Amina Jabran
CE Qu’Il Faut Savoir
La Loi de Finances 2026 en Tunisie a été adoptée, suscitant des débats sur son efficacité à répondre aux besoins sociaux. Elle propose des mesures pour soutenir l’emploi des diplômés et augmenter les salaires, mais soulève des doutes quant à la capacité du gouvernement à les mettre en œuvre dans un contexte économique difficile.
Africa. Des milieux politiques et économiques en Tunisie estiment que la loi de finances pour l’année 2026 constitue un défi pour le gouvernement, car elle met à l’épreuve sa capacité à traduire et à mettre en œuvre concrètement les mesures sociales qu’il propose.
Le Parlement a récemment adopté la nouvelle loi de finances, laquelle comprend une série de mesures sociales touchant plusieurs secteurs vitaux, notamment l’emploi, la santé, le soutien direct aux catégories vulnérables, l’agriculture et le logement.
Le projet prévoit des mesures destinées à soutenir l’emploi des diplômés de l’enseignement supérieur dans le secteur privé, en particulier au début de leur parcours professionnel, selon des rapports de médias locaux. L’article 13 stipule que l’État prendra en charge la contribution patronale aux cotisations sociales sur les salaires accordés aux diplômés de l’enseignement supérieur recrutés à partir du 1er janvier 2026. Cette prise en charge sera appliquée selon des taux progressifs sur cinq ans: 100 % la première année, puis 80 %, 60 %, 40 %, pour atteindre 20 % la cinquième année.
L’article 14 prévoit également l’élargissement des interventions du Fonds national pour l’emploi afin de financer des programmes de qualification et de renforcement des compétences des demandeurs d’emploi, y compris les étudiants des dernières années et les stagiaires des centres de formation professionnelle, dans le but de faciliter leur insertion sur le marché du travail.
Le projet de loi comprend aussi un ensemble de mesures ayant un impact direct sur les salaires et les pensions. L’article 15 prévoit une augmentation des salaires et des rémunérations dans les secteurs public et privé au cours des années 2026, 2027 et 2028. Cette augmentation concerne également les pensions de retraite, ce qui offre une relative stabilité des revenus de ces catégories face à la hausse des prix.
Le projet prévoit également plusieurs mesures sociales directes, dont la création d’un fonds pour la promotion des personnes en situation de handicap à l’article 32. Ce fonds sera partiellement financé par un prélèvement de 1 % sur les indemnisations liées aux accidents de la circulation et aux accidents du travail, en plus d’autres ressources qui seront fixées par des textes d’application.
Depuis l’examen de ses articles au sein du Parlement, la nouvelle loi de finances a suscité un large débat parmi les Tunisiens. Les avis divergent entre ceux qui saluent l’accent mis sur le rôle social de l’État et ceux qui doutent de la capacité du gouvernement à appliquer ces mesures sociales dans un contexte de ressources limitées et de nécessité de réduire les dépenses face à l’endettement public.
Le site « Africa Press » a recueilli les opinions de responsables politiques et d’experts économiques concernant leur évaluation et leur lecture de la nouvelle loi de finances. Alors que certains estiment qu’elle offre des acquis sociaux aux Tunisiens et qu’elle est la meilleure parmi les lois précédentes, d’autres la considèrent comme soumise à des calculs populistes visant à masquer l’échec du pouvoir à gérer la situation économique dégradée du pays.
