Guezouma Sanogo, président de l’Association des journalistes du Burkina : « La liberté de la presse est un bon indicateur pour les investisseurs »

Guezouma Sanogo, président de l’Association des journalistes du Burkina : « La liberté de la presse est un bon indicateur pour les investisseurs »
Guezouma Sanogo, président de l’Association des journalistes du Burkina : « La liberté de la presse est un bon indicateur pour les investisseurs »

Africa-PressBurkina Faso. La Journée mondiale de la liberté de la presse est commémorée, ce lundi 3 mai, au Burkina Faso, sous le thème de la viabilité économique des entreprises de presse. Dans cet entretien, le président de l’Association des journalistes du Burkina (AJB), Guezouma Sanogo, évoque, entre autres, les conditions de travail des hommes de médias et l’assassinat, le 27 avril dernier, de deux confrères espagnols dans l’Est du pays.

Sidwaya (S) : Le paysage médiatique burkinabè est caractérisé par une pluralité d’organes de presse. Quel commentaire en faites-vous ?

Guezouma Sanogo (G.S.) :

Il y a beaucoup de médias mais, les analystes sont cependant unanimes pour dire que ce n’est pas parce qu’il y a beaucoup de médias que l’offre est diversifiée. Chaque jour, il y a plus de 90% de médias qui offrent la même chose aux lecteurs, aux auditeurs et aux téléspectateurs. Le public a des goûts diversifiés et chaque média doit pouvoir se faire un créneau dans ce vaste public. C’est en choisissant un bon créneau qu’on peut bien survivre.

Les gens voient peut-être les médias qui vivotent. Ils ne voient pas ceux qui meurent. Il y a, certes, beaucoup de création mais la vitalité n’est pas bonne. Le taux de mortalité des médias est assez préoccupant. La plupart des médias n’ont pas les moyens pour faire ce qu’ils devraient faire. Quand on regarde, il y a beaucoup de titres, surtout dans les médias en ligne. Mais, est-ce qu’il y a le sérieux qu’il faut pour offrir au public ce qu’il veut ? C’est le cas pour beaucoup de médias où ce sont des stagiaires qui signent. Ce qui veut dire que les gens n’ont pas encore compris comment un média doit travailler.

S : Le Burkina Faso est encore classé premier pays francophone en matière de liberté de la presse selon Reporters sans frontières (RSF). Qu’est-ce qui peut expliquer ce classement auquel nous sommes désormais habitués ?

G. S.

: Reporters sans frontières (RSF) a ses arguments que je respecte. Le Centre de presse Norbert-Zongo a aussi un rapport qui peut corroborer un peu le classement de RSF. On est dans un environnement où on peut dire que la situation de la liberté de la presse est assez bonne. Il y a des lois qui permettent plus ou moins aux journalistes d’exercer dans la liberté. Il y a aussi une pluralité des médias. Ce classement est certes beau, mais il y a des lois qui doivent changer.

Ce n’est pas seulement le Code pénal qui a été adopté en juin 2019. Il y a même des lois qui ont été adoptées sous la Transition. On a commencé le processus de relecture qui n’a pas encore abouti. Si on arrive à s’accorder pour changer certaines dispositions dans ces lois, le classement sera encore meilleur dans les années à venir. La liberté de la presse est un bon indicateur pour les investisseurs.

Pour les pays comme le Burkina Faso où les facteurs de production (électricité, eau, …) sont coûteux et même instables, si la liberté de la presse est considérée, cela peut compenser ces quelques déficits. Donc, il faut qu’on fasse un travail de fond pour améliorer ce classement. Il faut que dans les classements, les gens tiennent aussi compte de la situation réelle surtout dans les médias où les journalistes vivent des conditions de précarité. Cela doit être aussi un facteur déterminant pour les classements.

S : Ne pensez-vous pas que la volonté politique y est pour cette bonne place du Burkina ?

G. S. :

Personne n’a remis en cause la volonté politique. Pour qu’on en arrive à là, il faut bien que les autorités soient assez disposées à accepter que les lois évoluent. C’est vrai qu’au niveau des organisations professionnelles des médias, nous avons fait beaucoup de plaidoyers. Mais en face, il faut que le gouvernement et l’Assemblée nationale acceptent voter les lois et tenir compte de nos observations. C’est un facteur fondamental. On peut dire que la volonté politique y est et c’est ce qui a permis d’aboutir à des lois.

En même temps, il faut voir que par moment, le gouvernement décide de ne pas écouter les partenaires sociaux, ce qui nous amène souvent à des situations de répression comme les affectations dans les médias publics et les lois répressives comme le Code pénal, parce que l’on croit qu’adopter une loi peut permettre de résoudre une situation aussi complexe que le terrorisme. Il y a des efforts à faire de la part des gouvernants qui doivent écouter les partenaires sociaux, surtout les praticiens que sont les journalistes.

S : Malgré cette bonne position du pays, certains journalistes sont toujours la cible d’attaques et d’intimidations… Comment peut-on mettre fin à ces entraves à la liberté de la presse ?

