Mescaline : quelle promesse thérapeutique pour cette substance hallucinogène tirée des cactus peyotl et San Pedro ?

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Mescaline : quelle promesse thérapeutique pour cette substance hallucinogène tirée des cactus peyotl et San Pedro ?
Mescaline : quelle promesse thérapeutique pour cette substance hallucinogène tirée des cactus peyotl et San Pedro ?

Africa-Press – Côte d’Ivoire. Classée comme stupéfiant un peu partout dans le monde, la mescaline semble avoir été mise de côté par la recherche scientifique. Et même à l’heure du nouvel engouement médical pour les substances hallucinogènes dites “psychédéliques”, on constate que la mescaline fait très peu l’objet de publications et d’essais cliniques. Les cactées américaines, peyotl, cactus San Pedro, torche bolivienne, qui produisent cette substance hallucinogène, ont une longue histoire avec les Hommes. Pour les civilisations américaines précolombiennes qui les ont utilisés et les utilisent encore, elles sont les outils chamaniques de médiation avec les dieux, les morts ou une voie de guérison. Alors la mescaline, le principe actif de ces végétaux hallucinogènes, peut-elle se glisser dans un nouveau rôle ? Être une molécule passée au crible des essais cliniques, se transformer en comprimé ou gélule et guérir nos addictions ou nos dépressions en quelques prises ?

L’origine naturelle de la mescaline

La mescaline est l’un des nombreux alcaloïdes présents dans plusieurs variétés de cactus. Ces cactées sont étroitement liées à des rituels divinatoires et thérapeutiques d’Amérique du Nord et du Sud. On trouve les traces d’une consommation de celles-ci sur des sites archéologiques anciens : 5800 à 6000 ans avant notre ère dans le sud du Texas, entre 6200 et 6800 ans dans le nord du Pérou.

Le peyotl ou Lophophora williamsii prend plusieurs noms d’usage selon les cultures amérindiennes. La plante pousse dans les régions arides du nord du Mexique et du sud-ouest des Etats-Unis. Parmi les noms les plus utilisés en ligne, on trouve peyote (plus souvent en anglais) ou peyotl, jicori, et mescal, le terme sur lequel a été forgé “mescaline”. A noter que d’autres plantes qui n’ont rien à voir avec Lophophora williamsii sur le plan botanique, sont appelées improprement “peyotl”. La plante est utilisée comme antivenimeux contre les piqûres de serpents et de scorpions, pour soigner et atténuer les rhumatismes, les infections, les hémorragies, les fièvres. Mais c’est aussi un élément de rituel, et d’accès vers l’inframonde dans les communautés indiennes du Mexique et des Etats-Unis. Depuis 1994, les membres de la Native American Church ont l’autorisation d’utiliser le cactus pour leurs cérémonies alors que la substance est illégale dans le pays depuis une législation de 1970.

Le cactus peyotl est une espèce à croissance lente, d’aspect globuleux et grisâtre. Les aréoles ne comportent pas d’épines mais des soies. La plante reste de très petite taille. Crédits : ALFREDO ESTRELLA / AFP

le San Pedro, Huachuma ou Echinopsis pachanoi (ou anciennement Trichocereus pachanoi) est un cactus à développement rapide, il a pour habitat naturel les montagnes des Andes péruviennes. Il est utilisé dans la pharmacopée traditionnelle péruvienne pour soigner à la fois les hommes et le bétail : c’est un purgatif, un anti-ulcéreux et un anti-bactérien. Son mucilage est également un shampooing. Mais c’est pour ses vertus hallucinogènes qu’il est utilisé lors de rites millénaires de guérison combinant croyances précolombiennes et éléments chrétiens au Pérou, en Equateur, au Pérou et en Bolivie. Des céramiques produites par les cultures Chavin et Cupinisque dans le nord du Pérou arborent des représentations du cactus San Pedro.

Le cactus San Pedro est un cactus colonnaire, poussant s’élever jusqu’à six mètres de haut. Ses fleurs sont également utilisées pour des usages thérapeutiques. Crédits : Forest & Kim Starr-CC BY 3.0

Une autre variété, Trichocereus peruvianus, appelée “torche péruvienne”, joue le même rôle dans la médecine traditionnelle de cette aire culturelle des Andes du nord.

