Simon KABORE
Africa-Press – Burkina Faso. L’émergence de l’Alliance des États du Sahel (AES), portée par le Mali, le Burkina Faso et le Niger, redessine les contours du rapport de force géopolitique en Afrique de l’Ouest. Face à l’échec manifeste des modèles de développement importés, les dirigeants de l’AES affirment désormais une ambition claire: rompre avec la dépendance historique vis-à-vis des puissances occidentales et engager un véritable processus de souveraineté économique. Cette dynamique est saluée par une partie croissante des peuples du continent, fatigués des promesses non tenues de la coopération internationale et des effets destructeurs de la mondialisation néolibérale.
Mais cette quête d’indépendance ne peut se comprendre sans dénoncer le mécanisme fondamental qui a permis de maintenir les pays africains dans la servitude: l’aide publique au développement. Derrière le masque de la solidarité internationale, cette aide est en réalité un instrument de contrôle et de reproduction des élites corrompues.
Le rapport de l’organisation ONE, intitulé « Le Casse du Siècle », révèle que chaque année, au moins 1 000 milliards de dollars sont volés aux pays en développement à travers des mécanismes de fraude fiscale, de blanchiment d’argent, de sociétés écrans et de manipulation commerciale.
À titre de comparaison, l’ensemble de l’aide publique au développement mondiale représente environ 179 milliards de dollars selon les données de l’OCDE pour 2023. Cela signifie que l’aide publique reçue ne représente qu’environ 10 % du montant volé chaque année au continent. Autrement dit, pour chaque dollar « donné » en aide, jusqu’à 10 dollars sont simultanément détournés, dissimulés ou évaporés dans des circuits financiers internationaux. Ce ratio suffit à démontrer que l’APD n’est pas une solution, mais un paravent cynique à une injustice économique institutionnalisée.
Ce système repose sur la complicité entre des intérêts économiques de grandes puissances et des gouvernants locaux soumis à l’agenda néocolonial. Le mécanisme utilisé pour perpétuer cette complicité est par excellence le modèle électoral. Loin d’être un outil de libération, la démocratie libérale promue par l’Occident s’est transformée en un dispositif de légitimation des pires compromissions. Sous couvert d’élections pluralistes, les peuples sont contraints de choisir entre des candidats formatés selon les courants de pensées néolibérales, inféodés aux institutions financières internationales, ou liés aux multinationales étrangères. Les dirigeants réellement patriotes, qui défendent les intérêts de leurs populations, sont systématiquement diabolisés, isolés, renversés ou même assassinés.
La montée en puissance des gouvernements de l’AES constitue une réponse radicale à cette mascarade. En affirmant leur refus des diktats extérieurs, en exigeant un contrôle national sur les ressources stratégiques, en appelant à un partenariat égal et non plus paternaliste, les chefs d’État du Sahel initient une rupture historique. Leur orientation n’est pas un rejet des peuples du monde, mais bien une dénonciation des structures de domination qui ont empêché le développement réel de l’Afrique pendant plus d’un demi-siècle.
La misère africaine n’est pas une fatalité, elle est organisée. Les maladies, l’analphabétisme, la précarité sont les symptômes d’un système dans lequel les décisions économiques sont prises ailleurs, tandis que les populations n’ont même plus le droit d’élire des dirigeants libres de toute influence extérieure. Les appels à plus de démocratie cachent souvent le désir de maintenir l’Afrique dans un cadre de dépendance politique et financière, sous tutelle technocratique. Le président français l’a avoué concernant le cas de l’Ukraine. Une élection en Ukraine dans le contexte de la guerre est une opportunité de manipulation du peuple, selon lui.
La vérité est limpide: l’Afrique n’est pas pauvre, elle est spoliée. Et le scandale est tel que l’aide qu’on lui accorde ne représente qu’une infime fraction de ce qui lui est arraché. Ce n’est pas un soutien, c’est un remboursement partiel sous conditions. C’est pourquoi l’alternative portée par l’AES, centrée sur la souveraineté, la justice fiscale, le contrôle des ressources et l’auto-détermination, mérite d’être défendue et approfondie à l’échelle continentale.
Ce combat n’est pas idéologique, il est vital. Il oppose ceux qui veulent que l’Afrique décide pour elle-même à ceux qui veulent qu’elle continue de suivre les règles du jeu fixées ailleurs. La souveraineté économique ne peut exister sans une libération politique totale. Et cette libération commence par la dénonciation du double mensonge de l’aide publique et de la démocratie factice.
Il ne s’agit plus de réclamer une meilleure aide, mais de mettre fin à une architecture du vol légalisé. Il ne s’agit plus de débattre du bon usage de l’aide, mais d’affirmer haut et fort que l’Afrique n’a pas besoin de mendier ce qui lui appartient déjà.
Source: lefaso
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Burkina Faso, suivez Africa-Press