CE Qu’Il Faut Savoir
Le Dr Magdy Mohamed Mahmoud Adam présente dans ce résumé une vision analytique des zones économiques spéciales en Afrique subsaharienne, en expliquant leur concept, leurs objectifs, leur évolution, leur répartition, leurs types et leurs modèles de gouvernance. Il évalue leur impact économique et social, en soulignant les réussites et les défis (intégration régionale, emploi, gouvernance), et propose une vision prospective les reliant à la Zone de libre-échange continentale africaine, à l’industrialisation verte et aux stratégies nationales, en affirmant que leur succès dépend d’une conception rationnelle, de la transparence et de liens solides avec les fournisseurs locaux.
Africa. Les zones économiques spéciales (ZES) figurent parmi les outils modernes les plus importants utilisés par les pays d’Afrique subsaharienne dans leurs politiques de développement, afin de stimuler la croissance industrielle, diversifier l’économie, créer des emplois et améliorer les exportations.
Ces zones constituent un environnement réglementaire et d’investissement particulier, distinct du reste de l’économie nationale. Elles offrent des incitations fiscales et financières, ainsi qu’une infrastructure moderne, ce qui en fait des plateformes d’attraction des investissements directs étrangers (IDE) et des laboratoires d’expérimentation pour de nouvelles politiques industrielles avant leur généralisation.
L’expérience africaine a débuté dans les années 1970, influencée par les modèles asiatiques réussis tels que la Chine et la Corée du Sud. L’île Maurice, le Sénégal et le Liberia furent parmi les premiers à adopter ce concept. Depuis, la pratique s’est rapidement étendue à plus de quarante pays africains. Les résultats demeurent cependant contrastés: certains pays ont attiré d’importants capitaux et créé des emplois, tandis que d’autres ont échoué en raison d’un manque d’infrastructures, de politiques incohérentes et d’une faible gouvernance.
1. Nature et fonctions des zones économiques spéciales
1. Définition et principes
Les ZES sont des zones géographiques délimitées à l’intérieur d’un État, mais bénéficiant de règles économiques et juridiques spécifiques: exonérations fiscales et douanières, procédures simplifiées, et un cadre favorable à l’investissement et au commerce.
Elles regroupent plusieurs types:
– Zones de transformation pour l’exportation (EPZ) ;
– Zones de libre-échange ;
– Ports francs ;
– Parcs et complexes industriels.
Leur objectif est de stimuler l’industrialisation, d’accroître les exportations, d’attirer les investissements et de favoriser le transfert de technologies vers les entreprises locales, tout en créant des clusters industriels intégrés capables de générer des économies d’échelle.
2. Acteurs et structures de gouvernance
Le système de gestion d’une ZES repose sur cinq acteurs:
le gouvernement, l’autorité de zone (régulateur), le promoteur ou investisseur, l’opérateur et les entreprises licenciées.
Trois modèles institutionnels dominent:
– Modèle public (42 %): propriété et gestion étatiques ;
– Partenariats public-privé (30 %) ;
– Modèle privé (28 %): investissement et gestion intégralement privés.
Cette diversité reflète les capacités financières et institutionnelles variables des pays africains.
2. Objectifs économiques
Les ZES servent à:
1. Attirer les IDE grâce à des incitations fiscales et réglementaires ;
2. Diversifier l’économie et réduire la dépendance aux matières premières ;
3. Accroître et diversifier les exportations manufacturières ;
4. Créer des emplois et développer les compétences ;
5. Augmenter les réserves en devises ;
6. Tester de nouvelles politiques économiques avant leur adoption nationale.
3. Évolution et répartition des ZES en Afrique
Depuis les années 1980, la croissance des ZES s’est accélérée à l’échelle mondiale: 176 zones dans 47 pays en 1986, contre plus de 3 500 en 2006.
L’Afrique a rejoint tardivement cette dynamique, mais le nombre de zones est passé de 20 en 1990 à plus de 230 en 2020, réparties sur 47 pays sur 54.
En 2021, on recensait 203 zones économiques spéciales en Afrique, dont 73 en développement. Cinq pays concentrent 93 % des ZES africaines: le Maroc, le Nigeria, l’Égypte, l’Éthiopie et le Kenya.
Les principaux pôles sont:
– Kenya (61 zones),
– Nigeria (38),
– Éthiopie (18),
– Égypte (10),
– Tanzanie, Ouganda, Botswana, Cameroun (9 chacun),
– Afrique du Sud (8),
– Maroc (6).
Les raisons de cette expansion incluent:
– la coopération avec la Chine dans les infrastructures ;
– l’expansion des programmes nationaux ;
– la reconnaissance des ZES comme instrument clé de la politique industrielle.
