Africa-Press – Côte d’Ivoire. Si l’on découvre un jour qu’un astéroïde se dirige tout droit vers notre planète, serons-nous capables de modifier sa trajectoire et éviter ainsi une collision cataclysmique ? En septembre 2022, la sonde Dart de la Nasa réalisait le premier test de déviation d’astéroïde de l’histoire en percutant intentionnellement Dimorphos, rocher céleste de 150 mètres de diamètre passant alors à 11 millions de kilomètres de la Terre. Le deuxième acte de cette expérience inouïe vient tout juste de débuter.
Le 7 octobre, l’orbiteur Hera, conçu cette fois par l’Agence spatiale européenne, est parti en effet de cap Canaveral en Floride (États-Unis) pour rejoindre Dimorphos fin 2026 et inspecter au plus près la “scène de crime”. Il examinera en particulier la surface de l’astéroïde, sa topographie, le cratère créé par l’impact et même sa structure interne. “Cette enquête approfondie est absolument indispensable pour comprendre comment Dimorphos a réagi et été dévié par le choc, souligne Patrick Michel, spécialiste des petits corps à l’observatoire de la Côte-d’Azur et responsable scientifique d’Hera. Elle permettra de valider et calibrer les simulations numériques d’impact afin de les adapter à différents scénarios, d’autres astéroïdes qui nous menaceraient véritablement. ”
Aussi grand que la pyramide de Gizeh
Plusieurs raisons avaient fait de Dimorphos une cible de choix. Sa taille tout d’abord, aussi grande que la pyramide de Gizeh (Égypte), qui correspond au seuil à partir duquel la chute d’un astéroïde libère une énergie supérieure à 10 millions de bombes d’Hiroshima. De quoi raser instantanément un pays comme la Belgique ! Et affecter des zones habitées quelle que soit la région du globe où le bolide s’écrase, même au milieu de l’océan, en engendrant des mégatsunamis et de gigantesques séismes.
Ce type d’objets célestes – ils seraient environ 25.000 à croiser l’orbite de la Terre – percuterait notre planète tous les 20.000 ans en moyenne. Si “aucun de ceux que l’on connaît ne semble poser de danger pour au moins les 100 années qui viennent “, rassure Patrick Michel, ces géocroiseurs font l’objet d’une attention particulière du fait de leur nombre et des ravages qu’ils pourraient occasionner. Mais Dimorphos présente une autre caractéristique très intéressante.
Il gravite autour d’un astéroïde plus imposant de 780 mètres de diamètre, Didymos, à 1,2 kilomètre de distance. Et se comporte ainsi comme une petite lune qui, avant l’impact avec la sonde américaine, mettait exactement 11 heures et 55 minutes à effectuer une révolution complète autour de son corps parent. En mesurant la modification de la période orbitale causée par la collision avec Dart, “nous pouvions tester ainsi, en conditions réelles et sans aucun risque pour la Terre, cette technique de déviation d’astéroïde “, expose Patrick Michel.
Les résultats ont dépassé les projections les plus optimistes. Alors que la Nasa avait pour objectif de réduire d’au moins 73 secondes l’orbite de Dimorphos, celle-ci a été diminuée de 33 minutes après le crash, ont attesté divers observatoires basés aux États-Unis, au Chili ou en Afrique du Sud. Les télescopes spatiaux Hubble et James Webb ont visualisé par ailleurs d’immenses quantités de débris projetés dans l’espace: des dizaines de rochers mesurant plusieurs mètres de large et une queue de poussières s’étirant sur plus de 10.000 kilomètres – soit une masse totale évaluée à un million de tonnes.
Connaître l’état précis dans lequel se trouve Dimorphos
Même si tout indique que Dart a été un fabuleux succès, “des questions cruciales restent en suspens “, signale Alain Hérique, chercheur à l’Institut de planétologie et d’astrophysique de Grenoble (Ipag) participant à la mission Hera. Car pour comprendre comment l’orbite de Dimorphos a été modifiée et extrapoler cette expérience à d’autres astéroïdes gravitant autour du Soleil, les scientifiques doivent établir “un bilan complet en énergie et déterminer pour cela une foule de paramètres “, précise l’astrophysicien. Ils ont besoin de savoir, en particulier, quelle “quantité de mouvement” totale a été transmise à Dimorphos au moment du choc. Cette grandeur dépend de la direction, de la masse (580 kg) et de la vitesse (24.000 km/h) du projectile, mais également de la masse de l’astéroïde: une information capitale pour le moment inconnue.
