Africa-Press – Mali. La population malienne n’a pas pu digérer les sanctions prises dernièrement par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à l’encontre du pays, le dimanche 9 janvier 2022, à Accra, capitale du Ghana, suite au retard supposé dans le processus du transfert du pouvoir par le gouvernement militaire de transition aux civils.
Les milliers de manifestants qui sont sortis dans la rue, notamment dans la capitale, Bamako, et dans d’autres villes, telles que Tombouctou au nord et Bougouni au sud du Mali, durant la journée du vendredi 14 janvier, pour exprimer et extérioriser leur colère contre ces décisions, ont répondu à un appel de la junte militaire au pouvoir qui, dans le sillage des de la CEDEAO, son président le colonel Assimi Goïta a exhorté ses citoyens à défendre leur patrie.
C’est dans ce sens que nous avons vu utile de revenir sur le contexte général dans lequel se sont déroulées ces manifestations populaires, les positions des acteurs de la crise ainsi que les réactions internationales qui les accompagnent, notamment celles de la France et de la Russie, et comment leur position a été le reflet de celle des autorités et des manifestations à leur encontre.
Qu’est-ce qui a déclenché l’étincelle ?

A noter que le début de la récente crise, remonte à la Conférence nationale, organisée par le gouvernement de transition au Mali, le 2 janvier 2022, dont les travaux ont été conclus à Bamako par l’adoption d’une recommandation visant à prolonger la période de transition politique pour une durée allant de six mois à cinq ans.
Dans ce contexte, il faut rappeler que le gouvernement de transition, dirigé par le Colonel Assimi Goïta, avait approuvé un calendrier de 18 mois censé aboutir à des élections au mois de février 2022, décision prise après le coup d’État militaire d’août 2020.
Ensuite, le gouvernement de transition est revenu sur cette feuille de route, affirmant la nécessité de réussir cette phase de transition en tenant compte des nécessités de la situation dans laquelle le pays se trouvait, du fait des attaques terroristes coïncidant avec la pandémie du virus Corona.
Le conseil militaire de transition (CMT), a justifié ce changement en disant qu’il n’était pas en mesure de respecter ce délai, pointant l’instabilité persistante dans le pays qui connaît des violences, en plus de la nécessité de mettre en œuvre des réformes telles que la réforme de la constitution, afin que les élections ne s’accompagnent pas de protestations, comme cela s’était produit lors des élections précédentes.
CEDEAO : Une cruauté sans précédent dans la prise des sanctions