Que se passe-t-il quand on ingère de la mescaline ?

La mescaline est un hallucinogène de puissance faible si on la compare au LSD. Son “petit nom” en chimie est 3,4,5-triméthoxyphénéthylamine. Indique que cet alcaloïde fait partie d’une famille de molécules, les phényléthylamines. C’est un perturbateur du système nerveux central. La dose hallucinogène de la mescaline, c’est-à-dire le seuil à partir duquel un individu réagit à la substance, est de l’ordre de 200 à 500 mg. Les effets ont lieu dans l’heure qui suit la prise et persistent environ 12 heures.

L’ingestion projette le sujet dans un état de bien-être et de sérénité. Si fatigue il y avait, la sensation disparaît, puis arrivent les visions très colorées, la perception altérée de formes, de l’espace mais aussi du temps, accompagnées d’hallucinations auditives. Ce large éventail de sensations est qualifié de “phénomène synesthésique” : l’écoute de musique par exemple, chez des sujets sous mescaline, suscite des images aux couleurs intenses, kaléidoscopiques, d’objets géométrisées. L’euphorie et les hallucinations sont accompagnées d’une acuité sensorielle accrue, une perturbation des processus cognitifs (mémoire, concentration) et de l’humeur.

Plus inquiétants, peuvent advenir des étourdissements, tremblements, des troubles de l’équilibre, de l’anxiété et parfois de la panique. Le site québécois d’information sur les toxicomanies, Toxquebec, énumère également des effets périphériques : “l’altération de la vision, la mydriase (dilatation des pupilles), l’hyperthermie (augmentation de la température corporelle), les frissons, la transpiration profuse, la respiration rapide et profonde, une légère tachycardie (augmentation du rythme cardiaque), l’hypertension, les nausées, les vomissements et la diarrhée”.

En cas d’intoxication aiguë, apparaissent “l’anxiété, la dépersonnalisation, la sensation de perte de la maîtrise de soi et de son environnement et un état de panique”, ce que l’on peut résumer par le fameux “bad trip”.

Une prise régulière n’entraîne pas de dépendance physique comme dans le cas d’autres drogues. Mais on note une habitude de l’organisme, qui entraîne tolérance et effets atténués de la substance. Des effets chroniques peuvent s’installer comme un syndrome post-hallucinatoire persistant : des flashbacks d’hallucinations passées.

La mescaline et le cerveau : on sait peu de choses

Les données manquent pour comprendre l’impact de la mescaline sur notre conscience. La mescaline est généralement classée parmi les psychédéliques sérotoninergiques comme le LSD, la psilocybine, mais aussi le dimethyltryptamine (DMT), contenu dans l’ayahuasca, le breuvage amazonien. Mais fonctionne-t-elle réellement comme ces autres hallucinogènes ? Ses effets sur la conscience sont-ils attribuables uniquement à cet effet perturbateur sur un des récepteurs de la sérotonine, baptisé 5-HT2A ?

Deux essais cliniques suisses sur quelques dizaines de volontaires ont tenté, pour le premier, de comparer les effets de ces trois substances, LSD, psilocybine et mescaline sur le récepteur 5-HT2A, et pour le deuxième, de doser finement les paliers à partir desquels la mescaline agit sur le récepteur en question. Les conclusions des études ne sont pas publiées à ce jour (mars 2023).

La mescaline sera-t-elle un jour un médicament ?

Des essais cliniques sont en cours pour étudier les pistes thérapeutiques. Lancés par de nombreuses jeunes pousses en biotechnologies, certains essais cliniques explorent les qualités anti-inflammatoires de la substance pour combattre certains types de dépression et la maladie de Parkinson.

D’autres visent la sortie de la dépendance à l’alcool, en tablant sur la capacité de l’hallucinogène à réorganiser les réseaux de neurones des patients mais en se focalisant sur une caractéristique propre à la mescaline. Son caractère empathogène permettrait au groupe de patients testés d’établir des relations entre eux et avec l’équipe soignante et de consolider ainsi la rupture avec l’addiction. L’expérience collective, à l’instar d’un rituel mexicain autour du peyotl, aurait également son rôle à jouer dans la thérapie.