Des acquis sociaux
Ali Zghdoud, président du bloc Pour que le peuple triomphe et membre de la commission des finances et du budget au Parlement, a déclaré dans un entretien avec « Africa Press » que « au sein du bloc Pour que le peuple triomphe, nous avons déployé de grands efforts pour améliorer la loi de finances 2026 et lui donner une dimension sociale respectable. Grâce à la convergence des efforts d’un grand nombre de nos collègues, nous avons réussi à faire adopter plusieurs articles qui rétablissent l’équité en faveur de larges catégories sociales. Nous avons maintenu l’impôt sur la fortune et réussi à consacrer une partie du budget aux personnes frappées par le chômage de longue durée, en plus de mesures touchant les agriculteurs, les industriels et les propriétaires de petites et moyennes entreprises. C’est pour ces raisons que nous avons voté en faveur de la loi de finances 2026, compte tenu de l’ensemble des acquis sociaux qu’elle contient, d’autant plus si l’on ajoute le principe de l’augmentation des salaires, en espérant que le décret d’application sera à la hauteur des attentes de la classe ouvrière en Tunisie. »
Il a ajouté: « Toutefois, tout cela ne masque pas la faiblesse du soutien à l’investissement et à la production de richesse, malgré l’augmentation enregistrée du budget d’investissement. Cela s’explique par notre conviction, au sein du bloc Pour que le peuple triomphe, que l’État social est un État développemental, qui produit de la richesse et réalise des taux de croissance élevés, tout en assurant les services sociaux et en créant des emplois pour l’ensemble de son peuple. Car tous les acquis sociaux restent menacés en l’absence de durabilité des taux de croissance élevés et d’accumulation de la richesse nationale. »
Il a précisé que « dans sa version finale adoptée, la loi de finances actuelle a cherché, autant que possible, à alléger le fardeau pesant sur le citoyen à travers les mesures prises. En définitive, le citoyen a besoin d’un emploi, et cette loi est considérée comme la meilleure depuis des décennies en matière d’emploi, que ce soit en termes de recrutements, de régularisation des situations ou de réponse aux attentes des diplômés universitaires de longue durée sans emploi. Des dizaines de milliers de personnes bénéficieront directement de ces mesures, ce qui soutiendra le principal moteur de la croissance, à savoir la consommation. Des mesures ont également été adoptées en faveur de plusieurs secteurs, ce qui aidera les entreprises à sortir de la situation de crise. »
Il a conclu en affirmant: « En définitive, la loi de finances actuelle est meilleure que ses prédécesseurs. Toutefois, la poursuite de la dépendance excessive à la fiscalité et à l’endettement demeure liée à la crise structurelle de l’économie tunisienne, laquelle ne peut être résolue par une loi de finances, mais nécessite une vision stratégique et un programme intégré réorganisant les priorités économiques, accordant la priorité aux secteurs stratégiques à fort potentiel productif et de création d’emplois, et traitant les grands déséquilibres de l’économie tunisienne, notamment l’endettement, la crise des caisses sociales, le déficit énergétique et la situation des entreprises publiques. »
Du point de vue des experts économiques, la nouvelle loi de finances constitue un véritable défi pour le gouvernement, compte tenu de la forte pression économique à laquelle il fait face en raison de sa dépendance à l’endettement intérieur pour couvrir le déficit, ce qui entraîne un épuisement des ressources disponibles et pourrait détourner le secteur bancaire du financement de l’économie réelle vers la couverture du déficit budgétaire.
L’économiste Moez Haddidan a indiqué, dans une déclaration à « Africa Press », que « le projet de loi de finances 2026 pourrait représenter une opportunité pour bâtir un État plus juste socialement s’il est effectivement mis en œuvre. Il offrirait alors un soutien aux catégories vulnérables, de meilleurs services sociaux, une justice fiscale, un développement régional et de l’emploi ».
Il a toutefois nuancé en affirmant que « le véritable danger réside dans le fait qu’il devienne simplement une source d’augmentation de la pression fiscale — et donc de “réduction des subventions” ou de “pression économique” sur le citoyen moyen ou pauvre — surtout s’il n’est pas accompagné de réformes structurelles et d’une grande transparence dans sa mise en œuvre ».
De son côté, l’économiste Ridha Chkandali a estimé, dans un entretien avec « Africa Press », que « la loi de finances 2026 a réduit le rôle social de l’État tunisien à trois points essentiels ».
Il a expliqué: « Premièrement, elle s’est concentrée sur le recrutement des chômeurs dans le secteur public, en particulier dans la fonction publique, et plusieurs articles s’inscrivent dans cette logique. Deuxièmement, la loi résume le concept de l’État social par l’augmentation des salaires dans les secteurs public et privé, ainsi que des pensions de retraite, et par le soutien aux régimes de sécurité sociale, avec l’octroi d’une voiture à chaque famille. »
Il estime que « le problème de cette loi réside dans le fait que les augmentations salariales sont liées à la masse salariale. Une enveloppe de seulement 900 millions de dinars a été allouée à cet effet, destinée à payer les salaires de plus de 51 000 nouveaux recrutés. Cela signifie que le montant prévu dans le budget est faible en raison des contraintes liées aux équilibres financiers ».
Concernant le troisième point relatif au soutien des régimes de sécurité sociale à travers de multiples prélèvements, il considère que « ce sont finalement les citoyens qui en supporteront le coût, au détriment des poches des Tunisiens. Ainsi, cette conception du rôle social n’est pas la bonne. La véritable conception du rôle social de l’État réside dans sa capacité à améliorer la qualité des services sociaux — santé, éducation et transport — ce qui est absent dans la nouvelle loi, puisqu’elle ne propose pas de programme clair visant à améliorer la qualité des services sociaux permettant au citoyen d’accroître son pouvoir d’achat ».
