Cassava Technologies, première « big tech » africaine ?

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Cassava Technologies, première « big tech » africaine ?
Cassava Technologies, première « big tech » africaine ?

Africa-Press – Benin. Les tournants technologiques ne prennent pas tous la forme d’un show à l’américaine, façon keynote d’Apple, relayé par les médias du monde entier. Parfois, ces révolutions se font dans l’anonymat d’une salle de conférence feutrée, en marge d’un événement professionnel. C’est précisément ce qu’il s’est passé le 8 novembre 2022, au deuxième étage du Centre de convention international de Cape Town, en Afrique du Sud, à l’occasion du salon AfricaCom, la réunion annuelle des acteurs africains du numérique.

Ce jour-là, les équipes de Liquid Dataport convoquent la presse panafricaine autour de leur directeur général, le Français David Eurin. L’objectif ? Présenter cette nouvelle entité de Liquid Intelligent Technologies, un groupe qui fait lui-même partie du holding Cassava Technologies, lequel a été créé par le milliardaire zimbabwéen Strive Masiyiwa.

Pionnier de la téléphonie mobile au Zimbabwe, où il est parvenu à rompre le monopole public en 1993, Masiyiwa est également connu pour avoir été l’un des premiers, dès 2003, à parier sur le câblage du continent en fibre optique terrestre, sous la bannière de Liquid Telecom.

Exploiter les données produites par les réseaux

Outre la cybersécurité et des solutions cloud – via notamment la distribution exclusive des offres de Microsoft Azure – réunies sous la bannière Liquid C2 (ou Liquid Cloud), Liquid Dataport doit incarner la véritable capacité du groupe à tirer parti des milliards de données générées par les différentes strates d’activité du holding Cassava Technologies.

« Nous ajoutons aujourd’hui une couche logicielle à la couche d’infrastructure pour mieux la monétiser », insistait David Eurin lors de sa présentation. Entièrement détenu par Liquid Intelligent Technologies, Liquid Dataport propose ainsi un logiciel en ligne de contrôle du réseau (software defined networking).

Qu’ils soient une petite entreprise ou une grande multinationale comme Facebook, Eutelsat ou Google, les clients de Liquid Dataport – principalement issus, dans un premier temps, du portefeuille sud-africain d’Africa Data Centres (ADC), également filiale Cassava Technologies – se voient offrir un contrôle total et personnalisé sur leur capacité internet, leurs besoins en hébergement de données sur le cloud et les routes que leur trafic internet emprunte. Et ce, via une simple application ou un site internet. Une couche d’intelligence artificielle, capable d’optimiser ces routes en cas de soucis, soutient cette gestion humaine des réseaux.

104 000 kilomètres de fibre

Jusqu’au début des années 2020, Liquid s’est attelé à la pose de près de 104 000 kilomètres de fibre à travers l’Afrique. L’entreprise présidée par le britannique Nic Rudnick a aussi pris des participations dans certains câbles sous-marins comme Pakistan & East Africa Connecting Europe (Peace), qui relie l’Europe et l’Asie à l’Afrique par sa côte Est.

Dirigé par Hardwork « Hardy » Pemhiwa, Cassava Technologies a en parallèle essaimé ses centres de données dans les principaux marchés du continent via sa filiale ADC, dont une partie de l’électricité est fournie via des panneaux solaires installés par Distributed Power Africa, une autre filiale de Cassava.

L’essentiel des infrastructures pour lesquelles Strive Masiyiwa a investi plus de 1,5 milliard de dollars, grâce notamment à des bailleurs de fonds internationaux, est désormais construite. Et depuis 2021, Liquid Telecom, rebaptisé Liquid Intelligent Technologies, s’attache à trouver des solutions pour amortir cette somme.

« Nous avons investi 20 millions de dollars ces deux dernières années dans ce projet de software defined network« , explique David Eurin. Une somme qui semble toutefois relativement faible par rapport aux engagements pris par son groupe dans les infrastructures ces vingt dernières années. Parallèlement, Cassava Technologies supporte le développement de solutions complémentaires à même de booster l’utilisation de son réseau de fibre.