Ce n’est pas tout. Car les débris projetés par la collision produisent aussi une certaine quantité de mouvement – et ce faisant, une poussée supplémentaire (d’un facteur compris entre 2 et 5, supposent les chercheurs) qui doit être caractérisée. “Selon le principe d’action-réaction, l’éjection de matière propulse l’astéroïde dans la direction opposée, un peu comme une fusée au décollage “, explique Alain Hérique. C’est là que la situation se complique.
Car l’ampleur et les modalités du processus sont liées elles-mêmes à la composition, à la structuration et à la porosité de l’astéroïde, pour le moment indéterminées, mais aussi à l’apparition d’un cratère, au soulèvement de rebords et plus généralement aux déformations morphologiques susceptibles d’absorber l’énergie de Dart. Autant de phénomènes là encore mystérieux… Sans compter qu’ils se produisent sur un corps peu massif générant une très faible gravité, considérée comme un million de fois moins élevée que sur Terre.
“On connaît encore très mal le comportement de la matière granulaire dans de telles conditions lorsque les forces de cohésion sont si faibles”, relève Alain Hérique. En février, des travaux fondés sur des modélisations et des observations astronomiques récentes de Dimorphos supposaient ainsi que sa surface et sa forme globale auraient été complètement remodelées par la collision avec Dart. Après le passage de l’onde de choc, le cratère d’impact aurait pu être aussi gros que le corps lui-même, le déformant donc entièrement. “Nous n’avons en fait aucune idée de l’état dans lequel se trouve actuellement Dimorphos, reconnaît Patrick Michel. D’où la nécessité, pour répondre à toutes nos questions, de se rendre sur place avec Hera. ”
Le premier radar à sonder l’intérieur d’un astéroïde
Les investigations de la sonde européenne dureront environ six mois. Elles s’appuieront sur un altimètre laser, un imageur infrarouge et diverses caméras qui cartographieront la surface de Dimorphos et examineront les conséquences de l’impact avec une résolution allant jusqu’à 10 cm. Posté à une trentaine de kilomètres de l’astéroïde, Hera émettra également des signaux électromagnétiques permettant de calculer son champ de gravité et par conséquent sa masse.
Mais le vaisseau larguera aussi deux minisatellites de la taille d’une boîte à chaussures qui orbiteront à quelques kilomètres de l’astre. L’un d’eux, Milani, doté d’un imageur hyperspectral, analysera sa composition minéralogique. Tandis que l’autre, Juventas, auscultera sa structure interne grâce à un radar développé à l’Ipag de Grenoble. Pesant 1,3 kg, “c’est le plus petit radar ayant jamais volé dans l’espace mais surtout le premier à sonder l’intérieur d’un astéroïde “, se réjouit Alain Hérique, investigateur principal de l’instrument.
Grâce à lui, les chercheurs pourront savoir si Dimorphos est un monolithe homogène ou un agrégat de gros blocs séparés par des graviers et du sable, voire des espaces vides. “Une donnée majeure, souligne Alain Hérique. Car pour une même énergie d’impact, les modélisations suggèrent que des astéroïdes de diverses structures réagissent de façon très disparate “. Toutes ces informations présentent de surcroît “un immense intérêt scientifique “, insiste pour sa part Patrick Michel. Indispensables pour préparer les futures missions de défense planétaire, elles permettront de réaliser aussi “un pas de géant dans la compréhension des collisions qui ont façonné les planètes et petits corps du Système solaire “, assure le chercheur niçois.
Des étoiles filantes d’origine humaine
Dans sept à dix ans, des grains de poussières issus de la collision entre la sonde Dart et l’astéroïde Dimorphos pourraient atteindre notre planète et produire une pluie d’étoiles filantes, ont annoncé en septembre des chercheurs catalans. Trop petits (autour de 1 cm) pour toucher le sol et causer le moindre dégât, ils se consumeraient entièrement dans la haute atmosphère. Et engendreraient des traînées lumineuses semblables aux Perséides, essaim de météores provenant de la comète Swift-Tuttle visibles au mois d’août dans l’hémisphère Nord. “Ce serait alors la première pluie d’étoiles filantes engendrée artificiellement par l’Homme “, s’ébahit l’astrophysicien Patrick Michel. Un spectacle qui serait aussi observable au mois de mai dans l’hémisphère Sud, précisent les scientifiques espagnols.
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