Mariaga Masri, chercheur du Mali
La situation actuelle au Mali est souvent mal interprétée par les médias, qui décrivent un pays au bord de l’effondrement. Bien que des défis existent, la vie à Bamako continue avec des marchés ouverts et des services fonctionnels. Les tensions avec les groupes armés sont réelles, mais la perception d’une crise totale est exagérée.
Ceux qui vivent à l’intérieur du Mali aujourd’hui, qu’ils soient citoyens, observateurs ou chercheurs, réalisent que l’image véhiculée par certains médias sur la situation dans le pays ne reflète pas totalement la réalité sur le terrain.
Alors que les écrans se remplissent de titres évoquant un effondrement total et l’approche des groupes extrémistes vers la capitale Bamako, les gens ici vivent une réalité différente, avec des difficultés indéniables, mais loin de l’image exagérée qui est peinte du pays.
Au cours des dernières semaines, le Mali a connu une pénurie notable de carburant, ce qui a affecté le fonctionnement de certains services publics. L’école a été suspendue dans l’ensemble de la république, et certains moyens de transport ont été contraints de s’arrêter temporairement.
Cependant, malgré ces difficultés, la vie ne s’est pas arrêtée. Les marchés restent ouverts, les biens essentiels sont disponibles, et nous n’avons pas encore observé de crise alimentaire comme certains le prétendent. À Bamako, la vie continue de manière relativement normale. Les marchés sont toujours ouverts, les produits sont disponibles, et nous n’avons pas constaté d’augmentation des prix.
Même dans les zones proches de la capitale, comme Koulikoro, Kay et Sikasso, l’activité est normale malgré le ralentissement du trafic des camions en provenance du Sénégal et de la Côte d’Ivoire.
L’armée malienne est toujours positionnée à des endroits stratégiques, et les forces de sécurité poursuivent leurs opérations. Les routes qui étaient auparavant utilisées de manière aléatoire pour transporter du carburant et des marchandises sont désormais soumises à un nouveau système de surveillance et de distribution. Ces mesures, bien qu’elles aient entraîné un ralentissement du trafic des camions, sont une étape nécessaire pour organiser le passage du carburant et empêcher son trafic vers les groupes armés.
Les causes profondes de la crise
Parmi les raisons souvent négligées par de nombreux observateurs, ce qui se passe aujourd’hui au Mali n’est pas simplement une crise de carburant ou un manque d’approvisionnement, mais le résultat de transformations sur le terrain plus profondes.
Depuis environ un an, nous avons remarqué que les groupes terroristes, qui étaient basés dans le centre du Mali (dans des zones comme Mopti, Bandiagara, Koro, Bankass, certaines zones de Ségou), ont commencé à se déplacer progressivement vers le sud, c’est-à-dire vers la région la plus proche de la capitale.
Ce mouvement n’est pas aléatoire, mais un tactique calculée visant à disperser les forces de l’armée malienne (FAMA), qui avaient concentré leur présence dans le nord et le centre pour faire face à la rébellion armée là-bas.
En même temps, des indicateurs de mouvements des forces rebelles “FLA”, qui étaient basées dans les zones frontalières entre le Mali et l’Algérie, ont émergé. Ce qui est nouveau, c’est que ces forces ont commencé à infiltrer les zones centrales, parallèlement aux mouvements des groupes terroristes, ce qui suggère une sorte de compréhension ou de coordination non déclarée entre les deux parties. L’objectif semble être de créer une pression multidirectionnelle sur l’armée malienne, l’obligeant à répartir ses forces sur de vastes espaces du pays, et donc à affaiblir sa capacité à maintenir un contrôle strict dans une région donnée.
Si cette évaluation est correcte, alors ce qui se passe au Mali aujourd’hui n’est pas un “effondrement sécuritaire”, comme certains le prétendent, mais un repositionnement des groupes armés. Ils tentent maintenant de regrouper leurs forces et d’élargir temporairement leur portée, en attendant de réorganiser leurs rangs pour mener des attaques dans leurs zones traditionnelles du nord.
Ce n’est pas la première fois que ces groupes adoptent une telle méthode, ils l’ont fait il y a des années lorsqu’ils ont reculé devant l’armée, puis sont revenus après un certain temps pour l’attaquer avec une nouvelle approche. Mais la différence aujourd’hui est que les conditions politiques et sécuritaires ont changé, et que l’armée malienne est devenue plus organisée et expérimentée qu’auparavant.
