Africa-Press – Benin. Originaire du nord du pays et « talonniste » de la première heure, l’actuelle première vice-présidente de l’Assemblée nationale a été choisie par le chef de l’État, qui brigue un second mandat, pour être candidate à ses côtés. Un « pari à la Biden » ?
Il est des scénarios que personne n’avait anticipés. Celui qui s’est déroulé le week-end dernier non loin des berges du lac Nokoué en est un. Patrice Talon a décidé de désigner Mariam Chabi Talata Zimé Yerima candidate à la vice-présidence. Elle formera avec lui le « ticket » pour la présidentielle du 11 avril prochain.
L’information, qui a rebondi le samedi 23 janvier de groupes WhatsApp en « annonces » sur Facebook, n’a pour l’instant été confirmée par aucun canal officiel. Elle est pourtant prise pour acquise par l’ensemble de la majorité présidentielle, dont les deux principales composantes, l’Union progressiste (UP) et le Bloc républicain (BR), peinaient à s’entendre pour proposer une candidature commune pour la vice-présidence.
Éducation et droits des femmes
Le président-patron, désormais mué en président-candidat, a donc tranché. Renvoyant dos à dos les deux partis de sa majorité et jouant du même coup un « pari à la Biden » en choisissant de former un « ticket » avec une femme, il a désigné la première vice-présidente de l’Assemblée nationale.
Première femme à avoir occupé cette fonction au Bénin, Mariam Chabi Talata pourrait donc, en cas de victoire du président sortant qui brigue un second mandat, devenir, à 57 ans, la première vice-présidente de son pays. Le poste a en effet été créé à la faveur de la récente réforme constitutionnelle. Et s’il est essentiellement honorifique, il n’en revêt pas moins une importance stratégique : c’est le (ou la) vice-président(e) qui assure l’intérim en cas de décès ou d’empêchement du président. Et ce jusqu’à la fin du mandat pour lequel il a été élu.
L’annonce a pris tout le monde de court. Y compris, à l’en croire, Mariam Chabi Talata elle-même. « C’est une surprise pour moi aussi, a-t-elle déclaré dans une courte prise de parole lundi 25 janvier sur les ondes de Sèdohoun, une radio communautaire. Comme vous, j’ai appris l’information. J’attends que le chef de l’État se prononce. » Depuis, elle refuse toute interview, préférant attendre que Patrice Talon dépose effectivement son dossier de candidature devant la Commission électorale nationale autonome, ce qu’il doit faire entre le 4 et le 8 février.
Ceux qui la connaissent la décrivent cependant comme une fausse discrète. « C’est une femme pondérée, qui a le sens de l’écoute. Mais sous ses airs avenants et presque timides, elle a les idées très claires sur ce qu’elle entend défendre, et n’hésite pas à le faire », glisse un assistant parlementaire qui la croise régulièrement dans les couloirs du Palais des gouverneurs, la vieille bâtisse coloniale de Porto-Novo où il a plusieurs fois assisté aux séances qu’elle préside, lorsque Louis Vlavonou, le président de l’Assemblée, est empêché pour une raison ou une autre.
« Les deux dossiers qui lui tiennent à cœur sont l’éducation et le droit des femmes, assure l’un des proches collaborateurs de Mariam Chabi Talata à l’Assemblée. Elle a envie de faire évoluer leurs droits, d’améliorer leur condition. Elle n’hésite pas à plaider pour des droits nouveaux, mais aussi, plus immédiatement, pour plus de reconnaissance et de respect. »
Talonniste de la première heure
Pur produit de l’enseignement supérieur béninois – elle a obtenu sa licence de Philosophie à la Faculté des lettres, arts et sciences humaines d’Abomey-Calavi – cette enseignante en philosophie, mère de quatre enfants et mariée à un ingénieur agronome, a gravi les échelons petit à petit. Après avoir obtenu le certificat d’aptitude au professorat du second degré (Capes) à l’issue d’une formation à l’École normale supérieure de Porto-Novo, en 1991, elle enseigne d’abord dans le nord du pays, à Natitingou, puis à Parakou.
En 2006, elle passe avec succès le concours d’entrée à l’Ecole de formation des personnels d’encadrement de l’Éducation nationale, dont elle sort diplômée trois en plus tard, et entame alors une carrière d’inspectrice de l’enseignement secondaire. En 2016, elle est nommée directrice de l’enseignement secondaire au ministère de l’Enseignement. Un poste qu’elle ne quittera qu’en 2019, pour siéger à l’Assemblée.
