Aïssatou Diallo
Africa-Press – Côte d’Ivoire. Après son faible score aux locales de septembre 2023 en Côte d’Ivoire, l’ancien président mise sur ce vieux compagnon de route pour implanter son parti à travers le pays.
Quelques mois se sont écoulés depuis sa nomination en tant que président exécutif du Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI). En ce début du mois de janvier, Sébastien Dano Djédjé nous reçoit à son domicile abidjanais. Discret, l’homme a peu fait parler de lui depuis sa désignation par Laurent Gbagbo à la tête de son parti. Dans la pièce, deux photos sont disposées à quelques mètres l’une de l’autre. Sur la première, Simone Gbagbo serre le maître des lieux dans ses bras. Les deux sourient. Sur l’autre, c’est avec Laurent Gbagbo qu’il se réjouit. Prises en 1995, elles marquent la célébration de son élection en tant que député de Gagnoa, fief de Gbagbo, quelques années après l’avènement du multipartisme en Côte d’Ivoire.
Du Front populaire ivoirien (FPI) dans les années 1990 à la création du PPA-CI en octobre 2021, Sébastien Dano Djédjé est un fidèle de Gbagbo. Le choisir pour remplacer Hubert Oulaye, une figure de l’ouest du pays, n’a que peu surpris. Né en janvier 1954 à Brékoua, à une dizaine de kilomètres de Gagnoa, dans le centre-ouest, Dano Djédjé est le fils d’un ancien combattant. Dernier d’une fratrie de trente enfants, il étudie à Gagnoa avant de s’envoler vers la France, à Caen, pour des études en pharmacie. Il se spécialise en toxicologie et obtient son doctorat de troisième cycle en 1982. C’est à la fin des années 1980 qu’il rentre pour enseigner à l’université Félix-Houphouët-Boigny, à Abidjan.
Du syndicalisme à la politique
Dans un premier temps, la politique ne l’intéresse pas. Il ne milite pas, comme d’autres, au sein du puissant Mouvement des étudiants et élèves de Côte d’Ivoire (Meeci), le seul autorisé du temps du parti unique. C’est finalement par le syndicalisme qu’il rejoint la politique. Comme de nombreux jeunes fonctionnaires à l’époque, qui partageaient les idées de gauche de Laurent Gbagbo, il prend sa carte au FPI lorsqu’il est légalement créé. « Au collège, déjà, j’entendais parler de Gbagbo. C’était ce qu’on appellerait aujourd’hui un élève turbulent, ironise-t-il. La première fois que je l’ai vu, c’était en 1978. Il était l’ami d’un de mes frères aînés. » Dès les premières années, Dano Djédjé se montre actif au sein du nouveau parti. Il contribue à la création de ses structures de bases, notamment à Cocody.
Il se souvient: « Les cadres étaient encouragés à repartir en province pour sensibiliser leurs parents afin qu’ils intègrent le FPI. Malgré la fin du parti unique, certains avaient encore peur. C’est ainsi qu’avec d’autres cadres, nous avons créé la coordination de Gagnoa. Je travaillais à Cocody en semaine et le week-end je rentrais militer à Gagnoa. Petit à petit, nous avons créé les fédérations. »
Le jeune élu gravit petit à petit les échelons du FPI, jusqu’à devenir secrétaire général adjoint, puis vice-président. Lorsque Laurent Gbagbo accède au pouvoir, en 2000, il occupe plusieurs fonctions ministérielles. Pendant huit ans, en pleine rébellion, il occupe le poste de ministre de la Réconciliation nationale. « Une période très difficile, se rappelle-t-il. Pendant que nous croyions à l’avènement de la paix, les autres, eux, n’étaient pas sincères. Nous pensions que s’il y avait une incompréhension, nous pouvions la résoudre et faire chemin ensemble. C’est dans cet état d’esprit que les gouvernements successifs ont été formés avec les rebelles. Il faut saluer la force du président Laurent Gbagbo car, malgré tout ce qu’il subissait, lorsqu’on arrivait en Conseil de ministres, c’était comme s’il n’y avait pas de différence entre nous. »
Placé en détention
Lors de la crise post-électorale de 2010-2011, Dano Djédjé fait partie des cadres arrêtés et placés en résidence surveillée à Abidjan. Croyant à un message de l’Onuci (la mission de l’ONU dans le pays) lui demandant de se rendre à l’hôtel La Pergola afin d’être protégé, il tombe dans un piège. Il y est gardé en résidence surveillée avec d’autres leaders du FPI pendant plusieurs mois avant d’être libéré.