Sur le terrain, personne ne nie que la situation est difficile, mais l’exagération de sa description sert plusieurs agendas, certains politiques et d’autres purement médiatiques. Il y a ceux qui veulent montrer le Mali comme un pays au bord de l’effondrement, et d’autres qui amplifient la menace terroriste pour justifier des positions ou des interventions.
Quant à ceux qui vivent ici à Bamako, ils savent que le pays traverse une période délicate, mais qu’il n’est pas au bord de la chute comme on le dit.
Une autre des raisons qui ont exacerbé la crise est la tentative du gouvernement de réorganiser le transport de carburant et de marchandises vers la capitale. Auparavant, les camions de carburant circulaient sans surveillance claire, ce qui les rendait vulnérables au vol ou au trafic. Maintenant, les autorités ont mis en place un plan pour organiser le mouvement de ces camions, les rassemblant à des points spécifiques avant de leur permettre de se déplacer en convois sécurisés vers la capitale.
Ce processus prend du temps, ce qui a entraîné des retards dans l’arrivée du carburant à certains moments, mais c’est une étape nécessaire pour garantir la sécurité et la stabilité à long terme.
Bien que le manque de carburant ait eu un impact sur la vie quotidienne des gens, ce qui est véhiculé dans les médias sur un “paralysie totale” à Bamako n’a rien à voir avec la réalité. La ville reste vivante, les gens continuent leurs activités, et les transports fonctionnent, même de manière intermittente.
Entre les médias et le terrain
C’est ici que commence le fossé que je voulais aborder. Ceux qui suivent la couverture médiatique internationale et régionale de ce qui se passe au Mali pensent qu’ils sont face à un pays qui s’effondre, ou du moins sur le point de tomber complètement. Les mêmes titres se répètent dans les journaux et les chaînes: “Al-Qaïda s’approche du contrôle du Mali”, “La pénurie de carburant paralyse la vie à Bamako”, “Le régime militaire vit-il ses derniers jours?”
Mais ceux qui vivent dans la capitale voient que la réalité n’est pas aussi sombre. Oui, il y a une crise réelle, mais les gens ne vivent pas dans le chaos ou la panique comme certains le décrivent.
Quiconque connaît la géographie malienne sait sans aucun doute que ces groupes n’ont ni la densité numérique ni la force logistique suffisante pour menacer la capitale. Ce qu’ils font, ce sont des opérations sporadiques sur des routes secondaires ou dans des zones montagneuses limitées, visant à susciter la peur et à perturber le mouvement des approvisionnements.
Les médias (internationaux et régionaux), malheureusement, traitent souvent la situation malienne depuis derrière des bureaux ou via des sources non terrain, amplifiant le tableau et le transformant d’une crise de carburant limitée en une tragédie nationale complète.
Même le discours sur le “blocus” n’est pas précis, car la capitale n’est pas réellement assiégée, et ce qui se passe est plus proche d’un “blocus partiel” sur certaines routes principales menant à elle (comme la route Kay-Bamako et Sikasso-Bamako), résultant de conditions de sécurité et d’organisation, et non d’un effondrement total ou d’un chaos général comme on le prétend.
L’armée malienne reste maîtresse de la situation sur le terrain, menant des opérations continues pour sécuriser les routes et les zones sensibles, mais sécuriser un réseau routier dans un pays vaste comme le Mali nécessite du temps et une organisation précise.
Ainsi, lorsque les camions de carburant mettent du temps à arriver à la capitale, ce n’est pas à cause de l’effondrement de l’État, mais parce que le transport est devenu un peu plus complexe. Auparavant, les camions entraient sans surveillance adéquate, mais aujourd’hui, il existe des mesures de sécurité strictes, un rassemblement des camions à partir de différents endroits, et une organisation de leur parcours avant qu’ils ne soient autorisés à se déplacer vers la capitale. Ce processus prend du temps, mais il est nécessaire pour garantir la sécurité des routes et une distribution organisée des approvisionnements.
Stratégie de blocus et tentatives d’isoler la capitale
Il est clair que les groupes terroristes essaient cette fois d’adopter une nouvelle méthode consistant à tenter d’étouffer économiquement la capitale, non pas par une attaque militaire directe, mais en coupant les voies d’approvisionnement et en empêchant l’arrivée de carburant. Mais ce n’est pas la première fois que ces groupes essaient de telles méthodes.
