Julian Pecquet – à Washington
Africa-Press – Côte d’Ivoire. Enjeu majeur de la campagne présidentielle américaine, l’augmentation des droits de douane sur la Chine pourrait donner un avantage au continent. Mais tout dépendra du renouvellement de l’Agoa prévu en 2025.
Avec les démocrates et les républicains qui soutiennent désormais une politique industrielle nationaliste, la campagne présidentielle américaine s’est transformée en un duel pour savoir qui sera le plus dur vis-à-vis de la Chine. La rhétorique protectionniste provoque des sueurs froides en Afrique, où les secteurs d’exportation déjà fragiles craignent d’être piétinés dans cette bataille.
« Il y a une orientation protectionniste (…) que le candidat Trump épouse et qui inquiète probablement de nombreuses personnes qui commercent avec nous », estime l’avocat américain Tony Carroll, vice-président du cabinet de conseil en investissement Manchester Trade. « Je pense que la vice-présidente Harris poursuivra les politiques de l’actuelle administration Biden, moins axées sur le libre-échange que les administrations précédentes, mais qui évitera le protectionnisme positif. »
La pierre angulaire de l’Agoa
La loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique (African Growth and Opportunity Act – Agoa), pierre angulaire de la politique commerciale des États-Unis en Afrique depuis 24 ans et qui accorde aux pays remplissant les conditions requises un accès libre de droits au marché américain, pourrait donner aux exportations du continent une longueur d’avance dans cette guerre commerciale, si et seulement si les entreprises africaines ont les moyens de s’adapter et si l’Amérique fait preuve de finesse dans sa politique.
En théorie, des droits de douane plus élevés sur la Chine et d’autres rivaux commerciaux des États-Unis pourraient profiter à l’Afrique en rendant les exportations encadrées par l’Agoa comparativement plus attrayantes.
Mais en pratique, c’est moins sûr. Le programme ne s’applique pas à l’ensemble du continent. Les cinq pays d’Afrique du Nord – Maroc, Algérie, Tunisie, Libye et Égypte – sont exclus de cet accord, tandis que 17 autres n’étaient pas éligibles en 2024 en raison de problèmes liés notamment aux droits de l’homme.
Même les 32 pays participant au programme sont dans l’incertitude. À moins que le Congrès ne se mette d’accord sur une voie claire pour le renouvellement de l’accord commercial, l’Agoa expirera le 30 septembre 2025. Les chances qu’il soit renouvelé avant l’entrée en fonction d’un nouveau Congrès et d’un nouveau président en janvier semblent minces.
L’exemple du textile
« Il semblerait qu’aucun projet de loi sur le renouvellement de l’Agoa n’ait encore été rédigé. Mais il pourrait l’être pour le début du mois de novembre afin d’être étudié pendant la session du canard boiteux [en politique américaine, ce terme désigne le travail d’une assemblée dont le mandat arrive à son terme mais qui reste à son poste, ndlr] », croit savoir Paul Ryberg, président de la Coalition africaine pour le commerce qui représente les associations d’entreprises africaines à Washington.
Si le renouvellement devait être reporté à l’année prochaine, un changement de parti à la Chambre des représentants ou au Sénat entraînerait des retards supplémentaires, selon la recomposition des commissions parlementaires. « Si l’une ou l’autre chambre change, il est peu probable qu’un objectif puisse être renouvelé au cours du premier trimestre de l’année prochaine, estime Ryberg. L’expiration du programme détruira fondamentalement l’industrie [naissante] de l’habillement en Afrique. Je pense que très peu de fabricants de vêtements africains seront en mesure de survivre sans la préférence tarifaire. Plus les droits de douane sont élevés, moins ils ont de chances de survivre. »
Une protection en trompe-l’œil
« Si les démocrates prennent le contrôle de la Chambre des représentants, ils voudront rouvrir des questions telles que les critères d’éligibilité, ce qui prendra un peu plus de temps qu’un renouvellement simplifié », pronostique Paul Ryberg.
Les républicains, eux, chercheront peut-être à obtenir un renouvellement plus simple, mais ils sont également plus virulents à l’égard de la Chine. Des membres du Congrès « reconnaissent être confrontés à un dilemme car ils veulent agir contre la Chine sans détruire l’Agoa », explique l’analyste.
Même les droits de douane conçus pour protéger l’Afrique pourraient finir par nuire au continent s’ils nuisent à la Chine. La puissance asiatique a dépassé les États-Unis en tant que premier partenaire commercial de l’Afrique en 2009, avec un commerce bilatéral de plus de 280 milliards de dollars l’année dernière, soit quatre fois plus que le commerce entre les États-Unis et l’Afrique.
« Si les tensions commerciales perturbent l’économie mondiale, alors oui, cette perturbation pourrait avoir un impact sur les économies africaines, selon l’économiste Zainab Usman, directrice du programme Afrique à la Fondation Carnegie pour la paix internationale à Washington. Si, par exemple, l’économie chinoise devient un peu plus instable, moins dynamique et moins demandeuse d’exportations africaines, alors oui, l’impact sur les économies africaines se fera sentir. »
L’inquiétude de l’Union africaine
Autre dossier sur lesquels les deux candidats à la Maison Blanche devront se présenter, celui des négociations commerciales.
Au cours de son mandat, Donald Trump avait montré une préférence pour les transactions et les relations bilatérales. Il a entamé des négociations en vue d’un accord de libre-échange avec le Kenya, que l’administration Biden a ramené à un partenariat stratégique pour le commerce et l’investissement moins complet, qui ne couvre pas les droits de douane.
Selon Tony Carroll, si le républicain remporte l’élection, la conclusion d’accords bilatéraux pourrait revenir sur la table probablement avec le Kenya, le Nigeria et l’Afrique du Sud. Une orientation qui pourrait ne pas convenir à l’Union africaine (UA) et à ses objectifs pour la toute jeune Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). « Je pense que la plupart des pays et des organisations régionales s’y opposeraient », prévoit l’analyste de Manchester Trade qui y voit « un moyen de diviser les Africains ».
Source: JeuneAfrique
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