Après que cette recommandation ait été émise et transmise à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, celle-ci a décidé de tenir une double session extraordinaire de la Conférence des chefs d’Etats de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), le 9 janvier 2022 à Accra, lors desquelles ils ont imposé un ensemble de sanctions, y compris la fermeture des frontières des États membres de la CEDEAO avec le Mali, et l’interdiction du commerce à l’exception des matières premières de base, y compris également les transactions financières, ainsi que le gel de ses avoirs dans les banques ouest-africaines, en plus de convoquer les ambassadeurs des États membres accrédités à Bamako.
L’argumentation sur laquelle la CEDEAO s’est basée, c’est qu’elle estime que la proposition de la junte militaire malienne de tenir des élections présidentielles en 2026 est « totalement inacceptable », soulignant que cela « signifie qu’un gouvernement militaire de transition illégitime tiendra en otage le peuple malien au cours des cinq prochaines années », et qu’il ne lèvera les sanctions que progressivement, lorsque les autorités maliennes présenteront un calendrier jugé « acceptable » et que des progrès satisfaisants soient constatés dans sa mise en œuvre.
Selon des observateurs, ces sanctions sont plus sévères que celles imposées après le premier coup d’État d’août 2020, ce qui a poussé certains d’entre eux à accuser l’organisation régionale d’appliquer injustement des sanctions économiques et politiques pour des objectifs liés à des intérêts étrangers, et français en particulier, d’autant plus que la CEDEAO n’a pas imposé les mêmes sanctions à la Guinée, qui a connu un coup d’État en septembre 2021, en allusion à la forte influence française dans les couloirs de l’organisation ouest-africaine, CEDEAO, ce qui affecte l’indépendance de sa décision, sachant que la France est l’ancienne puissance coloniale présente militairement dans la région du Sahel.
Les conséquences qui découleront de ces sanctions
Il est attendu que ces sanctions vont affecter gravement l’économie malienne enclavée, qui compte parmi les plus pauvres du monde et qui souffre d’une crise sécuritaire et épidémique, d’autant plus que la République du Mali est un pays enclavé qui n’a pas de vue sur la mer et dépend du Sénégal et de la Côte d’Ivoire pour l’acheminement de ses échanges commerciaux. Par conséquent, ces sanctions constituent une énorme pression politique et économique sur le pays, augmentant ainsi, et gravement, la déjà longue liste de ses problèmes.
La réaction du gouvernement de transition
Dans le souci de gérer le mieux possible cette situation, le gouvernement malien a choisi d’adopter parallèlement deux directions :
• La première tendance est le rejet de ces sanctions, tout en optant pour l’escalade face à la CEDEAO, en y répondant de la même façon, car le gouvernement a immédiatement rappelé ses ambassadeurs des pays membres de la CEDEAO, fermant également ses frontières terrestres et aériennes avec eux. Le gouvernement de transition a annoncé entre-autres qu’il se réservait le droit de revoir sa participation au sein de la CEDEAO, accusant celle-ci de ne pas avoir pris en considération la situation dans le pays, avant la prises de ces sanctions, ce qu’il considère comme illégal et ne reposant sur aucune base légale réglementant le travail du groupe, et il contredit également ses objectifs en tant qu’organisation régionale africaine visant à réaliser la solidarité, exprimant son regret que l’organisation régionale soit devenue un « instrument entre les mains des forces extérieures à la région » ont des plans cachés », une référence indubitable à la France.
A noter que le Gouvernement malien, malgré le ton dur entourant la réponse, n’a pas fermé la porte à l’organisation régionale, mais a plutôt déclaré que la porte du dialogue est toujours ouverte pour trouver une solution à la crise qui s’aggrave.
• La deuxième tendance est la mobilisation de la rue, laquelle est montée en colère contre la France et son rôle suspect dans le pays, et la CEDEAO et ses sanctions qui troublent leur vie, en plus du soulèvement populaire, où les citoyens ont organisé une marche massive dans la capitale, Bamako, dénonçant les sanctions sévères imposées par l’organisation ouest-africaine, exigeant leur levée immédiate.
Il importe de relever que, étonnamment, ces manifestations dénonçaient la présence française, et voyaient en sa présence un large terrain aux pratiques terroristes, déclarant dans leurs slogans leur soutien aux orientations russes en faveur des causes de leur pays, et pendant le mouvement, les manifestants portaient des affiches portant des remerciements à la Russie et ses efforts au Mali.

Ce n’est donc un secret pour personne que cet agenda, apparu publiquement dans les rassemblements et manifestations populaires, soit le même que l’agenda défini par le gouvernement Goïta, qui ne souhaite plus la présence de l’ancien colonisateur français, mais l’a plutôt accusé à plus d’une reprise d’être d’un grand soutien au terrorisme dans le pays, et voyait donc dans la présence russe un espoir et un moyen dignes de confiance pour sortir le pays du bourbier sécuritaire et réduire ou mettre fin au rôle suspect de la France.
Par ailleurs, même s’il est vrai que ces manifestations ont répondu à l’appel des militaires, et qu’elles ont protesté aussi contre la présence coloniale française haineuse, tout en dénonçant les sanctions imposées par la CEDEAO, mais il peut ne pas sembler acquis que leur sortie dans la rue donne une sorte de légitimité au double coup d’État militaire de Goïta, ou à son approbation et acceptation de la Feuille de route pour une transition de cinq ans.
Cinq bonnes années, c’est très long, et à la fin de cette période, elle peut conduire à un régime militaire étendu, ou à une un faux régime civil qui dissimule le régime militaire lequel tiendrait en réalité le « gouvernail du gouvernement ».
Ces manifestations ont déclenché une vague de colère contre le nouveau colonialisme français, tandis que la communauté malienne et africaine à Paris a manifesté quant à elle devant l’ambassade du Ghana, rejetant le blocus et dénonçant les décisions.
A noter que la date du samedi 22 janvier 2022 a été attribuée à l’organisation de nombreuses manifestations sur le continent et dans le monde, notamment devant les ambassades de France.
Anouar CHENNOUFI
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