3. Types et modèles de ZES en Afrique subsaharienne
Environ 89 % des ZES africaines sont multisectorielles, combinant divers types d’industries (alimentaire, textile, produits légers), tandis que 10 % sont spécialisées dans des secteurs précis comme l’aéronautique (Maroc) ou la pharmacie (Éthiopie). Environ 1 % sont des centres logistiques proches des ports et aéroports.
Exemples:
– Burundi: zone spéciale d’exportation offrant d’importantes incitations fiscales.
– Kenya: zones d’exportation (EPZ) créées en 1990 sous supervision publique.
– Rwanda: programme SEZ pour résoudre les problèmes d’accès à l’énergie, aux infrastructures et simplifier les démarches.
– Ouganda: zones franches gérées par le ministère des Finances, visant à diversifier l’économie.
– Tanzanie et Zanzibar: zones sous la tutelle de l’EPZA, ciblant les projets à forte intensité de main-d’œuvre et l’augmentation des exportations.
4. Évaluation économique et sociale
1. Les bénéfices
Selon l’Agence française de développement (AFD), les pays dotés de ZES:
– produisent des exportations à plus forte valeur technologique ;
– s’intègrent mieux dans les marchés mondiaux ;
– connaissent une transformation structurelle vers l’industrie.
Exemples:
– Le port Tanger Med (Maroc) est devenu un hub régional de l’automobile.
– Les zones industrielles d’Éthiopie ont attiré des multinationales du textile.
Impact social:
– Amélioration du niveau de vie des ménages vivant à proximité (électricité, logement, assainissement).
– Davantage de femmes accédant à des emplois formels, quittant l’agriculture de subsistance.
Impact économique élargi:
– Corrélation positive entre IDE et croissance du PIB.
– Diversification des exportations (ex. Ghana: 1,25 milliard USD en 2019).
– Création d’emplois et formations professionnelles (Bénin, Togo).
– Augmentation des flux d’investissement en Afrique de l’Ouest et centrale.
2. Les limites
Malgré ces succès:
– Faible intégration dans les chaînes de valeur régionales ;
– Contribution limitée à la diversification des produits ;
– Création d’emplois souvent inférieure aux attentes ;
– Sous-représentation des femmes aux postes de direction ;
– Certaines zones restent isolées de leur environnement local.
5. Défis structurels et organisationnels
Trois défis majeurs:
1. Suivi de l’impact social:
Les données manquent pour mesurer les effets réels sur les communautés. Des conflits fonciers surgissent parfois entre investisseurs et populations locales.
2. Diversification économique:
Il faut dépasser les industries traditionnelles (bois, textile) et développer des chaînes de valeur à haute valeur ajoutée, comme le montre l’exemple du Gabon avec la valorisation des déchets de bois.
3. Emploi et inclusion sociale:
La jeunesse africaine représente un atout, mais les entreprises doivent adopter des politiques d’emploi équitables et renforcer la présence féminine dans les postes de gestion (progrès notés au Togo et au Bénin).
6. Perspectives d’avenir
L’avenir des ZES africaines dépend de leur capacité à passer de zones isolées à des leviers de développement intégré.
Trois tendances clés émergent:
1. Intégration à la ZLECAf (Zone de libre-échange continentale africaine):
Des pays comme le Kenya et le Rwanda harmonisent leurs procédures douanières et logistiques pour créer des chaînes de valeur régionales.
2. Industrialisation verte et inclusive:
Les nouvelles zones intègrent la durabilité environnementale:
– Tanger Med investit dans les énergies renouvelables et la réduction des déchets ;
– Naivasha (Kenya) soutient les PME pour renforcer leur intégration dans les chaînes d’approvisionnement.
3. Intégration dans les plans nationaux:
Les ZES deviennent des composantes des stratégies industrielles nationales:
– La zone du canal de Suez (Égypte) s’inscrit dans un corridor logistique ;
– Les zones éthiopiennes sont reliées au réseau ferroviaire et énergétique.
7. Conclusion générale
Les zones économiques spéciales ont joué un rôle important dans la transformation économique et sociale de l’Afrique:
elles ont modernisé les infrastructures industrielles, renforcé les compétences, augmenté les exportations et favorisé l’intégration au commerce mondial.
Mais leur réussite dépend de la gouvernance, de la transparence et du lien avec les économies locales.
Pour devenir de véritables moteurs du développement, il faut:
– améliorer la gouvernance et les incitations ;
– renforcer les liens entre investisseurs étrangers et entreprises locales ;
– investir dans les infrastructures hors zone ;
– bâtir la confiance avec les communautés locales ;
– lancer des programmes de formation et de développement des fournisseurs.
En somme, l’expérience africaine démontre que les ZES peuvent être des leviers puissants pour un développement durable et inclusif, si elles sont conçues et gérées intelligemment.
Les exemples du Maroc, de l’Éthiopie et du Kenya illustrent leur potentiel à devenir des pôles industriels et logistiques régionaux, contribuant à la vision Africa 2063 d’une croissance intégrée et durable.





