Les transformations de l’organisation Daech en Afrique selon une perspective occidentale

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Abdul Qadir Muhammad Ali

Dans un geste surprenant, les services de sécurité et de renseignement éthiopiens ont annoncé à la mi-juillet l’arrestation de 82 personnes soupçonnées d’appartenir à l’organisation Daech dans différentes régions du pays, mettant ainsi en lumière une fois de plus l’activité croissante du groupe en Afrique de l’Est.

Bien que la présence de Daech dans la région du Sahel soit devenue l’un des principaux points permanents à l’agenda sécuritaire mondial, l’Afrique de l’Est abrite également des branches actives du groupe dans plusieurs pays, qui sont devenus à leur tour des plateformes d’expansion vers les régions voisines, ce qui accentue la menace que représentent ces activités pour la stabilité régionale.

L’orientation vers l’Afrique

Les frappes décisives subies par Daech dans ses bastions principaux au Levant et en Irak ont marqué un tournant dans sa stratégie d’expansion, poussant ses dirigeants à se tourner vers des zones géographiques éloignées de son centre d’activité traditionnel dans le Croissant fertile.

Une évaluation publiée sur le site du Centre international de lutte contre le terrorisme (basé à La Haye) indique que, depuis 2019, l’organisation a subi des transformations structurelles et opérationnelles profondes, s’appuyant désormais sur un réseau dynamique de filiales régionales opérant avec un degré d’autonomie sans précédent. Ce changement s’accompagne d’une transition vers une structure moins hiérarchique et un modèle d’opérations plus décentralisé, dans le but de renforcer sa résilience et sa capacité de survie.

Dans ce contexte, le continent africain est devenu l’un des principaux foyers d’activité de Daech, comme en témoigne la déclaration du directeur du Centre national américain de lutte contre le terrorisme, Brett Holmgren, affirmant que « l’Afrique est devenue une priorité claire » pour le groupe, tout en avertissant que « la menace que représente Daech en Afrique pourrait constituer l’un des plus grands dangers à long terme pour les intérêts américains ».

L’organisation Daech en Somalie

Bien que Daech ait connu une ascension rapide dans la région du Sahel africain, l’est du continent représente également un terreau fertile pour ses activités dans plusieurs pays, notamment en Somalie.

Une analyse rédigée par l’expert en sécurité et en consolidation de la paix, Mustafa Hassan, souligne que la Somalie présente plusieurs facteurs attractifs pour l’organisation, tels que la fragilité du pouvoir, les divisions tribales profondément enracinées et sa position géostratégique.

L’analyse, publiée par le Washington Institute for Near East Policy, ajoute que ces caractéristiques font de la Somalie un candidat principal pour l’agenda expansionniste de Daech. L’instabilité du pays, sa proximité avec le Yémen et la mer Rouge renforcent son importance stratégique et offrent des avantages logistiques pour les réseaux de contrebande et les opérations maritimes.

Avec une faible autorité centrale et des difficultés économiques qui aggravent les injustices locales, la Somalie constitue un environnement idéal pour le recrutement et l’implantation.

En exploitant ces failles, Daech en Somalie redéfinit la région comme théâtre principal d’opérations, lui permettant de s’intégrer aux factions armées locales, de fournir un soutien financier et une orientation stratégique, et de devenir une base pour l’expansion de son influence et de ses activités. Il est désormais considéré comme l’un des bras les plus importants de l’organisation en Afrique de l’Est.

En 2015, des dissidents du groupe Al-Shabaab affilié à Al-Qaïda ont fondé Daech en Somalie. Après avoir prêté allégeance à l’organisation la même année, ils ont été officiellement reconnus en 2018 comme branche somalienne de Daech, opérant principalement dans la région de Bari, dans l’État du Puntland, profitant de la faiblesse des structures gouvernementales et du relief montagneux difficile de la zone.

Les estimations varient quant au nombre de ses combattants: le Bureau du directeur du renseignement national américain les évalue entre 700 et 1500, tandis que le Soufan Center estime leur nombre à environ 1000.