Ils ont déjà tenté de brûler les usines qui produisaient des biens vitaux pour l’État, mais les autorités de transition ont réussi à surmonter cette phase. Les groupes ont également essayé de brûler les véhicules de maintenance qui travaillaient à la réparation des routes principales, et enfin, ils ont eu recours à l’incendie de camions-citernes dans plusieurs régions, dans une tentative de semer le désordre et de créer l’impression que l’État est impuissant. Cependant, malgré cela, la crise n’a pas atteint le niveau d’un arrêt général, et la vie quotidienne dans les villes n’a pas cessé.
De plus, les prix du carburant dans la capitale n’ont pas augmenté, restant autour de 775 francs CFA le litre, le même prix qu’avant la crise. Le gouvernement a réussi à maintenir la stabilité des prix et à empêcher la vente de carburant sur le marché noir, ce qui a empêché la crise de se répercuter sur les prix des denrées alimentaires.
Si le carburant avait réellement augmenté, cela aurait eu un impact évident sur la nourriture et les transports, mais cela ne s’est pas produit. Cela prouve que l’autorité de transition était consciente des risques d’augmentation, choisissant d’absorber le choc et de contrôler le marché plutôt que de le laisser à la folie et à la spéculation.
Cependant, en même temps, certains pourraient penser que ces groupes ont partiellement réussi à imposer leur influence sur certaines routes principales menant à la capitale, ce qui a effectivement causé des retards dans l’arrivée des cargaisons de carburant et a provoqué une certaine pénurie temporaire. Cependant, cette étape a été une épée à double tranchant, car elle a eu des résultats totalement inverses.
Au lieu d’affaiblir la confiance des citoyens envers les autorités de transition, cela a contribué à renouveler le soutien populaire envers elles. Les gens ont compris que ce que font les groupes armés n’a pour but que de détruire l’économie du pays et de couper les moyens de subsistance des gens, c’est pourquoi de nombreux Maliens ont exprimé leur soutien aux efforts de l’État et ont appelé à la nécessité de trouver un plan alternatif et rapide pour sécuriser les approvisionnements et ouvrir les routes.
Conclusion
Ceux qui vivent à Bamako aujourd’hui n’ont pas besoin de rapports pour savoir que la crise est réelle. Mais ils réalisent aussi que leur pays n’est pas tombé comme on le prétend. Certes, le Mali souffre, mais il ne se rend pas. Les gens se plaignent et rient en même temps. Cette capacité à continuer malgré tout est ce qui rend ce pays différent.
Peut-être que les caméras ne comprennent pas ces petits détails, mais ceux qui les vivent en connaissent la valeur. À la fin de chaque journée, lorsque les générateurs s’allument et que le soleil se couche derrière le fleuve Niger, je sens que Bamako – malgré sa fatigue – est toujours vivante, refusant d’être réduite à une ligne ou un titre dans les nouvelles.
Le Mali n’est pas seulement une crise de carburant ou un conflit d’influence, c’est l’histoire d’un peuple qui s’accroche à la vie malgré le siège, et d’une ville qui continue de battre malgré tout ce qui se dit à son sujet.
En conclusion, on peut dire que la réalité de la crise au Mali aujourd’hui n’est pas simplement une crise de carburant ou un blocus temporaire, mais fait partie d’une bataille plus large entre l’État et les groupes qui tentent de le déstabiliser.
Bamako n’est pas assiégée, et le Mali n’est pas tombé, mais traverse une nouvelle phase de défi et d’épreuve. La différence entre ce que nous voyons dans la rue et ce qui est dit sur les écrans est celle entre la réalité et le récit médiatique.
Ainsi, ce qui est nécessaire aujourd’hui n’est pas seulement de rapporter les nouvelles, mais de transmettre l’image telle qu’elle est. Les médias doivent dépasser le langage de l’exagération et écouter les voix des gens sur le terrain, ceux qui continuent leur vie malgré tous les défis, et qui savent que la vérité n’est pas toujours telle qu’elle est présentée sur les écrans.
Le Mali a traversé des périodes de troubles politiques et de violence depuis 2012, avec l’émergence de groupes armés dans le nord. Ces conflits ont été exacerbés par des facteurs socio-économiques et des tensions ethniques. La situation s’est complexifiée avec l’implication d’acteurs internationaux et des changements de gouvernement, rendant la stabilité difficile à atteindre. La crise actuelle est le résultat d’une combinaison de facteurs internes et externes, nécessitant une approche nuancée pour comprendre les dynamiques en jeu.





