Africa-Press – Benin. Sciences et Avenir: L’un des résultats les plus surprenants de votre travail concerne la place de l’eau dans la composition des plats cuisinés: dans 17 % des cas, elle apparaît en tête de la liste des ingrédients, et en deuxième position dans 15 % des recettes. Comment expliquer une telle quantité d’eau dans ces plats?
Selma Amimi, chargée de mission alimentation et développement durable au CLCV (association nationale de défense des consommateurs et usagers) : Les industriels n’ont pas répondu à nos sollicitations à ce sujet. Nous avons donc formulé deux hypothèses. La première concerne l’utilisation d’ingrédients déshydratés dans la fabrication des plats. Par exemple, au lieu d’employer des pommes de terre fraîches pour une purée, certains fabricants ont recours à des flocons de pomme de terre, qu’il faut ensuite réhydrater.
La deuxième hypothèse?
Elle concerne l’usage d’additifs texturants. Certains épaississants (comme E415), émulsifiants (comme E471) ou stabilisants (comme E1414), très courants dans les plats cuisinés, nécessitent de l’eau pour remplir leur fonction. Si ces hypothèses se confirment, la présence importante d’eau en tête de liste des ingrédients pourrait alors indiquer un produit ultra-transformé, composé de peu d’ingrédients bruts et fortement modifié par des procédés industriels.
Un échantillon de 150 plats parmi les quelque 5000 disponibles sur le marché français
L’étude de l’association CLCV ne porte pas sur l’ensemble des plats cuisinés commercialisés en France — qui seraient un peu moins de 5 000 selon la base de données Oqali — mais sur un échantillon représentatif de 150 plats.
Il couvre 12 familles de plats pouvant constituer le plat principal d’un repas, parmi lesquelles figurent blanquettes, brandades, couscous, tajines, hachis parmentiers, lasagnes, moussakas, tartiflettes, pâtes cuisinées, pâtes farcies, plats asiatiques complets, plats de poisson complets, ou encore poêlées.
Les produits ont été collectés en janvier 2025 dans dix grandes enseignes de distribution (Aldi, Auchan, Picard…), à l’exception des chaînes spécialisées dans l’alimentation biologique.
Tous ces additifs pourraient-ils être supprimés si les ingrédients de départ étaient de meilleure qualité?
Il faut distinguer deux grandes catégories d’additifs. Les premiers, comme les antioxydants et les conservateurs peuvent avoir une certaine légitimité: ils permettent de préserver les aliments, d’éviter leur détérioration ou le développement de micro-organismes pathogènes. Mais d’autres sont ce qu’on appelle des additifs « cosmétiques » — comme ceux que j’ai cités précédemment. Leur seul rôle est d’améliorer l’aspect et la texture du plat, sans aucun bénéfice nutritionnel. Ces additifs représentent plus de 50 % de ceux que nous avons retrouvés dans notre échantillon.
À cela s’ajoute la présence fréquente d’arômes, dont l’unique fonction est de renforcer le goût des plats.
La réduction de la présence d’additifs cosmétiques et d’arômes dans les recettes de ces plats est clairement possible, comme le montrent les efforts de certains industriels. En effet, en comparant les recettes d’un même produit entre 2020 et 2025, nous constatons que 16 % des plats contiennent moins d’additifs, et 13 % moins d’arômes.
Y a-t-il d’autres signes révélateurs d’un processus très industrialisé dans la fabrication de ces plats?
Oui, l’utilisation de viandes transformées. Prenons l’exemple du poulet: on trouve rarement la mention simple de « filet de poulet » dans la liste des ingrédients. Il s’agit généralement de viande reconstituée ou transformée, enrichie en divers éléments tels que des sucres issus de procédés industriels (dextrose de blé, sirop de glucose…), de l’amidon sous forme de fécules, ou encore du sel. Pour identifier ce type de préparation, il faut lire attentivement la liste des ingrédients: si, après le nom de la viande, une parenthèse détaille plusieurs composants, c’est un indice que la viande utilisée n’est pas brute mais transformée.
Du point de vue de l’équilibre nutritionnel, que conclut l’analyse de votre échantillon?