Le centre indique que Daech a récemment réussi à étendre son influence et à attirer des combattants étrangers pour renforcer ses capacités humaines.

Parmi les principaux dirigeants de l’organisation — selon le Bureau du directeur du renseignement national américain — figurent le fondateur de la branche et chef du bureau administratif, Al-Karrar Abdelkader Mo’men, le commandant des opérations Abderrahman Fahi Issa, et le responsable des affaires financières Abdelwali Mohamed Youssouf, désigné comme « terroriste » par le Département du Trésor américain pour son rôle actif dans la livraison de combattants étrangers, de fournitures et de munitions au nom de Daech en Somalie.

En République démocratique du Congo

Les origines de l’organisation Daech en RDC remontent aux Forces démocratiques alliées (ADF), un groupe armé rebelle ougandais qui a établi sa base d’opérations dans l’est de la République démocratique du Congo. L’une des principales factions de cette alliance a prêté allégeance à Daech en 2017.

Deux ans plus tard, les dirigeants de Daech en Syrie ont reconnu publiquement cette faction comme une branche officielle sous le nom de Daech en République démocratique du Congo, dirigée par Musa Baluku. Elle est parfois désignée sous le nom de Daech en Afrique centrale, bien que certains chercheurs considèrent ce dernier comme une entité englobant plusieurs groupes, dont celui de la RDC.

Ce groupe est principalement actif dans les provinces du Kivu et de l’Ituri, à l’est du pays, et ses opérations s’étendent jusqu’en Ouganda. Le Bureau du directeur du renseignement national américain estime le nombre de ses combattants entre 500 et 1500.

Un rapport du Département d’État américain indique que Daech a recruté des combattants originaires du Burundi, de la Tanzanie, de la Somalie et du Kenya, tandis qu’un tiers de ses membres — y compris des dirigeants — sont d’origine ougandaise, ce qui explique leur capacité opérationnelle en Ouganda.

En mars 2021, le Département d’État américain a classé Daech en RDC comme une organisation terroriste étrangère, et son chef Seka Musa Baluku comme terroriste mondialement désigné.

Au Mozambique

Une définition détaillée publiée par l’initiative « Sites et événements des conflits armés » explique l’émergence du groupe désormais connu sous le nom de Daech au Mozambique en tant que groupe armé en octobre 2017. Localement, il est désigné sous le nom de « Sunna wa Jamaa » en raison de ses fondements idéologiques, et « Al-Shabaab » en raison de son recours intensif à la violence.

La définition ajoute que, malgré sa croissance rapide jusqu’en 2021, ce groupe est resté l’une des branches les plus mystérieuses de Daech. Ce n’est qu’en mai 2022 que l’organisation mère l’a reconnu pour la première fois comme province indépendante, après avoir été affiliée à la province de l’Afrique centrale depuis début 2018.

Les origines de ce groupe remontent aux réseaux salafistes jihadistes d’Afrique de l’Est, qui se sont étendus vers le nord du Mozambique dès 2007.

Daech au Mozambique cherche à renverser le gouvernement et à éliminer les influences étrangères dans le but d’établir un « État islamique régi par la charia » selon sa propre vision. Il est principalement actif dans la province de Cabo Delgado, au nord du pays, notamment dans des zones telles que Macomia, Mocímboa da Praia et Palma.

Certaines estimations indiquent que le nombre de ses combattants varie entre 300 et 1000, soit une baisse significative par rapport à l’estimation de 2020 qui s’élevait à environ 2500 combattants. Ce recul est attribué à l’intensité des offensives menées contre le groupe. Le Bureau du directeur du renseignement national américain estime actuellement leur nombre à environ 300 combattants.

Stratégies de recrutement et d’attaques

Dans leur processus de recrutement, les branches de l’organisation Daech en Afrique de l’Est adoptent plusieurs stratégies. Le groupe actif au Mozambique se concentre principalement sur le recrutement de jeunes frustrés issus des deux groupes ethniques Mwani et Makua, en exploitant des facteurs politiques, économiques et sociaux, notamment les sentiments de marginalisation, les tensions religieuses et ethniques, ainsi que les mauvaises conditions économiques régionales.