L’application de paiement Sasai, agrège différents services allant de la messagerie instantanée à la vidéo, en passant par le transfert d’argent, la réservation de chauffeur ou l’achat de connexion wifi via Vaya Africa, une autre filiale de Cassava Technologies. Sasai se veut une « super app », inspirée du modèle chinois WeChat (mobile money, messagerie, e-commerce) que de nombreuses entreprises africaines comme Gozem, M-Pesa (Safaricom), MTN ou Yassir tentent de répliquer. Si Cassava Technologies ne communique pas sur le nombre d’utilisateurs de l’application, Google Play indique qu’elle a été téléchargée plus de 500 000 fois sur sa plateforme.

Publicité, fintech, cloud, énergie…

De la fourniture d’électricité à l’application grand public, Cassava maîtrise l’intégralité de la chaîne de valeur du numérique et s’adresse à tous les types de clients, des professionnels de toutes tailles, aux consommateurs finaux. Au troisième trimestre de l’exercice 2022-2023, sa principale filiale, Liquid Intelligent Technologies a enregistré un chiffre d’affaires cumulé de 444 millions de dollars, en croissance de 7,5 % sur un an, pour un excédent brut d’exploitation de 156 millions de dollars. Et près des trois-quarts de ses revenus sont issus de la commercialisation de ses réseaux fibres.

À l’image des grands groupes technologiques de la Silicon Valley, Cassava Technologies est présente dans plusieurs pays, évolue sur différents segments de marchés et met en relation des acteurs économiques sur des marchés dits « multifaces ». Il en est ainsi de Sasai, qui s’adresse à un public d’internautes et met ses utilisateurs en relation avec des créateurs de contenus, des fournisseurs de services et des annonceurs publicitaires. Ou encore d’ADC, qui, comme on l’a vu, réunit des entreprises en quête de stockage de données et des fournisseurs de cloud grâce à Liquid Cloud.

Barrière à l’entrée et acquisitions en série

Le groupe ne coche néanmoins pas tous les critères qui caractérisent les big tech. Pour les spécialistes, ces dernières se définissent comme des entreprises dominantes dans leur domaine, desservant des milliards d’utilisateurs et capable d’influencer le comportement de ces derniers, ainsi que de contrôler une grande quantité de données.

Si Cassava Technologies est bien présente dans une trentaine de marché, elle ne projette pas spécifiquement de rayonner hors d’Afrique – bien qu’elle soit présente en Amérique du Sud et au Moyen-Orient depuis le rachat de la société israélienne Telrad, en 2022. De plus, elle apparaît relativement novice dans la monétisation des données qu’elle détient, principalement sur le comportement de clients professionnels.

Par définition, les big tech se démarquent également par leur capacité à construire d’importantes barrières à l’entrée de leurs marchés, à éviter l’impôt, à racheter de nombreux concurrents, ainsi qu’à investir massivement dans la recherche et le développement (R&D). Cette fois-ci, on retrouve bien certains de ses aspects chez Cassava Technologies. Le holding a en effet édifié de sérieuses barrières à l’entrée sur le marché des infrastructures de réseau qui nécessite de lourds investissements.

Avec Liquid Intelligent Technologies, il a par ailleurs racheté ou cocréé huit entreprises en quinze ans, et a investi massivement dans l’innovation, avec près de trois milliards de dollars levés en dette et en capital. Et, comme le démontrent Liquid Dataport ainsi que les 50 millions de dollars levés auprès de C5 Capital en juillet 2022 pour accélérer dans la cybersécurité, l’entreprise poursuit ses investissements dans l’innovation. Quant à l’optimisation fiscale, Liquid Intelligent Technologies dispose d’un bureau à Maurice, au régime fiscal avantageux, tandis que le reste des opérations sont situées à Londres ou sur le continent.

Une big tech se définit enfin par sa capitalisation boursière conséquente. Si la physionomie du groupe Cassava Technologies s’inspire des bonnes pratiques internationales – un holding principal qui détient le reste des activités –, celui-ci n’est pas coté en Bourse. Du moins pour le moment.

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