Caraïbes : au Mi Kwabo, on sublime la cuisine africaine

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Bénin-Caraïbes : au Mi Kwabo, on sublime la cuisine africaine
Bénin-Caraïbes : au Mi Kwabo, on sublime la cuisine africaine

Africa-PressBenin. Dans son restaurant parisien ouvert récemment, Mi Kwabo, le jeune autodidacte Elis Bond propulse les produits africains et caribéens dans les hautes sphères de la gastronomie.

On l’attendait depuis longtemps le chef qui pourrait faire le grand écart entre cuisine africaine et gastronomie. Il est enfin là, et son profil a tout pour surprendre : il est jeune (28 ans depuis le 31 mars), n’a jamais travaillé sous les ordres d’une pointure étoilée, n’a validé aucune formation professionnelle et a forgé son style seul. Ou presque. « Je me suis beaucoup inspiré de l’émission de télé américaine Chef’s Table, qui passait sur Netflix et qui présentait de grands chefs internationaux », concède Elis Bond. Et son épouse, Vanessa, de préciser : « Il a tellement regardé certains épisodes qu’il est capable d’en citer des passages entiers par cœur ! »

Le jeune couple, lui aux fourneaux, rigoureux et concentré, elle volubile, au service et au vin, suscite autant de sympathie que d’admiration. Ils ont ouvert Mi Kwabo (« soyez les bienvenus », en fon) dans un petit local parisien, 42 rue Rodier, à quelques encablures de Pigalle, le 18 janvier, en y mettant tout ce qu’ils avaient de finance et d’énergie.

Exigu, tout juste assez grand pour poser quatorze couverts en enfilade de la cuisine ouverte, l’établissement a dû fermer ses portes après seulement deux mois d’activité à cause du Covid-19… Mais les patrons n’ont pas baissé les bras et ont choisi de se relancer en douceur, d’abord avec de la vente à emporter puis aux tables.

Et c’est tant mieux. Car entre les murs couleur terre de Sienne de leur petit resto, sur une bande-son jazzy, se joue une évolution majeure de la cuisine africaine. Les créations afro d’Elis Bond (distingué en 2019 « jeune talent » par le Gault et Millau) atteignent un degré de raffinement et d’inventivité qui n’a jamais été approché en France à notre connaissance.

Tandis que la plupart des bonnes tables africaines se contentent généralement de donner leur version des grands classiques du continent (maffé, tiep, poulet yassa ou DG), le cuistot s’appuie sur des ingrédients glanés en Afrique subsaharienne ou dans les Caraïbes pour élaborer des mets enlevés, très inspirés, dans leur conception et leur épure, de la nouvelle cuisine française.

Les tarifs des menus en trois, quatre ou cinq temps oscillent entre 30 et 50 euros. Pas donné dans l’absolu, mais plutôt accessible pour une cuisine de ce niveau. Jugez plutôt. Pour un menu en quatre temps, est posé en préambule, sur un présentoir d’argile façonné par le chef, un beurre demi-sel de Quimper travaillé avec des petites crevettes séchées et du poivre de Penja (une région montagneuse du Cameroun, réputée pour son poivre blanc et noir). Suivi d’un manioc en trois façons, mêlant à une somptueuse morille de Turquie du saka saka (la purée de feuilles de manioc) un tubercule de manioc fermenté (« bobolo » du Cameroun) et de la farine de manioc.

Puis d’un filet de bar mariné (dont la peau frite croque sous la dent) aux gombos sautés. Qui enchaîne sur un magret de canard mariné aux trois poivres, puis braisé, servi dans une sauce à base de cacao camerounais et d’un soupçon de harissa. Enfin, le coup de grâce est porté par un savoureux dessert : une banane plantain rôtie dans sa peau (comestible) au poivre sauvage de Madagascar, assortie de fèves de cacao fraîches, d’une crème glacée cacao-cannelle décorée d’arachides caramélisées et râpées servie dans une cabosse de cacao, et d’un demi-fruit de la passion.

Le parcours mouvementé d’Elis Bond explique la richesse de ces créations culinaires. Né à Cayenne de parents haïtiens, il quitte enfant la Guyane pour rejoindre la région parisienne. Suffisamment tard cependant pour se souvenir des goûts et des parfums de sa terre d’origine. L’école est un moment difficile : « J’ai appris à lire en troisième », confie-t-il. Attiré par le dessin, il tente en vain de s’orienter vers une école de communication graphique. Il lui en reste un sens certain de la mise en scène d’assiettes où il assemble formes et couleurs… D’ailleurs, tous ses plats sont d’abord des croquis, accumulés dans de petits carnets, avant d’être concrétisés.

Le jeune homme choisit de se former en pâtisserie, mais ne peut valider son CAP, car son patron licencie tout le personnel juste avant la fin de l’année scolaire. Les rebondissements sont encore nombreux. Un passage dans un resto franco-mexicain, où il transite de la plonge au poste de responsable traiteur. Un an à l’École militaire. Un autre détour par un restaurant de cuisine antillaise… Et c’est finalement la rencontre avec Vanessa qui va être déterminante. La tête sur les épaules, elle structure son projet et familiarise son compagnon à la cuisine du Bénin, d’où ses parents sont originaires.

« En 2013, peu de temps après notre rencontre, on savait déjà qu’on voulait ouvrir un resto ensemble », raconte-t-elle. « Chaque jour, pendant sept ans, j’ai travaillé dur pour réaliser ce rêve, complète le chef. J’ai bossé en tant que traiteur, chef à domicile… et lors d’un dîner privé où le directeur du Gault et Millau était présent. » C’est là qu’il se fait repérer avec une cuisine qui sort des sentiers battus et rebattus. Elis Bond s’inspire de la démarche des très grands. Comme le Brésilien Alex Atala, il veut faire du haut de gamme avec des produits consommés par le peuple. « Je veux être capable de sublimer une banane plantain, du saka saka… », souligne-t-il. Et comme l’Indien Gaggan Anand, capable de sortir sa gastronomie du chicken curry et massala, il veut donner autre chose à voir de la cuisine africaine. Le résultat est déjà détonnant… « Mais ce n’est pas fini, je ne suis qu’à 10 % de ce que je veux faire ! » s’exclame le jeune chef. On a hâte de goûter à la suite.

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