Des calculs populistes
Des milieux politiques soulignent l’absence de consensus autour de cette loi entre les deux chambres du Parlement, certaines voix s’y étant opposées en considérant que ses mesures sociales ne sont que des slogans populistes visant à absorber la colère de la rue et à préserver la popularité du pouvoir, qui craint de perdre ses partisans en raison de sa mauvaise gestion de la situation économique.
Alaa Zaghouani, député au Conseil des régions et des districts, a révélé dans une déclaration à « Africa Press » que « ce qui s’est produit concernant le projet de loi de finances 2026 ne se limite pas à l’absence de consensus entre les deux chambres, mais va bien au-delà, constituant une violation manifeste de la philosophie sur laquelle repose la loi organique du budget ».
Il a poursuivi: « Cette version modifiée, imposée par la prédominance de l’Assemblée des représentants du peuple, est en contradiction pratique avec le plan de développement 2026-2030, qui constitue la référence obligatoire pour la gestion publique et sur lequel s’appuie le Conseil national des régions et des districts pour la programmation des projets. Ni ce conseil, ni le pouvoir exécutif ne peuvent mettre en œuvre des articles introduits sans étude de faisabilité, sans ressources et sans aucune cohérence avec les mécanismes de la planification nationale. »
Des articles de “régularisation” et des acquis conjoncturels ont été introduits sous la pression de calculs populistes et de loyautés électorales, en violation directe de l’esprit de la loi organique du budget, qui interdit l’utilisation des finances publiques à des fins conjoncturelles. Ce sont des articles non financés, non applicables et sans impact réel, hormis celui de susciter une sympathie politique.
Il a commenté: « Que tout le monde en soit conscient: les articles concernant spécifiquement les diplômés de l’enseignement supérieur ne sont rien d’autre que des formules littéraires, rédigées pour sauver les apparences. Il n’y a ni mécanismes, ni financement, ni calendrier, ni aucun engagement activable. Un simple beau texte… sans fondement, sans effet et sans avenir. Le résultat? Un projet de loi de finances inapplicable dans la réalité, incohérent avec le plan de développement et rejeté par le gouvernement, la seconde chambre, les experts et les organisations. Et pourtant, il est imposé de force. Mais la responsabilité politique, morale et économique restera entière… et l’État en répondra devant l’histoire et devant le Fonds. »
De son côté, Taher Ben Mansour, député au Parlement, a reconnu dans une déclaration à « Africa Press » avoir refusé de voter en faveur de la loi de finances, estimant qu’elle est « en deçà du minimum des attentes du peuple tunisien dans tous les domaines, notamment sur le plan social, qui s’est limité à des mesures éparses ici et là, sans s’élever au rang d’une véritable politique sociale définissant des objectifs clairs de progrès et de développement social. Les mesures du gouvernement ne sont que des solutions palliatives temporaires qui s’attaquent aux symptômes sans proposer de véritables solutions. »
Alors que la loi mise sur l’emploi des chômeurs de longue durée, des députés estiment toutefois que le budget alloué à leur recrutement demeure insuffisant et n’a pas été fixé de manière définitive, ce qui accroît la pression financière et renforce le flou qui entoure la situation économique du pays.
Boubaker Ben Yahia, député au Parlement, a expliqué dans une déclaration à « Africa Press »: « Le slogan du rôle social de l’État a été adopté, et l’exécutif a considéré que la régularisation de plusieurs situations professionnelles, telles que celles des ouvriers des chantiers, des instituteurs et des enseignants suppléants, relève du rôle social de l’État. À cela s’ajoute l’augmentation des salaires dans la fonction publique ainsi que dans les secteurs public et privé, sans que le taux de cette augmentation ne soit précisé et sans passer par des négociations sociales comme cela se faisait auparavant. Cela a rendu le montant alloué à cette augmentation inconnu et non déterminé. Autrement dit, nous débattons et adoptons une loi de finances alors qu’une donnée essentielle fait défaut: la valeur réelle de l’augmentation des salaires. »
Il a souligné que « les articles de la loi de finances ne prévoient aucun soutien réel à l’investissement susceptible de dynamiser l’économie, alors que celui-ci constitue le moteur principal de la création de richesse et de la mobilisation de ressources supplémentaires importantes pour le budget de l’État ».
Il a également indiqué que « le financement des entreprises communautaires en difficulté dès leur phase de création, compte tenu de leur mode de constitution et de répartition des bénéfices, sera d’une efficacité très limitée et ne disposera pas d’une réelle capacité de création d’emplois. À cela s’ajoutent des financements faibles accordés aux petites et moyennes entreprises, qui ne répondent pas aux ambitions des promoteurs et des entrepreneurs du secteur économique en matière d’absorption de la main-d’œuvre ».
