Africa-Press – Burkina Faso. Une chance pour les amateurs de suspense: le célèbre long métrage Les Dents de la mer de Steven Spielberg est sorti en 1975, il y a pile 50 ans. Si le cinéaste avait vécu quelques décennies plus tard, disons 2300, son film aurait été beaucoup moins effrayant, ou complètement dépassé. Des chercheurs de l’université Heinrich Heine de Düsseldorf estiment que, d’ici plus de 200 ans, la pollution atmosphérique pourrait avoir raison des dents des requins. C’est l’acidification des océans qui en est la cause. Au-delà de la considération cinématographique, il s’agirait d’une catastrophe écologique, puisque de la qualité de leurs dents dépend l’efficacité de la chasse des requins et donc leur survie… Les résultats de cette étude ont été publiés dans la revue Frontiers in Marine Science.
Les dents de requin poussent continuellement
Les squales disposent d’un système de dentition remarquable: leurs dents se renouvellent continuellement. La rangée extérieure et fonctionnelle est alimentée toute leur vie par d’autres rangées de dents internes, à la manière d’un tapis roulant. Ils doivent ce super pouvoir aux cellules épithéliales situées dans leurs gencives. Nous possédons également, de telles cellules, mais à la différence de celles des requins, elles ne s’activent que deux fois au cours de notre vie: lors de l’apparition des premières dents, puis lorsque les dents de lait tombent, pour laisser place aux dents définitives.
“Cette capacité pourrait ne pas suffire à permettre aux requins de résister à la pression du réchauffement climatique et de l’acidification des océans,” redoutent les auteurs de cette nouvelle étude. Mais pourquoi les océans deviennent-ils plus acides? A cause des émissions de CO2 anthropique, c’est-à-dire provenant des activités humaines. L’océan en capte 25%, ce qui a pour effet de limiter le réchauffement climatique. Mais en réaction avec l’eau, une partie de ce gaz se transforme en acide carbonique. Conséquence directe: une baisse du pH des océans, c’est-à-dire une acidification.
En moins de 200 ans, le pH moyen des océans est ainsi passé de 8,2 à 8,1. Cette baisse de pH en apparence dérisoire correspond en réalité à une augmentation de 30% de leur acidité. Et elle est appelée à s’accentuer dans les prochaines années. D’ici 2100, le pH pourrait atteindre 7,7 dans les scénarios les plus pessimistes, et 7,3 d’ici 2300. “L’océan serait alors près de 10 fois plus acide qu’aujourd’hui,” indiquent les auteurs de l’étude. Plusieurs études ont révélé l’effet délétère de cette acidification sur la formation des structures calcaires telles que les moules, les huîtres et les coraux. Aujourd’hui, l’équipe de Max Baum dévoile une nouvelle conséquence potentielle de cette acidification: la fragilisation des dents de requins.
Des dommages de la surface jusqu’à la structure interne de la dent
Les chercheurs ont récolté des centaines de dents de requins à pointe noire, Carcharhinus melanopterus, dans un aquarium. Ils ont ensuite soumis les plus saines et les moins endommagées d’entre elles à des bains d’un pH de 8,1, correspondant au pH actuel des océans, et de 7,3, pendant huit semaines. Résultat: les dents exposées au pH de 7,3 sont devenues très fragiles et cassantes.
“Pour les dents immergées dans les bains les plus acides, nous avons observé des dommages visibles à la surface, tels que des fissures et des trous, une corrosion accrue et une dégradation structurelle,” note le professeur Sebastian Fraune, auteur principal de l’étude. Leur surface est aussi devenue plus irrégulière. “Or si une surface dentaire altérée peut améliorer l’efficacité de coupe, elle peut aussi affaiblir la structure des dents et les rendre plus sujettes à la fracture,” ajoutent les chercheurs.
Les requins à pointe noire particulièrement fragilisés
Toutefois ces travaux ont porté sur des dents tombées et, de ce fait, les processus de réparation susceptibles d’agir dans les tissus vivants n’ont pas pu être pris en compte. “Chez les requins vivants, la situation pourrait être plus complexe. Ils pourraient potentiellement reminéraliser ou remplacer les dents endommagées, mais le coût énergétique serait probablement plus élevé dans les eaux acidifiées,” pondère Sebastian Fraune.
Les requins à pointe noire font partie de la vingtaine d’espèces de squales contraints de nager la bouche ouverte pour respirer. Ils sont donc d’autant plus exposés aux changements chimiques de l’eau. “Même une baisse modérée du pH pourrait affecter les espèces plus sensibles présentant un renouvellement dentaire lent ou avoir des effets cumulatifs au fil du temps,” ajoute Max Baum. “Le maintien du pH de l’océan à un niveau proche de la moyenne actuelle de 8,1 pourrait s’avérer crucial pour l’intégrité des dents de ces prédateurs.”
De prochains travaux devraient désormais porter sur la structure et les mécanismes de résilience des dents chez les requins vivants. “Cette première étude montre que les impacts des activités humaines se répercutent sur l’ensemble des réseaux trophiques et des écosystèmes,” conclut Max Baum.
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