Barrage Oumarou-Kanazoé : Grosse menace de la plante typha

Barrage Oumarou-Kanazoé : Grosse menace de la plante typha
Barrage Oumarou-Kanazoé : Grosse menace de la plante typha

Africa-PressBurkina Faso. Construit en 1995, le barrage Oumarou-Kanazoé de Toéssin est situé sur le fleuve Nakanbé, dans la région du Nord, à cheval entre les provinces du Passoré, du Yatenga et du Zondoma. D’un volume d’eau de

100 000 000 m3, il est d’une importance socioéconomique pour les populations des communes riveraines de Gomponsom, Kalsaka, Kirsi et Tougo qui y mènent, depuis plus de deux décennies, des activités agricoles et maraîchères. Mais le plan d’eau est, aujourd’hui, menacé par la présence du typha « domingensis », une espèce végétale aquatique envahissante qui occupe plus de 50% du barrage. Cette situation compromet la recherche de la pitance quotidienne de centaines de maraîchers et agriculteurs de la zone.

Souleymane Kalga est natif de la commune rurale de Gomponsom, située à environ douze kilomètres (km) de Yako. Depuis 1998, il exploite la terre aux alentours du barrage de Toéssin. Il y produit de la banane, des légumes (tomates, oignons, choux, courges, concombres…).

Aujourd’hui, il est l’un des plus grands producteurs de bananes dans cette localité. M. Kalga possède une bananeraie de trois hectares (ha) en plus d’un ha de production maraîchère. Grâce à ces activités, il a pu se construire des maisons pour lui et ses quatre femmes. « J’ai au moins 20 enfants qui sont tous scolarisés. J’ai aussi acheté des parcelles dans la ville de Yako où j’ai érigé des maisons qui sont en location », confie-t-il, le sourire aux lèvres. Pour lui, sans l’eau de ce barrage, il ne serait pas devenu un agro businessman prospère. Parti en Côte d’Ivoire pour faire fortune, quelques années auparavant, il y passera sept années infructueuses avant de se résoudre à rentrer bredouille au bercail. Aujourd’hui, la parenthèse ivoirienne n’est plus qu’un lointain souvenir.

Rasmané Sankara est, lui aussi, un producteur de bananes et de produits maraîchers autour du même barrage. Cette activité, il la mène depuis les années 2000. Polygame et père de onze enfants, il subvient aisément, grâce à cette activité, aux besoins de sa famille. « Je suis heureux de voir ma famille à l’abri du besoin. Je suis un homme comblé », soutient-il, ravi. Avec les revenus issus de la vente de ses produits maraîchers, M. Sankara est propriétaire de deux parcelles dans la ville de Yako et possède plusieurs têtes de bétail. « J’ai une plantation d’un ha. C’est une activité qui nourrit bien son homme », affirme-t-il. A l’image de ces planteurs, ce sont des milliers d’autres personnes qui bénéficient de l’eau du barrage pour mener à bien leurs activités agricoles et maraîchères.

D’un volume d’eau d’environ 100 000 000 m3, le barrage Oumarou Kanazoé représente « une mine d’or » pour les riverains. De nos jours, la « mine d’or fluviale » est malade et donne des insomnies aux populations environnantes. La « retenue d’eau » est menacée de disparition.

Le coupable, une plante appelée typha qui a envahi les lieux, jetant les bénéficiaires de l’eau dans le désarroi total, car « l’or bleu » se raréfie en saison sèche.

Selon le directeur général de l’Agence de l’eau du Nakanbé, Guy Christian Nikiéma, la plante typha « domingensis » est apparue au Burkina Faso, il y a une quinzaine d’années.

« Elle occupe plus de 50% du plan d’eau du barrage de Toéssin », informe-t-il.

Par conséquent, le plan d’eau est complètement envahi par cette plante qui, d’année en année, ne fait que réduire la capacité de rétention de l’eau. « A partir du mois de janvier, nous n’avons plus d’eau pour arroser nos plantes. Nous sommes obligés de creuser des canaux et d’utiliser nos motopompes reliées aux tuyaux pour accéder à la ressource pendant un bout de temps.

Du mois de mars jusqu’à la saison pluvieuse, nos plantes se meurent», se désole le producteur Souleymane Kalga, l’air triste. Pour lui, cette situation a entraîné d’énormes pertes, cette année, chez les producteurs. Le constat est amer sur le terrain. Dans le champ de M. Kalga, les légumes pourrissent et les pieds de bananes sèchent. « Regarde mes concombres, mes tomates qui pourrissent sans être mûrs et les feuilles d’aubergines sauvages qui jaunissent par manque d’eau », nous montre Souleymane Kalga, l’air désemparé. A écouter Rasmané Sankara, le manque d’eau fait que pour arroser son champ de 1ha situé à 3 km du barrage, il doit passer des heures, de 6h du matin à 3 h du matin. Pour ce faire, il doit raccorder environ 500m de tuyaux pour avoir accès à l’eau. « Vu la difficulté d’accès, j’arrose désormais chaque deux semaines au lieu de chaque 5 jours. Pourtant, avant, j’arrosais de 6h à 15h de l’après-midi.

A l’allure où vont les choses, on risque d’abandonner la production de la banane parce qu’elle est plus dépensière que bénéfique », regrette M. Sankara. Une donne qui explique, à entendre le Directeur régional (DR) de l’Eau et de l’Assainissement du Nord, Evariste Zongo, que « le typha constitue un danger pour la retenue d’eau parce qu’elle occupe, non seulement l’espace, mais absorbe l’oxygène dissout. Ce qui a un impact sur les espèces vivantes, à savoir le poisson et autres ». M. Zongo souligne que l’ensablement est dû aux activités agricoles menées par les producteurs tout autour du barrage. Effectivement, le constat sur le terrain est amer ! Des producteurs se sont même installés dans la bande de servitude pour mener leurs activités. Avec le manque d’eau, certains n’ont pas hésité à investir la cuvette. Pour ce faire, ils déboisent complètement la barrière naturelle physique qui pouvait freiner, un tant soit peu, les sédiments venant du bassin versant.

