La « crise » est-elle devenue taboue ? Par Aurélie M’Bida

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La « crise » est-elle devenue taboue ? Par Aurélie M’Bida
La « crise » est-elle devenue taboue ? Par Aurélie M’Bida

Aurélie M’Bida

Africa-Press – Côte d’Ivoire. D’abord, il y a l’étymologie. Le mot « crise » emprunte au latin crisis et au grec krisis son caractère brusque et inattendu. Un événement soudain qui, au sens figuré, bouleverse une situation calme et établie. Ce « trublion » n’a pas vocation à durer. Il reste circonscrit dans le temps, comme l’ont montré la crise financière de 1929 ou celle, pétrolière, de 1973.

Cycle infernal

Ensuite, vient l’aspect juridique. Reconnaître l’existence d’une crise implique d’admettre une forme de responsabilité. Dans une crise financière, il y a des responsables, tenus, aux yeux de l’opinion, d’en répondre et de réparer les dommages causés.

Autant dire que ces trois dernières années ont suffi à user le vocable. Crise sanitaire, crise climatique, crise alimentaire, crise de la dette, crise énergétique… Et aujourd’hui : crise bancaire. Difficile d’imaginer qu’après la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine, qui ont fortement perturbé les chaînes d’approvisionnement mondiales, on puisse encore invoquer la brusquerie dans l’apparition de ce symptôme. Depuis 2020, nos sociétés naviguent de crise en crise, et ce cycle infernal ne semble pas près de cesser. Plus difficile encore sera d’en assumer les conséquences à long terme.

Autoflagellation sémantique

Ainsi, l’ivresse qui s’est emparée des marchés financiers internationaux ces dernières semaines, après la faillite de la Silicon Valley Bank (SVB) et de quelques autres banques américaines, et la rocambolesque chute du colosse helvète Credit Suisse, fait redouter la survenue d’un nouveau choc – l’histoire récente de la crise des subprimes (2008) jouant le rôle d’épouvantail dans la mémoire des marchés.

Mais, à bien observer, rares sont ceux qui osent encore employer le mot qui fâche. Son utilisation ne fait plus consensus. Parlez de « crise sanitaire », et on vous répondra que l’État (providence pour certains) doit soutenir sa population et ses entreprises. Et que, quand la « providence » n’existe pas, la solidarité et la responsabilité – encore elles – des plus riches se doivent d’être engagées pour aider les plus vulnérables grâce à leurs pompiers sur-sollicités, FMI et Banque mondiale.

Évoquez la « crise de la dette », ainsi que ses compères « inflation » et « insécurité alimentaire », et on vous dira que les mêmes mécanismes sont censés se mettre en place. Insistez sur la « crise climatique », et on vous rétorquera que l’Occident doit compenser à coups de milliards (jamais vraiment payés) sa contribution au réchauffement qui affecte les pays du Sud. Insoutenable, n’est-ce pas ? Aussi, d’aucuns lui préfèrent le terme de « tumulte » ou, encore, le plus pudique « remous ». L’autoflagellation sémantique devait bien se terminer un jour.

En attendant, les conséquences de cette crise, qu’elle dise ou qu’elle ne dise pas son nom, sont bel et bien là. Et même si le système bancaire mondial est plus solide et mieux armé qu’au temps de la faillite de Lehman Brothers, les effets répétés de ces perturbations successives sur les économies, notamment sur celles d’un continent plus fragile que les autres, ne sauraient être niés. Une nouvelle période de ralentissement économique conduirait à une diminution de la demande énergétique. Une aubaine pour les pays africains importateurs de pétrole, mais un désastre pour les producteurs.

Baisse des liquidités, durcissement des conditions de prêts aux ménages et aux entreprises, c’est aussi cela l’effet domino de la crise bancaire. Si l’Afrique doit s’attendre, une nouvelle fois et davantage que les régions développées, à démontrer sa résilience face à des phénomènes amenés à se reproduire, elle doit aussi se pencher sur ses atouts et sur ses forces pour éviter le raz-de-marée et jouer un rôle plus actif dans un monde globalisé. Boire le calice jusqu’à la lie, cela va cinq minutes. Si nous changions de paradigme ?

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