Africa-Press – Benin. À moins d’un an de la fin de son dernier mandat, le président béninois Patrice Talon a convié la jeunesse à un échange public inédit au palais de la République. L’événement, tenu le 28 juillet 2025, s’est voulu participatif, convivial et pédagogique. Mais derrière cette ouverture apparente, plusieurs angles morts subsistent, et certains choix de gouvernance restent difficilement défendables au regard des attentes exprimées.
Dès les premières minutes, Patrice Talon a pris le dessus sur le format, transformant l’exercice de dialogue en un long monologue. Volontier didactique, souvent professoral, il a déroulé sa vision du développement avec l’assurance d’un capitaine qui connaît sa trajectoire. Mais à force d’expliquer, il a aussi éludé, car cette posture de « maître de conférence » a parfois éclipsé l’intention première qui est d’écouter.
Une pédagogie descendante, plus qu’un échange véritable
À la question de la précarité de l’emploi, le Chef de l’Etat a préféré défendre une politique de dérégulation du marché du travail. Pour lui, protéger l’emploi nuirait à la compétitivité et ferait fuir les investisseurs. A l’en croire, la priorité doit être donnée à la création massive d’emplois via l’investissement privé, quitte à assouplir certaines protections pour les salariés. Pour le président, « il vaut mieux déréguler l’emploi pour créer des emplois, que de réguler l’emploi pour n’en créer aucun ». Il a reconnu cependant que la sécurité des employés passe aussi par la qualité de leurs prestations et la concurrence entre employeurs dans un environnement dynamique.
Une posture qui relègue les garanties sociales au second plan, et qui occulte une réalité. au Bénin, la croissance ne crée pas assez d’emplois décents, encore moins durables.
Plutôt que de prendre acte de ces signaux d’alerte, le président les a, dans la plupart des cas, reformulés pour mieux les intégrer dans sa logique argumentative. À aucun moment il ne remet sérieusement en cause l’orientation de ses politiques économiques. Au contraire, il les justifie point par point, quitte à banaliser certains sacrifices sociaux.
Il défend une économie où la qualité du salarié doit garantir sa stabilité, et non le droit; où les lois doivent avant tout sécuriser les investisseurs, et non équilibrer les rapports sociaux. Un positionnement idéologique net, mais qui laisse de côté une réalité bien connue. Celle que la majorité des jeunes diplômés n’ont pas accès à l’entrepreneuriat, et peinent à trouver un premier emploi, encore moins un emploi digne.
Un mea culpa tardif sur la formation professionnelle
Le président a reconnu ne pas avoir pu mettre en œuvre son ambitieux plan de formation technique et professionnelle. Il l’a même présenté comme sa « plus grande frustration ». Il a regretté que cette ambition n’ait pas été priorisée plus tôt dans ses mandats, même si, a-t-il rassuré, « tout est prêt aujourd’hui » pour la construction d’une soixantaine d’écoles techniques dans tout le pays. Une réforme qu’il espère voir se déployer dans les 18 à 24 mois à venir, avec pour objectif d’ici 2035 que 7 jeunes sur 10 soient formés à un métier pratique.
Mais cette admission soulève une autre question. Pourquoi avoir attendu la fin de deux mandats pour concrétiser une réforme aussi structurante? Si « tout est prêt » aujourd’hui, que faisaient les gouvernements précédents depuis 2016? Ce retard est moins une fatalité qu’un choix politique, dicté peut-être par d’autres priorités, moins visibles dans l’immédiateté, mais plus rentables politiquement.
Candide Azannaï, Boni Yayi et un discours de souveraineté
En évoquant son ancien allié Candide Azannaï, Talon a tenté un geste d’apaisement. « Je souffre de notre différend », a-t-il lancé. Il affirme espérer une réconciliation « le lendemain » de son départ du pouvoir. Un aveu rare dans l’arène politique béninoise, mais qui en dit long. Car si Talon concède la douleur d’une rupture, il ne revient jamais sur les raisons de cette fracture politique. Même posture ambiguë vis-à-vis de Boni Yayi, dont il ne cite pas le nom, mais dont le parti Les Démocrates a été plusieurs fois évoqué dans les échanges.
Ces signaux, bien que chargés d’émotion, arrivent tard. Car les fractures sont là. Et lorsqu’un jeune lui demande d’user de clémence envers certains détenus, sa réponse oscille entre empathie et refus de céder à ce qu’il appelle « la systématisation du pardon politique ». Une posture qui tranche avec les attentes de décrispation.
Aussi, Patrice Talon revendique une souveraineté forte. « L’indépendance, c’est payer de sa poche », dit-il. Mais cette fierté nationale s’accommode mal d’un environnement économique où l’électricité, l’eau ou l’internet restent hors de prix. Et lorsqu’il justifie ces tarifs par la nécessité de rembourser la dette ou d’assurer l’entretien des infrastructures, il oublie une vérité fondamentale qui est celle que la souveraineté, c’est aussi garantir l’accès aux services de base et à moindre coût , pas uniquement afficher une discipline budgétaire.
À plusieurs reprises, Talon a insisté sur la nécessité que les partis politiques travaillent ensemble, appelant même à « dépasser les clichés mouvance-opposition ». Derrière cette invitation à la concorde nationale, se cache une réalité plus complexe. Les réformes électorales, dont il s’est félicité, rendent l’accès à la représentation de plus en plus difficile pour les formations indépendantes et le code électoral actuel ne semble pas favoriser la diversité, mais consolide un paysage politique sous contrôle.
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