« Au fur et à mesure que l’eau se retire, les producteurs ne font qu’entrer dans la cuvette et continuent d’emblaver des grosses ravines pour tirer l’eau. Toute cette terre dégagée ne fait que charrier l’intérieur de la retenue et comble le barrage », déplore le DR de l’Eau et de l’Assainissement du Nord.

Outre les différentes atteintes au barrage Oumarou-Kanazoé, il y a la pollution liée à l’utilisation des produits chimiques agricoles comme l’engrais et les pesticides que les producteurs utilisent à proximité de la retenue. « Cela entraîne une pollution chimique de l’eau. Lequel phénomène accélère la prolifération des plantes aquatiques envahissantes telles que le typha », s’offusque M. Zongo.

Malheureusement, après l’usage de ces produits chimiques, les emballages sont aussi jetés sur place, dans les plantations. « Aujourd’hui, à cause de toutes ces actions, le volume d’eau s’est réduit à 90 000 000 m3 », regrette-t-il. De plus, pour avoir accès à l’eau, de nombreux producteurs utilisent des motopompes et prélèvent l’eau dans la retenue pour traverser la digue. Ils creusent donc la partie haute pour enterrer leurs tuyaux de canalisation.

« Ce sont des comportements nuisibles qui impactent négativement l’ouvrage », indique Evariste Zongo. La digue est utilisée comme une route.

« Dans un passé récent, des camions, des véhicules de transport et des particuliers utilisaient la digue comme itinéraire, pourtant il existe une route. La durée de vie de la digue sera réduite si elle est amenée à supporter des trafics intenses », prévient-il. Avec ces actions néfastes combinées, l’un des plus grands « trésors » de la région du Nord est en souffrance. Et si rien n’est fait, l’ouvrage risque de devenir une vaste plantation de typha « domingensis ». Déjà, l’Agence de l’eau du Nakanbé mène des actions de sauvetage de la retenue. En collaboration avec l’Institut de l’environnement et de recherches agricoles (INERA) et l’Université Joseph-Ki-Zerbo, l’agence a élaboré une approche de lutte contre le typha. La méthode utilisée consiste à couper les pieds du typha à ras du sol pendant la période des hautes eaux tout en laissant interposer au-dessus, une lame d’eau supérieure à 0,50 m. « Expérimentée en 2018 sur une superficie de 10 ha dans la commune de Kalsaka, l’approche a été élargie, en 2019, aux autres communes riveraines du barrage.

Ce qui a permis de libérer, au total, une superficie de 50 ha du plan d’eau. En 2020, les travaux dans les différentes communes riveraines ont permis la destruction de près de 200 ha de typha », souligne le DG de l’Agence. Aussi, des projets, soutient-il, sont en cours pour une possible revalorisation de la plante en objet d’art et de biogaz. « Au Bénin, une association de femmes a pu le faire. Je pense qu’en s’inspirant de leur expérience, nous pouvons le faire au Burkina Faso », espère-t-il.

De même, cette année 2021, un comité d’usagers de l’eau du barrage de Toéssin a été mis en place. A entendre son président, David Rabdo, le comité veille à la sauvegarde du barrage. Elle se fait par l’entretien courant de l’ouvrage.

« Toutes les deux semaines, on se réunit, de façon volontaire, pour désherber la digue qui est truffée d’arbustes. Pour éviter que la digue soit utilisée comme une route, nous avons érigé des barrages en attendant un appui du ministère des Infrastructures pour réaliser un pont et résoudre définitivement cette question.

En sus, nous sensibilisons les producteurs à l’importance de libérer la bande de servitude », insiste M. Rabdo. Pour renforcer toutes ces actions, le barrage a été délimité par des balises en 2020. En effet, « nous avons délimité le barrage et tous les producteurs installés dans la bande de servitude doivent quitter les lieux d’ici là.

Pour ce faire, la police de l’eau a eu des séances de sensibilisations avec tous les producteurs sur la nécessité de ne pas s’installer dans la bande », confirme le directeur régional. Cependant, cette délimitation n’est pas appréciée de certains agrobusinessmen.

Le producteur Rasmané Sankara pense qu’après plusieurs années de dur labeur, il sera difficile pour lui d’abandonner sa plantation sous prétexte qu’il est installé dans la bande de servitude. En réponse, M. Zongo prévient que la police de l’eau va prendre ses responsabilités. « Cela consistera à réprimer ceux qui ne respecteront pas la réglementation, à savoir le déguerpissement », informe-t-il. Quant au ministère en charge de l’agriculture, il envisage aménager des périmètres agricoles en fonction du volume d’eau disponible et des besoins de l’ensemble des usagers.

A travers les projets PRéCA (projet de résilience et de compétitivité agricole) avec 400 ha à aménager et PARIIS (projet d’appui régional à l’initiative pour l’irrigation au Sahel) qui veut aménager 300 ha, les occupants seront appelés à se redéployer sur le périmètre.

« Ces projets vont contribuer à mettre de l’ordre et à contrôler l’utilisation de la ressource en eau », soutient Evariste Zongo. Mais, en attendant, il est conseillé aux populations de respecter la règlementation. Chacun doit travailler, conseille-t-il, à protéger le barrage afin qu’il puisse être bénéfique aux générations présentes et futures.

 

 

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