
Omer Mbadi – à Yaoundé
Africa-Press – Côte d’Ivoire. Farouche détracteur de la transition énergétique imposée par les pays occidentaux, qui explique en partie le tarissement des investissements pétrogaziers sur le continent, le secrétaire général de l’Organisation des producteurs de pétrole africains (Appo) revient sur le projet de la Banque africaine de l’énergie, codéveloppé avec Afreximbank.
L’Afrique peut-elle autofinancer le développement des gisements pétroliers et gaziers dès 2025 ? Sur le papier, le projet, très ambitieux, semble difficile à atteindre, mais sur le terrain, l’Organisation des producteurs de pétrole africains (Appo) s’active en coulisses pour lancer la Banque africaine de l’énergie (Africa Energy Bank) à partir de janvier 2025.
Codéveloppée avec la Banque africaine d’import-export (Afreximbank), cette institution devrait relancer la machine des financements et doper l’exploitation de projets de combustibles fossiles avec un capital de 5 milliards de dollars, mobilisé par l’Appo (1,5 milliard), Afreximbank (1,5 milliard) et des investisseurs étrangers (2 milliards). Sur tous les fronts, le secrétaire général de l’Appo, Omar Farouk Ibrahim, explique les aléas du processus de création de la banque de l’énergie et insiste sur l’importance stratégique que revêt cette initiative.
Jeune Afrique: Après le Ghana, le Nigeria vient de ratifier l’accord de création de la Banque africaine de l’énergie, suffisant pour le lancement de ses activités. Pourquoi les pays francophones, arabophones et lusophones membres de l’Appo tardent-ils à suivre cette voie ?
Omar Farouk Ibrahim: Chaque pays a son processus interne de ratification. Certains attendent probablement que l’institution lance ses activités pour s’engager véritablement. Par ailleurs, certaines contraintes techniques, comme la traduction des documents, sont progressivement levées.
Alors que l’Appo visait initialement 5 milliards de dollars, il a été décidé de démarrer avec un fonds d’amorçage de 500 millions de dollars. Pourquoi revoir vos ambitions à la baisse ?
Nous ne pouvions pas attendre la mobilisation des 5 milliards de dollars nécessaires pour la constitution du capital intégral avant le lancement des activités, au plus tard à la fin du premier trimestre de 2025. Beaucoup d’investisseurs potentiels sont curieux de savoir si cette institution sera lancée ou non. Sans aller hors du continent, nous avions près de quarante-cinq manifestations d’intérêt en matière de financement. Durant la première moitié d’octobre, des fonds additionnels sont venus du Nigeria. Les autres membres de l’Appo ne manqueront pas de se manifester dans les prochaines semaines. Nous restons confiants.
La contribution minimale attendue de chaque État membre dans le capital est 83,33 millions de dollars. À quel horizon espérez-vous mobiliser la somme intégrale ?
Nous mobiliserons 1,5 milliard de dollars si chaque membre s’acquitte de cette somme. Nous sommes cependant réalistes et savons que nous ne pourrons pas obtenir ce montant en six mois. En revanche, nous restons confiants quant à la mobilisation du capital de démarrage.
Malgré une préférence pour les énergies renouvelables, la Banque africaine de développement (BAD) peut-elle adhérer au projet de la banque africaine de l’énergie ?
Nous constatons que nombre de partenaires de la BAD sont focalisés sur la transition énergétique. Nous n’avons rien contre cela. Cependant, nous ne sommes, pour le moment, pas disposés à collaborer avec un éventuel partenaire qui viendrait modifier notre agenda. Peut-être serions-nous amenés à l’avenir à nous intéresser davantage aux énergies renouvelables. Pour l’heure, nous sommes focalisés sur les énergies fossiles et le potentiel dont regorge l’Afrique. Si la BAD est disposée à mettre de l’argent pour développer ce type d’énergies, nous ne verrons pas d’inconvénient à un rapprochement.