Pour le moment, la mescaline n’attire pas massivement les chercheurs. Elle a des inconvénients qui la rendent moins prometteuse que le LSD, la MDMA ou la psilocybine. Sachant que c’est un hallucinogène de faible puissance, on se heurte à de multiples effets inconfortables en cas de fort dosage : comment éviter au futur patient les nausées, les vomissements, l’augmentation du rythme cardiaque et la montée en température corporelle induits par la substance ?

Autre pierre d’achoppement, l’effet relativement court des effets du psychotrope qui disparaissent au bout de 12h, une brièveté qui ne laisserait pas assez de temps aux réseaux de neurones pour se réorganiser.

Art et littérature sous mescaline

Avec une substance avec de tels effets synesthésiques, il n’est pas étonnant que de nombreux artistes et intellectuels du 20e siècle se soient emparés de la mescaline pour susciter images et sensations nouvelles. Poètes, écrivains, peintres, ils sont nombreux à l’avoir expérimenté et à en avoir laissé des traces dans leurs œuvres.

Les Portes de la perception d’Aldous Huxley. Aldous Huxley publie en 1954 un texte autobiographique : sous le contrôle médical, le romancier absorbe de la mescaline dans le but d’ouvrir “les portes de la perception”. Le récit s’inscrit dans une quête spirituelle qui détermine l’œuvre de l’écrivain et philosophe britannique. Le psychiatre qui supervise l’expérience, Humphrey Osmond, est à l’origine du terme “psychédélique”. Le livre exploratoire livre une image positive de la mescaline. Un de ses livres les plus célèbres, paru en 1931, Le Meilleur des mondes, décrit une dystopie où le Soma, une drogue assurant la cohésion sociale et l’asservissement des individus joue le rôle de camisole chimique. Entre le Meilleur des mondes et Les portes de la perception, la vision des drogues de Huxley a évolué.

Le bad trip de Jean-Paul Sartre. Le philosophe de l’existentialisme, Jean-Paul Sartre, gros consommateurs de tabac et d’alcool, évoque dans La Nausée, son expérience plutôt négative avec la mescaline. Il en ressort avec des hallucinations durables : il se croit poursuivi par des homards, “des crabes, des poulpes, des choses grimaçantes” pendant plusieurs semaines ! Par ailleurs, la mise par écrit de ses hallucinations et sensations éprouvées par les injections faites en 1935, sous la surveillance de son ami, le psychiatre Daniel Lagache, est la matière à partir de laquelle il réfléchit en philosophe sur l’image, l’imagination et les hallucinations d’un esprit modifié par la mescaline.

L’auto-analyse d’Henri Michaux. Avec Misérable miracle, sous-titré La Mescaline, ou encore Mescaline 55 (co-écrit avec Edith Boissonas et Serge Paulhan), Henri Michaux explore les effets de sa prise de mescaline. Le poète, écrivain et peintre est un habitué des psychotropes : mescaline, haschisch, Ritaline, LSD-25, champignons hallucinogènes, psylocybine. Misérable Miracle est le premier volume de son œuvre consacrée aux drogues, publié en 1956. Quatre ouvrages suivront et une centaine de dessins. Comme Sartre au même moment, Michaux utilise la substance pour explorer et analyser. Ses expérimentations dureront une dizaine d’années.

Antonin Artaud et la danse du peyotl. Le poète et dramaturge Antonin Artaud trouvait son équilibre dans la consommation de laudanum, un opiacé mêlé d’alcool dont il est dépendant. Dans ses écrits sur les Raramuri (le livre est intitulé Les Tarahumaras), communauté amérindienne du nord du Mexique, il relate leur rite du peyotl et son expérience personnelle avec le végétal: il pensait “à ce moment-là vivre les trois jours les plus heureux de [son] existence.”

Poésie sous mescaline. Ecrivain et poète de la Beat generation, pour Allen Ginsberg s’est essayé à l’écriture sous divers psychotropes. Il écrit sous leur emprise, mais aussi à propos d’eux. L’un de ses plus célèbres poèmes, Howl, a été composé en s’inspirant des effets et hallucinations nés du peyotl. En 1959, son poème Mescaline, aboutit à une introspection pessimiste et morbide.

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