La prison, il y retournera en 2015, sur fond de crise interne au FPI. Plusieurs fidèles de Laurent Gbagbo, alors à La Haye pour être jugé pour crimes contre l’humanité commis pendant la crise post-électorale, sont en désaccord avec Pascal Affi N’Guessan. Ils lui reprochent de vouloir se substituer à leur leader. Le congrès qui devait se tenir pour élire un nouveau président et auquel Gbagbo est également candidat est annulé par la justice. Malgré les avertissements, Dano Djédjé est décidé à le maintenir à Mama, village de Laurent Gbagbo. Avec d’autres irréductibles de l’ancien président, ils sont arrêtés, notamment pour « troubles à l’ordre public et défiance à l’autorité de l’État », puis placés en détention.
Lorsque Gbagbo est acquitté, Sébastien Dano Djédjé et Assoa Adou, une autre figure historique du parti, rencontrent les autorités pour évoquer le retour de l’ancien président en Côte d’Ivoire. Une fois rentré, en juin 2021, ce dernier décide de créer un nouveau parti, le PPA-CI, et fait appel à Dano Djédjé pour présider son congrès constitutif. Le 17 octobre 2021, le nouveau parti est créé. Gbagbo confie la présidence exécutive à Hubert Oulaye – une manière de remercier l’ouest du pays pour sa fidélité.
Un an plus tard, les locales de septembre 2023, qui devaient permettre à Gbagbo de signer son grand retour dans les urnes, sont un échec. Le parti n’a remporté aucune région sur les 31 que compte la Côte d’Ivoire, et obtient seulement deux communes sur les 201. Des tensions entre cadres commencent également à se faire sentir. Gbagbo consulte beaucoup, réorganise ses troupes et fait de nouveau appel à Dano Djédjé. Il connaît les rouages du parti et est reconnu pour son tempérament de conciliateur.
Mission spéciale et grands défis
« Il m’a confié une mission spéciale: implanter le parti dans le pays. Cela va durer trois à cinq mois. Au mois de mars nous feront le bilan », dit-il. Lors des locales, les candidats du PPA-CI ont fait bien moins qu’espéré, y compris dans des zones traditionnellement considérées comme des bastions de Gbagbo. Pour le nouveau président exécutif, « il y a aussi une part de responsabilité interne ». « Les structures n’ont pas forcément fonctionné comme on le souhaitait. Mais nous mettons cela sur le compte de l’indiscipline », ajoute-t-il. Mais il insiste aussi sur « la fraude » et « la transhumance électorale », qui auraient eu des conséquences sur les scrutins. « Comme il n’y a pas eu d’altercations, on pourra dire que les élections se sont bien passées. Mais sociologiquement, elles ne reflètent pas la réalité […]. Le pouvoir voulait montrer que Laurent Gbagbo, c’est fini. C’est aussi pour cela qu’il fallait tout mettre en œuvre pour qu’il perde », estime-t-il.
L’autre grand défi du nouveau président exécutif du PPA-CI est d’obtenir la réinscription de leur leader sur les listes électorales, avec en ligne de mire la présidentielle de 2025. Bien qu’acquitté par la CPI, Laurent Gbagbo reste en effet sous le coup d’une condamnation à vingt ans de prison par la justice ivoirienne, dans l’affaire dite du « casse de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) », en 2011. Son parti continue de réclamer l’application d’une décision de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, qui avait demandé en 2020 à l’État ivoirien de « prendre toutes mesures nécessaires en vue de lever immédiatement tous les obstacles empêchant le requérant [Laurent Gbagbo] de s’enregistrer sur la liste électorale ».
Dano Djédjé, lui, se veut confiant. « Nous allons mener ces deux combats en parallèle. Nous nous battrons pour sa réinscription de façon légale. Et nous allons gagner en 2025, c’est la raison pour laquelle ils ont peur qu’il soit candidat. »
Source: JeuneAfrique
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