Cacao: qui Bénéficie des Prix Élevés en Afrique?

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Cacao: qui Bénéficie des Prix Élevés en Afrique?
Cacao: qui Bénéficie des Prix Élevés en Afrique?

Estelle Maussion

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Si l’Équateur et le Pérou bénéficient des prix élevés de l’or brun, plusieurs pays africains en tirent profit. Même si les leaders ivoirien et ghanéen ne sont pas les premiers sur la liste.

Inauguration d’une usine de broyage de fèves à Abidjan, partenariat pour augmenter les exportations camerounaises en Europe, possible ouverture précoce, dès août plutôt qu’octobre, de la campagne au Ghana afin de maximiser les chances d’une solide récolte… Qu’ils soient producteurs de premier plan ou plus modestes, les pays africains redoublent d’efforts pour défendre leur position sur le marché mondialisé du cacao.

Le continent y joue un rôle majeur en tant que fournisseur de fèves. On compte quatre pays africains dans le top 5 des producteurs: la Côte d’Ivoire et le Ghana, respectivement numéro 1 et 2, qui assurent plus de la moitié de l’approvisionnement, devant le Nigeria (4e) et le Cameroun (5e) mais aussi l’Équateur (3e), selon les données de l’Organisation internationale du cacao (ICCO).

Pour autant, les producteurs restent dépendants de cours mondiaux fixés par les bourses de Londres et de New York, et doivent s’insérer dans une industrie du chocolat dominée par quelques grands acheteurs internationaux, négociants-broyeurs comme Cargill, Barry Callebaut et Olam, et chocolatiers-multinationales dont Mondelez, Mars et Nestlé.

Depuis plusieurs années, ils cherchent à tirer plus de valeur de leurs fèves, rappelant que le premier maillon de la chaîne, les paysans, est l’un des moins rémunérés. C’est ce qui a conduit Abidjan et Accra à s’associer depuis 2018 dans une « Opep du cacao » appelant à obtenir un meilleur prix d’achat et à prendre en compte les efforts déployés pour renforcer la traçabilité de la filière.

Ces derniers temps, la question des recettes du cacao se pose avec encore plus d’acuité. Alors que les cours se maintenaient à des niveaux bas, autour de 2 000 dollars la tonne depuis 2017, ils ont flambé à partir de début 2023, atteignant jusqu’à 12 000 dollars la tonne en 2024 et restant, depuis, à des niveaux élevés, entre 8 000 et 10 000 dollars la tonne. En théorie, ces niveaux sont synonymes de recettes décuplées pour les producteurs. Mais, dans la pratique, les gains ne sont pas aussi systématiques. Surtout, les grands gagnants ne sont pas les mastodontes du secteur, Côte d’Ivoire et Ghana, mais bien les producteurs de second rang, comme le Cameroun et le Liberia. Explications.

Côte d’Ivoire, le leader questionné

Pour Abidjan, premier producteur mondial de fèves avec 1,8 million de tonnes attendues pour la campagne 2024-2025, des cours élevés constituent forcément une bonne nouvelle. Alors que le cacao assure 40 % des exportations et 14 % du produit intérieur brut (PIB) du pays, et qu’il fait vivre près de 6 millions de personnes, un prix de vente haut assure des rentrées fiscales soutenues pour l’État et une rémunération croissante pour les paysans.

Ces dernières années, le prix d’achat des fèves fixé annuellement par le Conseil café cacao (CCC) et déterminé à partir du prix moyen des ventes de l’année précédente, n’a cessé d’augmenter. Il est ainsi passé de 800 francs CFA le kilo en 2017 à 2 200 F CFA en avril dernier, un record. « Cela a un impact positif sur le niveau de vie des cacaoculteurs, d’où la multiplication des achats de motos, mais aussi sur l’entretien des champs et les replantations », souligne François Ruf, chercheur retraité du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et expert du cacao.

Cependant, les cours élevés sont aussi source de frustration. Si le prix d’achat des fèves a bien augmenté, il reste inférieur à celui d’autres pays producteurs, notamment le Cameroun et le Liberia où le cacao est vendu via un système libéralisé, au prix de marché, nourrissant l’idée que les cacaoculteurs ivoiriens devraient en profiter davantage. De même, malgré les efforts du pays pour enrayer le déclin de sa production, celle-ci semble ne plus pouvoir atteindre le pic passé de 2 millions de tonnes, la Côte d’Ivoire passant à côté des gains supplémentaires qu’aurait générés un boom de sa récolte. Ce double écueil questionne la pertinence du modèle ivoirien de l’or brun. S’il a fait ses preuves dans un contexte de prix bas en protégeant les petits producteurs d’un effondrement de leurs revenus, il ne permet pas de tirer le meilleur profit de l’environnement actuel de cours hauts.

Ghana, le n° 2 en difficulté

Allié à la Côte d’Ivoire au sein de « l’Opep du cacao » et deuxième producteur mondial de fèves, le Ghana – où le secteur est également encadré par un régulateur, le Cocobod, qui fixe le prix d’achat des fèves – est confronté aux mêmes défis que son voisin ivoirien. Sauf qu’il se trouve en moins bonne posture pour les relever.