Très peu de plats peuvent être consommés régulièrement. Seuls 35 produits affichent un Nutri-Score A ou B, tandis que la majorité est classée C (69% soit 104 produits), les autres étant en D (11 produits). Ces préparations sont souvent trop riches en sel ou en acides gras saturés, qui sont les nutriments les moins favorables pour la santé lorsqu’ils sont consommés en trop grande quantité. Les tartiflettes, moussakas et hachis parmentier sont particulièrement concernés. Concernant les calories, ce sont les pâtes farcies qui présentent la densité calorique la plus élevée. Par ailleurs, certaines recettes manquent fréquemment de protéines et de fibres.
Cependant, il existe de grandes différences selon les marques, certains industriels proposant des recettes plus équilibrées.
Votre étude s’est aussi intéressée aux plats végétariens?
Là aussi, des progrès restent à faire: ces produits contiennent souvent une quantité moindre de protéines par comparaison aux autres plats avec de la viande. Dans notre échantillon, certains plats végétariens atteignent tout juste le seuil réglementaire pour être considérés comme une « source de protéines », soit 12% de l’apport énergétique total (AET) du plat. D’autres contiennent une part de protéines végétales plus faible pouvant les rendre moins rassasiants. Il serait intéressant de rééquilibrer le ratio glucides/protéines de ces plats en augmentant les teneurs en protéines. L’ANSES recommande que, à l’échelle du régime alimentaire, une contribution des protéines dans l’apport énergétique total de 10% à 20%.
Les plats cuisinés consommés aussi à domicile
France Agri-Mer a réalisé une étude sur les achats et dépenses des ménages en plats préparés, avec un périmètre plus large que celui de l’association CLCV, intégrant notamment les pizzas et les plats cuisinés traiteurs.
Selon cette étude, les plats cuisinés représentent environ 3% des dépenses alimentaires à domicile en France. Chaque ménage achète en moyenne 19,4 kg de plats préparés par an, dont près de la moitié contiennent des protéines animales. Les recettes végétariennes progressent, mais leurs volumes d’achat restent encore modestes.
Ces produits sont davantage consommés par les petits ménages. Si les jeunes les apprécient, c’est chez les personnes de plus de 65 ans que la consommation progresse le plus. Par ailleurs, plus les revenus d’un ménage sont élevés, plus la part des plats préparés frais dans les achats est importante.
Finalement, entre la photo alléchante sur l’emballage et la réalité du produit, y a-t-il un écart important?
Il ne faut pas toujours se fier au visuel ni aux ingrédients photographiés et à leur quantité mise en avant. C’est particulièrement vrai pour les plats à base de poisson, souvent illustrés par une grande photo de filet bien visible alors que la portion réelle dans l’assiette est très faible. Il en va de même pour certaines allégations, comme « sans colorant » ou « sans arômes artificiels ».
Malgré la présence d’aliments ultra-transformés, de Nutri-Score faibles et de visuels parfois trompeurs, avez-vous repéré dans votre échantillon des plats qui tirent leur épingle du jeu sur l’ensemble de ces critères?
Une minorité certes, mais qui démontre qu’il est possible d’améliorer les recettes. Je constate que concernant le Nutri-Score et la qualité nutritionnelle, 10% des plats ont vu leur note Nutri-Score s’améliorer; concernant les ingrédients, sur 60 recettes qui contenaient des sucres ajoutés en 2020, 13 n’en contiennent plus aujourd’hui.
Il faut aussi souligner l’effort des industriels en termes de transparence. 87 % affichent le Nutri-Score sur leur emballage. C’est une nette progression par rapport à 2020, où seules 37% des références l’affichaient. Des enseignes comme Aldi, Carrefour, Coopérative U ou encore Picard ont clairement fait des efforts en ce sens.
Quels conseils donneriez-vous à nos lecteurs qui consomment ces produits?
Ces préparations doivent rester des repas de dépannage. Si on en consomme plus souvent, il vaut mieux privilégier les plats avec le meilleur Nutri-Score. Dans notre échantillon, les familles de plats qui ont des Nutri-Score A ou B sont par exemple les plats à base de poisson, les pâtes cuisinées ou les poêlées complètes.
Cependant, face à la diversité des recettes selon les marques, utiliser des applis comme Open Food Facts qui donnent des informations (Nutri-Score , le degré de transformation…) peut aider à faire les meilleurs choix. Mais c’est surtout aux industriels de repenser ces recettes pour offrir enfin des plats à la fois pratiques et sains.
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