Bruno Yapandé Sur La Légitimité De L’État Électoral

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Bruno Yapandé Sur La Légitimité De L'État Électoral
Bruno Yapandé Sur La Légitimité De L'État Électoral

Africa-Press – CentrAfricaine.
Le ministre Bruno Yapandé vient de redéfinir l’art de la communication politique. Dans son interview à Radio Ndékè Luka, il se félicite d’avoir “dépassé les engagements” du gouvernement pour financer les élections. La réalité? L’État centrafricain a versé 400 millions de francs CFA sur les 14 milliards nécessaires, soit 2,8% du budget total. Le reste? 200 millions du Cameroun, quelques centaines de millions pour la France, et des milliards pour l’Union européenne, des financements du PNUD, de la MINUSCA… Bref, tout le monde paie sauf l’État centrafricain qui se vante pourtant.

Écoutons ce numéro de propagande parfaitement instrumenté lors de son interview. « Le gouvernement a toujours honoré ses engagements que le président de la République lui-même, il tient à cela en tant que démocrate et il tient absolument à ce que s’organise. Cette année à Bangui, des élections vraiment inclusives. Nous avons mobilisé, depuis le démarrage du processus jusque-là, les ressources nécessaires à la participation du gouvernement au financement du processus électoral ».

“Nous avons mobilisé les ressources nécessaires” ! Dans quel univers 400 millions sur 14 milliards constituent “les ressources nécessaires”? Le gouvernement centrafricain a contribué à hauteur de 2,8% au budget électoral et le ministre appelle ça “mobiliser les ressources nécessaires”. C’est comme un locataire qui paie 10 000 francs CFA sur 200 000 francs de loyer et se vante d’être un bon payeur.

Et voici le sommet de cette démonstration d’arithmétique créative: « Et nous, à un moment donné, nous avons fait même plus que ça. » Plus que 2,8% ! Le ministre se vante d’avoir “fait plus” avec une contribution qui ne représente même pas 3% du budget total. Pendant ce temps, le Cameroun seul a donné 200 millions, soit la moitié de la contribution centrafricaine, et Yaoundé ne se vante pas d’avoir “dépassé ses engagements”.

Le ministre poursuit avec cette leçon de modestie gouvernementale: « L’essentiel, c’est de faire réussir les élections et nous mettre les modestes moyens que nous avons à la disposition de l’ANE pour la réussite de ces élections ». Les “modestes moyens” ! Au moins, là, le ministre dit enfin la vérité: 400 millions sur 14 milliards, c’est effectivement très modeste. Mais transformer cette modestie en exploit, voilà tout l’art de la communication gouvernementale centrafricaine.

Cette logique montre quelque chose de profondément choquant dans la conception que ce régime a de ses responsabilités constitutionnelles. L’organisation et le financement des élections ne sont pas un service rendu aux citoyens par bonté d’âme gouvernementale. C’est le devoir constitutionnel premier de tout État démocratique. Quand on ne remplit ce devoir qu’à hauteur de 2,8% tout en se vantant d’avoir “dépassé ses engagements”, on atteint des niveaux d’irresponsabilité qui défient l’entendement.

Car pendant que Bruno Yapandé se félicite de ses 400 millions, qui paie vraiment? Les Européens versent des milliards, le PNUD finance une partie du processus, la MINUSCA apporte son soutien logistique et technique, le Cameroun aide avec 200 millions… Tout le monde contribue sauf celui qui devrait porter la charge principale: l’État centrafricain lui-même.

Et les conséquences de ce sous-financement étatique sont désastreuses. Le ministre l’admet d’ailleurs à demi-mot: « Il y a de problèmes qui relèvent du degré de compétences, qui relèvent aussi de la disponibilité financière. Mais il y a également des problèmes qui sont liés à la défaillance des machines, notamment les tablettes ». Bien sûr qu’il y a des problèmes de “disponibilité financière” quand l’État ne finance qu’à 2,8% ! Bien sûr que les tablettes tombent en panne quand on n’a pas les moyens de les entretenir correctement !

L’ANE n’arrive même pas à faire la révision des listes électorales depuis plus d’un an avec ce budget famélique. Les représentants américains au Conseil de sécurité ont déclaré impossible l’organisation d’élections cette année dans ces conditions. L’expert togolais des Nations unies a critiqué l’incompétence de l’ANE. Mais le ministre continue de promettre des “élections vraiment inclusives” avec ses 2,8% de financement.

Cette comédie financière explique parfaitement l’état de la gouvernance centrafricaine: un État qui a renoncé à assumer ses responsabilités fondamentales mais qui continue de faire de la propagande pour masquer ses carences. Un gouvernement qui vit aux crochets de ses partenaires internationaux tout en se vantant de ses “performances” inexistantes.

Au final, ces élections financées à 2,8% par l’État ressembleront à quoi? Soit elles n’auront pas lieu faute de moyens suffisants, soit elles se dérouleront dans des conditions tellement dégradées qu’elles ne mériteront pas le nom d’élections démocratiques. Dans les deux cas, le gouvernement aura réussi son pari: transformer son irresponsabilité financière en exploit communicationnel.

Alors non, monsieur Yapandé, un État qui ne peut pas financer ses propres élections à plus de 2% n’a aucune légitimité à se vanter. C’est son devoir constitutionnel de base, pas un exploit ! Et quand on doit mendier 97% du budget électoral auprès de ses voisins et partenaires, on fait profil bas au lieu de donner des leçons de démocratie.

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