S’il annonce un objectif de production de 650 000 tonnes pour 2025-2026, le pays peine à tenir ses ambitions. Après une récolte 2023-2024 estimée à 550 000 tonnes, la plus faible performance de ces vingt dernières années, le résultat de la campagne 2024-2025 ne devrait pas dépasser la barre des 600 000 tonnes malgré les forts déployés. Résultat: à l’horizon d’une décennie, le scénario consistant à voir l’Équateur ravir au Ghana la place de deuxième producteur mondial est de plus en plus probable, illustration de l’incapacité ghanéenne à accroître sa production dans un contexte porteur.

Difficultés financières du Cocobod, endettement du pays et volatilité extrême de la monnaie nationale, le cédi, réduisent la marge de manœuvre d’Accra pour moderniser son secteur de l’or brun et inciter les paysans à parier sur le cacao plutôt que sur d’autres cultures, ou même sur d’autres secteurs d’activité dont les mines.

Pour autant, l’exécutif, dirigé par John Dramani Mahama, se montre combatif. Après avoir reçu le soutien financier d’IFC, filiale dédiée au secteur privé de la Banque mondiale, et nommé un nouveau patron à la tête du Cocobod, il a annoncé la hausse prochaine du prix d’achat des fèves à un tarif aligné avec celui du voisin ivoirien, même s’il n’atteint pas le niveau souhaité par les organisations de producteurs. Conjuguée à l’ouverture anticipée de la prochaine récolte, cette mesure devrait permettre d’améliorer les revenus des cacaoculteurs ghanéens.

Cameroun, le champion des prix

Yaoundé a beau être un producteur modeste avec un peu moins de 300 000 tonnes de cacao récoltées par an, c’est l’un des pays qui profite le plus de la situation actuelle. Cela tient à deux facteurs. D’une part, même s’il est un fournisseur de fèves de longue date, il dispose encore des forêts suffisantes pour augmenter sa production rapidement, la vendre et ainsi bénéficier de tarifs élevés. D’autre part, à l’inverse de la Côte d’Ivoire et du Ghana, le Cameroun a fait le choix d’un modèle libéralisé où le prix de vente suit les cours mondiaux du cacao, un système qui permet de profiter à plein de l’actuelle période faste.

Résultat, le prix de vente des fèves camerounaises, qui a dépassé un record de 6 000 F CFA le kilo en 2023, se maintient à encore à quelque 5 000 F CFA, un niveau qui fait pâlir d’envie les cacaoculteurs des autres pays. Par ricochet, ce contexte dynamise l’ensemble de la filière, des producteurs aux négociants en passant par les transformateurs, encourageant les investissements dans le secteur. Au niveau macroéconomique, cela renforce la contribution de l’or brun à l’économie nationale, avec un bond des recettes d’exportations issues du cacao et la multiplication des partenariats pour développer la filière.

Nigeria, un potentiel à exploiter

Sur le papier, le Nigeria a tout pour tirer son épingle du jeu dans le contexte actuel. Produisant déjà près de 350 000 tonnes de cacao par an, il vise à très court terme les 500 000 tonnes, appelant bailleurs et opérateurs privés à parier sur l’or brun. Début mai, le gouvernement fédéral a acté la création d’un office national du cacao qui doit réguler le secteur et surtout coordonner les efforts pour développer la filière. Pour autant, cette instance ne disposera pas de prérogatives en termes de fixation du prix de vente, l’exécutif souhaitant conserver un modèle libéralisé dont il souligne l’efficacité dans la période présente.

Mais, si les choses se mettent en place pour assurer une montée en puissance rapide de l’or brun nigérian, cette ambition doit encore se concrétiser. Confirmation de récoltes de plus en plus conséquentes, structuration solide de la filière, rôle réel de l’office national dans un monde du cacao marqué par la compétition, la contrebande et une certaine opacité: autant de défis à relever dans un pays qui, par ailleurs, peine à motiver sa main-d’œuvre à se lancer dans le domaine agricole.

Liberia, le boom programmé

C’est le cas d’école du nouveau pays producteur parti pour devenir un champion de l’or brun à la faveur de cette époque de cours élevés. En effet, le Liberia dispose de tous les facteurs permettant l’essor d’une filière cacao: des plantations jeunes donc productives, des forêts encore inexploitées, un important vivier de travailleurs et un système libéralisé de vente des fèves incitatif pour les paysans (avec un tarif actuellement entre 2 500 et 3 000 F CFA le kilo) comme les autres opérateurs du marché. « Tout est en place pour un futur boom de la production même si cela se fait au prix d’une déforestation massive », prédit François Ruf, rappelant que d’autres pays en dehors du continent, dont l’Équateur et le Pérou, sont à inclure dans la liste des bénéficiaires du contexte actuel.

Deux autres pays africains doivent également être mentionnés: la Guinée, voisin de la Côte d’Ivoire comme le Liberia, et la Sierra Leone, dont les productions, encore très modestes, devraient décoller avec le maintien de cours hauts du cacao. Les trois pays réunis – Liberia, Guinée, Sierra Leone – totalisent pour l’heure une récolte avoisinant les 200 000 tonnes annuelles, pas de quoi bouleverser le marché au niveau mondial. Mais, engagés sur une trajectoire ascendante nourrie par des prix hauts du cacao, ils sont à suivre dans les prochaines années.

Source: JeuneAfrique

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