Selon Ben Yahia, « la loi de finances 2026 ne diffère en rien de ses prédécesseurs. Il s’agit d’un simple document comptable cherchant à assurer des équilibres en l’absence de visions économiques et sociales claires. Le slogan de l’autonomie économique s’est transformé en une consécration d’une situation dangereuse pour l’économie nationale, incapable de réaliser des taux de croissance satisfaisants ».
Il a ajouté: « Le slogan du rôle social de l’État ne signifie pas seulement l’action sociale, mais aussi l’équité en matière de droits et de devoirs à travers de grandes réformes touchant les secteurs vitaux de l’État, ainsi que la maîtrise et la gestion de nos ressources naturelles et humaines. Par conséquent, la situation actuelle et l’absence d’une vision de réforme réelle ne peuvent produire un résultat différent de celui qui prévaut aujourd’hui. »
Les milieux de l’opposition tunisienne critiquent enfin l’adoption d’une politique d’exclusion et d’une approche unilatérale dans la gestion des affaires du pays, ainsi que l’absence d’implication des différentes opinions et des experts dans le débat autour de la loi de finances. Ils appellent à l’élaboration de solutions durables pour assurer la stabilité des finances publiques, préserver les services publics essentiels, développer le modèle de développement et formuler de véritables réformes.
Riyadh Chaaïbi, dirigeant du mouvement Ennahdha, a déclaré dans un entretien avec « Africa Press » que « le problème réside dans le fait que la loi de finances a été tiraillée par des surenchères populistes au point d’en perdre ses dimensions économiques et développementales, ainsi que ses équilibres internes. Elle s’est même transformée, sous l’influence de l’action désordonnée de lobbies opportunistes, en une occasion de réaliser des avantages personnels et corporatistes étroits, à l’instar de l’augmentation du taux de retraite spécifique aux membres des deux conseils. Aucun espace n’a été laissé à un débat politique rationnel et responsable autour de cette loi, en raison de ces climats négatifs pesant sur le pays. Par conséquent, nous ne nous attendons qu’à ce qu’elle contribue à approfondir davantage la crise économique et sociale que vivent les Tunisiens. »
Des analystes estiment que la nouvelle loi de finances cherche à mettre l’accent sur le rôle social au détriment de l’investissement et du développement, des choix qu’ils jugent non réfléchis et susceptibles d’aggraver davantage la crise économique au lieu de la résoudre et d’améliorer les conditions de vie des Tunisiens.
De son côté, le politologue Khaled Krouna a exprimé son regret, dans une déclaration à « Africa Press », que « la loi de finances 2026 ne diffère pas fondamentalement de ses prédécesseurs, car ses concepteurs raisonnent toujours avec une mentalité purement comptable, fondée sur des tableaux comparatifs entre les financements attendus et les dépenses obligatoires. Cette approche technique ne permet pas de poser les bases d’un véritable tournant vers l’État social — à l’exception de quelques mesures limitées — car la philosophie du pouvoir n’a pas su traiter les problématiques du monde rural en démantelant les structures économiques défaillantes, ni élaborer un plan pour absorber les marges et les intégrer. Les forces principales qui profitent du statu quo demeurent influentes, et leur principal levier est leur domination sur le cartel bancaire, ce qui accentue la pression fiscale sur l’ensemble des citoyens, comme en témoigne le rejet par le Parlement — fait pour le moins surprenant — du projet de loi sur l’imposition des grandes fortunes pourtant présenté par le gouvernement. »
Il a conclu en affirmant que « ce budget ne constitue pas une rupture réelle avec un modèle de développement à bout de souffle. Il s’inscrit dans la continuité d’une même approche qui fait porter aux catégories à faibles et moyens revenus le coût de la crise économique, laquelle ne cesse de s’aggraver à la lumière des crises mondiales successives. Cette situation ne permettra pas d’atteindre des taux de croissance susceptibles de générer une reprise économique. Pire encore, certains articles traduisent la poursuite d’une logique de manipulation du droit au service d’individus faisant partie d’une oligarchie qui étouffe l’économie et détourne ses richesses au profit de ses propres intérêts. »
La Loi de Finances est un instrument clé de la politique économique d’un pays, définissant les priorités budgétaires et fiscales. En Tunisie, la situation économique est marquée par des défis tels que le chômage élevé et l’inflation, rendant la mise en œuvre de mesures sociales d’autant plus cruciale. L’adoption de cette loi est perçue comme un test pour le gouvernement, qui doit jongler entre les attentes sociales et les contraintes budgétaires.