Car en parallèle à sa carrière dans l’Éducation nationale, elle est aussi en pointe sur les dossiers hautement politiques. Dans ce nord du Bénin où le parti de Thomas Boni Yayi régnait en maître par le passé, et où Patrice Talon a parfois peiné à rallier à lui d’anciens caciques des Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE) ou à s’assurer une réelle loyauté de la part de certains de ses transfuges, Mariam Chabi Talata a été l’une des premières à le rejoindre dans la course à la présidentielle de 2016.
Originaire de Parakou, elle a d’abord été militante au sein de l’Union pour la démocratie et la solidarité (UDS), parti sous l’étiquette duquel elle a siégé au conseil communal de Parakou de 2008 à 2015, avant de rejoindre l’alliance Soleil. La formation, en opposition aux FCBE de Boni Yayi, apporte son soutien à la candidature de Patrice Talon dès le premier tour de la présidentielle de 2016. « Elle a vraiment adhéré au discours de Talon dès le début. Elle partage ses valeurs, sa volonté de transformer la manière de gérer les affaires publiques », assure son proche collaborateur. « C’est une talonniste de la première heure, et le président l’a d’ailleurs signifié clairement lorsqu’il a fait d’elle la première vice-présidente de l’Assemblée nationale », affirme pour sa part un membre de l’entourage du président.
Et à ce poste, elle n’a pas manqué une occasion de défendre les réformes politiques menées sous l’égide du chef de l’État, malgré les critiques, sur le fond et la forme, portées par l’opposition. Y compris en faveur d’une meilleure représentativité des femmes dans une sphère politique béninoise si masculine, pour ne pas dire machiste. « Elle considère que le regroupement des partis en des entités plus vastes a mis fin aux baronnies politiques, qui étaient souvent l’apanage des hommes, et les compétences ont de ce fait été plus valorisées que les notions d’appartenance partisane, assure son collaborateur. Pour elle, cela été une aubaine pour les femmes en politique. »
Le fait qu’elle soit originaire du Nord a aussi son importance. La tradition – non écrite – voulait en effet que, lorsque le président était du sud du pays, le président de l’Assemblée nationale soit du Nord. Et inversement. Or, en choisissant Louis Vlavonou, un homme du Sud, pour présider l’Assemblée nationale, Patrice Talon avait fait grincer quelques dents. En désignant Mariam Chabi Talata, il rétablit donc cet équilibre.
Mariam Chabi Talata sait aussi être là où il faut, quand il le faut. Discrète, elle était néanmoins bel et bien présente lors de la tournée de reddition des comptes, véritable campagne présidentielle avant l’heure, que Patrice Talon a menée dans les 77 communes du pays, où il s’est rendu au fil d’un périple en pointillé débuté en novembre dernier. « Elle était là lors de la plupart des étapes, souligne un conseiller du président béninois. Elle l’était sans doute un peu moins que Robert Gbian, mais elle était très présente tout de même. »
Robert Gbian, ancien directeur du cabinet militaire de Thomas Boni Yayi dont il fut un temps l’un des dauphins putatifs, aujourd’hui deuxième vice-président de l’Assemblée nationale, était en effet en tête de liste des candidats défendus par le BR pour constituer un « ticket » avec Patrice Talon. Dans le camp d’en face, au sein de l’UP, c’est le nom de l’actuel ministre de l’Intérieur, Saca Lafia, qui était défendu avec le plus de conviction. Mais les deux partis, auxquels Patrice Talon avait demandé de se mettre d’accord avant de lui soumettre un candidat, ne sont pas parvenus à s’entendre.
Pour finir, le choix de Mariam Chabi Talata – suppléante de Sacca Lafia dans la huitième circonscription (Pèrèrè, Parakou, Tchaourou, N’dali) lors des dernières législatives, elle a revêtu l’écharpe de députée lorsque ce dernier a démissionné pour conserver son ministère –, constitue de fait une forme de victoire, sinon pour le ministre de l’Intérieur, du moins pour l’UP, son parti. Si Sacia Lafia élude les questions sur le sujet, se contentant de glisser qu’il « pense du bien de ce choix », un député de sa formation n’hésite pas à se faire plus direct : « Les deux partis ne s’entendaient pas, mais, qu’il s’agisse des législatives ou des locales, l’UP à obtenu les meilleurs scores. Il était donc normal qu’il ait une prime. »