Un article publié par le Washington Institute for Near East Policy souligne que Daech en Somalie utilise de manière imbriquée des concepts tels que l’hégire (migration), l’empowerment et le soutien (al-madd), en présentant la Somalie comme une terre de migration sûre pour les combattants étrangers, qui constituent un renfort stratégique pour consolider et étendre son rôle régional.

À l’instar de ses stratégies d’expansion dans d’autres régions, Daech cherche à établir une base d’influence en s’intégrant aux mouvements rebelles existants, en exploitant les failles sécuritaires, et en recrutant des combattants étrangers prêts à adhérer à son idéologie.

Les tactiques opérationnelles adoptées par les branches de Daech en Afrique de l’Est révèlent une grande flexibilité et une capacité d’adaptation aux conditions locales propres à chaque contexte.

Centre économique de l’organisation

Avec le recul de la présence de Daech dans ses bastions principaux au Moyen-Orient et l’importance croissante de ses branches éloignées, la nécessité pour ces entités de s’assurer des ressources financières suffisantes pour maintenir leurs activités est devenue évidente. Dans ce contexte, la branche somalienne se distingue comme l’une des plus rentables, selon des rapports officiels américains.

Un rapport publié par le Centre de lutte contre le terrorisme (CTC) estime que les revenus annuels de l’organisation atteignent plusieurs millions de dollars, et qu’en 2022, elle aurait généré près de 6 millions de dollars. Une partie de ces fonds est dédiée à la planification et à l’exécution d’attaques contre les entreprises refusant de payer.

Une analyse du Soufan Center décrit Daech en Somalie comme un élément vital dans le réseau financier et opérationnel mondial de l’organisation, agissant efficacement comme nœud logistique principal au sein de cette structure internationale.

Par ailleurs, le bureau Al-Karrar, composé de hauts responsables, supervise les opérations financières, les mouvements et la logistique des branches de Daech en Afrique de l’Est, centrale et australe, et dirige les revenus vers d’autres filiales du groupe sur le continent.

En République démocratique du Congo, l’organisation impose des taxes sur les mines d’or illégales et les trafiquants, en plus de gérer des projets d’extraction artisanale.

Un document publié par le Département du Trésor américain en février 2024 suggère que les dirigeants de Daech estiment que les mesures antiterroristes exercent une pression relativement moindre sur leurs sources de revenus en Afrique, comparé à l’Irak et à la Syrie. Cela expliquerait leur dépendance croissante à l’égard de leurs branches africaines pour générer des revenus, avec une augmentation notable de l’utilisation des cryptomonnaies au lieu des devises traditionnelles, comme moyen de protéger leurs réserves financières en déclin.

Répercussions de l’activité de l’organisation en Afrique de l’Est

Les répercussions sécuritaires figurent en tête des défis auxquels sont confrontés les États et les sociétés de la région, face à l’intensification de la violence et à l’expansion des zones d’activité des éléments de Daech en Afrique de l’Est.

À titre d’exemple, un rapport du Département d’État américain sur le terrorisme en République démocratique du Congo indique que Daech y a augmenté la superficie de ses opérations de 210 % entre 2020 et 2022, soulignant que les activités transfrontalières de ces groupes constituent l’une des menaces les plus graves.

Dans ce contexte, le cas de l’Éthiopie apparaît comme exemplaire: les services de sécurité éthiopiens ont annoncé l’arrestation de cellules affiliées à Daech, composées de 82 personnes ayant reçu une formation en Puntland (Somalie), puis déployées secrètement dans différentes régions du pays. Ces individus ont participé à des opérations de soutien logistique et financier, ainsi qu’à des activités de renseignement et de recrutement.

Sur le plan politique, les activités des branches de Daech contribuent à affaiblir l’autorité des États, en exploitant les conflits existants et les vides sécuritaires pour établir des bases locales alternatives, ce qui entraîne une érosion de la légitimité étatique et affaiblit les liens entre les communautés locales et les institutions officielles. Cela ne compromet pas seulement les efforts continus de reconstruction étatique dans des contextes fragiles, mais menace plus largement la stabilité régionale.

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