G. S. :

C’est un souhait mais, en matière de la liberté de la presse, rien n’est acquis. C’est une situation qui fluctue. Il ne faut donc pas s’attendre à une situation idéale où tout est propre et limpide. La presse par nature, gratte là où ça fait déjà mal. Ce qui peut développer les susceptibilités des gouvernants qui ont du mal à contrôler leurs pulsions. C’est ce qui provoque ces genres de répression comme, c’est le cas dans les médias publics au Burkina Faso. Pour les cas d’agressions, ce n’est pas forcément l’Etat qui contrôle. On a vu que les journalistes peuvent être intimidés, agressés et même assassinés de la part des gouvernants mais, cela implique parfois des citoyens lambda qui sentent leurs intérêts menacés par un article de presse et qui décident de se venger.

Ces cas-là, l’Etat ne les contrôle pas forcément. Il y a à côté de l’Etat des groupes terroristes, des trafiquants d’armes ou de drogues et des opérateurs économiques qui ne veulent pas voir leurs gains être compromis. Tout cela constitue des groupes de pression et des intérêts politiques qui menacent la liberté de la presse, surtout les journalistes. La question est plus complexe et va au-delà de l’Etat. Quel que soit le facteur de menace, on demande à l’Etat de se donner les moyens de contrôler, de prendre position chaque fois qu’un journaliste est agressé ou menacé, de diligenter une enquête, de retrouver les responsables et de les traduire devant la justice.

Ce qui n’a jamais été le cas au Burkina Faso. On a fait une déclaration récemment pour dire à la justice que nous aussi, nous avons droit à la justice. On a constaté que les plaintes des journalistes s’accumulent en justice et il n’y a pas de suite. Mais, chaque fois qu’un journaliste est poursuivi, le dossier est évacué en quelques semaines et le plus souvent se solde par une condamnation.

S : L’actualité, c’est l’assassinat mardi dernier de deux confrères espagnols dans l’Est du Burkina. Comment le journaliste doit-il travailler dans ce contexte où la menace terroriste est presque omniprésente ?

G. S. :

Permettez-moi de condamner ces actes barbares de la part des groupes terroristes et de présenter mes condoléances aux familles des victimes, à la Fédération des associations des journalistes espagnols et à la Fédération internationale des journalistes (FIJ). C’est vraiment des actes répréhensibles qu’il faut travailler à réduire dans notre espace. Cela dit, le journalisme va avec les risques.

Il n’est pas interdit à un journaliste d’aller dans une zone de conflit. Du reste, quand vous faites des recherches sur les journalistes qui ont été assassinés, vous allez vous rendre compte qu’ils sont des habitués de ces genres de zone de conflit. J’ai pu voir que l’un deux a fait la Syrie où il a été blessé par un éclat d’obus. L’autre a interviewé des narcotrafiquants. Ils ont déjà fait des zones difficiles. S’ils ont pu aller dans ces zones, c’est qu’en venant ici, ils ont évalué les risques et pris les mesures pour les minimiser.

Mais à ce stade, il nous sera difficile de dire quand est-ce que les choses ont déraillé. De par leur expérience, on ne leur fera pas l’injure de dire qu’ils n’ont pas évalué les risques et pris les mesures nécessaires. Mais forcément, il y a quelque chose qui n’a pas marché. C’est à ce niveau, que nous demandons à l’Etat de diligenter une enquête pour qu’on puisse connaître la vérité dans cette affaire. Le journaliste avant d’aller dans une telle zone doit évaluer les risques et prendre les précautions nécessaires. Certaines rédactions ne veulent pas que leurs journalistes aillent dans une zone de guerre sans formation et avec du matériel spécifique qu’elles leur donnent.

Ce sont des précautions qui leur permettent d’avoir des fixeurs qui maîtrisent la zone et pouvant les guider. Ils étudient aussi les itinéraires. Les fixeurs leur permettent de pouvoir passer entre les mailles des filets. Il y a beaucoup de précautions à prendre et sur lesquelles les journalistes doivent se former pour les connaître. Le journaliste doit surtout s’informer auprès des autorités et des forces de défense et de sécurité qui peuvent lui donner des conseils et même des numéros utiles. Il ne peut pas se lever et aller dans une zone dangereuse sans précaution.

S : Avec l’assassinat des journalistes européens, doit-on craindre un recul de notre pays dans les classements à venir ?

G. S. :

Forcément ! Ces assassinats signifient que les journalistes ne sont pas en sécurité. La sécurité des journalistes est un facteur important. Cet assassinat intervient à un moment où on se disait qu’il y avait une accalmie et on pouvait aller dans ces zones sans risque. Cela vient remettre en cause beaucoup de choses et nous enseigne que la situation est encore plus fragile qu’on ne le pensait. Cette situation de fragilité peut avoir un impact sur les différents classements qui sont faits sur la liberté de la presse. Entretien réalisé par
Timothée SOME

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