À ce stade, l’Appo peine à mobiliser les fonds nécessaires auprès des partenaires africains. Comment comptez-vous attirer des investisseurs, notamment hors du continent ?
Nous avons recruté des experts de la finance, dont PWC Nigeria, qui sont chargés organiser des roadshows cette année et l’année prochaine et démarcheront d’autres acteurs pour les intéresser au projet, en leur montrant les profits qu’ils pourraient engranger en s’engageant dans cette opération.
Avez-vous déjà identifié quelques projets susceptibles d’intéresser la banque ? Et sur quoi l’institution se focalisera, entre l’amont et l’aval pétrolier ?
Il appartiendra à la banque de prendre ce type de décision le moment venu. Nous créons l’institution et lui assignons un mandat et une vision. Nous n’interférerons pas dans le choix des projets. Mais tous les segments sont importants. Prenez, par exemple, le projet de corridor d’oléoducs de 6 500 km, devant relier les pays de l’Afrique centrale, pour les approvisionner en gaz, où l’Appo est partie prenante. Je suis convaincu qu’il intéressera la banque africaine de l’énergie puisque onze pays en bénéficieront, et que cela va atténuer la pauvreté énergétique sur cette partie du continent.
Le monde a encore besoin d’énergies fossiles parce que les technologies propres aux énergies renouvelables sont encore au stade infantile.
En effet, les Européens ont construit des réseaux de pipelines de transport d’hydrocarbures pour approvisionner tous les pays de ce continent. C’est ce que l’Appo essaie de promouvoir, en encourageant la construction d’infrastructures transfrontalières pour permettre de transporter du pétrole et du gaz des régions du continent pourvues en hydrocarbures vers celles qui en sont dépourvues. Plus de 600 millions de personnes sur le continent n’ont pas accès à l’électricité. Donc, cela est suffisant pour créer un marché.
Pourtant, plusieurs voix occidentales s’élèvent pour empêcher le continent d’exploiter ses ressources fossiles au nom de la lutte climatique… Quelle est la position de l’Appo dans le dilemme vert de l’Afrique entre le climat et le développement ?
Il y a une duperie qui voudrait que l’Afrique s’insère dans la transition énergétique au moment où elle décide d’exploiter ses énergies fossiles pour le bien-être de ses enfants. Et pourtant, d’après les données fournies par les Occidentaux, nos émissions de gaz carbonique ne sont que de 3 %. Or le massif forestier du Congo absorbe 4 % des émissions. Ainsi, l’Afrique est techniquement un contributeur négatif.
Si nous ne développons pas nos énergies fossiles, croyez-moi, nos populations mourront, par exemple, du fait de l’absence d’électricité pour mener des opérations dans nos hôpitaux ou de la famine, à cause de l’absence de fertilisants pour notre agriculture. Si nous avions notre industrie pétrochimique, nous pourrions fabriquer nos fertilisants à moindre coût. C’est une question de vie ou de mort pour notre continent. Bien sûr, nos pays, à l’instar de la RDC, disposent d’un potentiel en énergies renouvelables, mais combien disposent de la technologie nécessaire pour leur transformation de cette matière première sur place en énergie.
Craignez-vous qu’un tour de vis supplémentaire soit imposé aux pays africains en matière de transition énergétique au lendemain la COP29, à Bakou ?
Je ne crois pas. Les champions de la transition énergétique rapide se rendent compte que cela prendra du temps. Le monde aura encore besoin d’énergies fossiles parce que les technologies propres aux énergies renouvelables sont encore au stade infantile. En outre, lorsqu’on compare les COP de Charm-el-Cheik (2022) et de Dubaï (2023), on constate une rupture significative par rapport à celle de Glasgow, où la filière des hydrocarbures n’avait pas voix au chapitre. L’Égypte est un producteur d’hydrocarbures et l’industrie a pu se faire entendre. Abu Dhabi produit du gaz et des organisations comme l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) disposait d’un stand à Dubaï. Les choses ont changé. Je doute fort qu’on revienne en arrière…
Source: JeuneAfrique
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