« C’est dommage qu’il n’y ait pas une étude de base sur les abandons scolaires », déplore à son tour David Ninganza, vice-président du comité des parents au Lycée notre dame de Rohero.

Pour lui, le Burundi devrait avoir une étude de base qui a été menée par des spécialistes. « C’est l’étude de base qui montre la responsabilité de chacun », motive ce parent et militant de la société civile.

Selon lui, quand les enfants ne sont pas à l’école, soit, ce sont les parents qui ne sont pas à la hauteur, soit, ce sont les enseignants ou bien, c’est l’environnement.« Donc c’est l’étude maintenant qui va nous indiquer qui n’a pas fait quoi », poursuit notre source.

Pour lui, les rapports des directeurs ne suffisent pas pour connaître les motifs d’abandons scolaires. A son avis, l’étude montrera les causes profondes et les conséquences des abandons scolaires car il y a d’autres causes de déscolarisation qui ne sont pas mentionnées dans les rapports comme le règlement scolaire.

En attendant le rapport, David Ninganza estime que le ministère en charge de l’Education doit saisir le ministère de l’Intérieur qui a dans ses attributions l’encadrement de la population car les enfants qui abandonnent sont exploités par la communauté.

Ils sont victimes de différentes exploitations aux yeux de tout le monde. « C’est alors ce ministère qui va arrêter les stratégies de répression envers les auteurs en associant les ministères sectoriels », suggère David Ninganza.

Iwacu a contacté la direction générale de l’Education pour savoir pour plus de clarifications, elle promet de réagir ultérieurement.

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