Africa-Press – Burkina Faso. « Si vous êtes réellement forts, faites votre coup d’État et gérez le pays comme vous le voulez ! » Paul-Henri Sandaogo Damiba ne croyait pas si bien dire en prononçant ces mots lors d’une rencontre avec les forces vives de la nation à Bobo-Dioulasso, en mai dernier. Un brin provocateur comme il aimait l’être, le désormais ex-président de la transition aura été étonnamment visionnaire. Quatre mois plus tard, il a en effet été renversé par un groupe d’officiers mécontents.
Comme le révélait Jeune Afrique, ce dimanche 2 octobre au matin, après 48 heures de négociations et de confusion, il a signé sa lettre de démission. Son départ du pouvoir a été confirmé dans l’après-midi par les représentants religieux et coutumiers, qui ont précisé que sept conditions avaient été posées, notamment le respect des engagements pris par le Burkina Faso auprès de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), ainsi que la garantie de la sécurité du lieutenant-colonel, de ses droits, de ceux de ses collaborateurs, ainsi que des militaires engagés à ces côtés.
Paul-Henri Sandaogo Damiba, le putschiste « fréquentable » aux yeux de la communauté internationale, sera resté à peine plus de huit mois au pouvoir. Sourd aux critiques ? Il l’était sans doute. Il s’est en tout cas très vite coupé de la troupe, qu’incarne aujourd’hui le capitaine Traoré, chef du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) et nouvel homme fort du pays.
Fort ressentiment
Ibrahim Traoré avait-il, dès le début, l’intention de prendre le pouvoir ? Ce vendredi 30 septembre à l’aube, lorsque éclate la grogne au sein de la troupe, rares sont ceux qui le connaissent.
Il est 4 h 30 lorsque les premiers tirs sont entendus à Ouagadougou – ils feront deux morts. Le jeune capitaine n’est pas encore le chef des hommes qui font retentir leurs armes, réclamant le versement de primes impayées et se plaignant globalement du sort qui leur est réservé.
Dans la terrible guerre contre les groupes jihadistes, ils manquent d’équipement et d’armement. Il y a quinze jours, ils ont eu vent d’une prime exceptionnelle versée par le président de la transition aux forces spéciales, régiment qu’il choie. On parle de six millions de francs CFA (9 150 euros) et d’une villa pour chaque élément, alors même qu’aucun n’est au front. Alors qu’au même moment, l’attaque contre un convoi de ravitaillement de Djibo à Gaskindé fait quinze morts, le ressentiment est fort.
Parmi les chefs de corps, Ibrahim Traoré, 34 ans, est l’un des plus charismatiques et il est connu pour sa ténacité au combat. Dans l’armée, on sait qu’en 2020, il n’a pas hésité à parcourir à pied, avec ses hommes, les 42 kilomètres menant de Kaya à Barsalogho pour libérer la ville alors aux mains des jihadistes.
Il est populaire au sein de la troupe, y compris parmi les « Cobras » d’Emmanuel Zoungrana. Mossi, originaire de Bondokuy dans le Nord-Ouest, il dirigeait jusque-là le 10e Régiment de commandement d’appui et de soutien (10e RCAS), basé à Kaya. En janvier dernier, il a été de ces putschistes qui ont destitué Roch Marc Christian Kaboré et installé Damiba au pouvoir, mais depuis, il ne cesse de tenter de sonner l’alarme. Damiba est déconnecté, regrettent nombre d’officiers. D’autres regrettent une transition devenue « trop politique » et n’apprécient pas les gestes d’apaisement destinés à l’ex-président Blaise Compaoré et à ses proches. « Damiba a trahi ses camarades », lâche une source militaire.
Bras de fer
L’amertume est si forte qu’à la fin de septembre, mandaté par des mécontents, Ibrahim Traoré est monté à Ouagadougou avec mission de parler à Paul-Henri Sandaogo Damiba. Durant une semaine, il a demandé une audience, mais jamais il n’a reçu de réponse. Ce mépris a poussé les officiers à passer à l’action.
À Ouagadougou, ce 30 septembre, les « Cobras » mènent les opérations. Et dans l’après-midi, tandis que la haute hiérarchie militaire a convoqué une réunion d’urgence pour tenter de ramener le calme, les soldats en colère ont déjà pris le contrôle de plusieurs points névralgiques, comme la télévision publique. Puisque le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba ne veut pas céder, ils le feront plier.
Lorsqu’ils entrent dans Ouagadougou aux alentours de 18 h, les hommes du 10e RCAS ont été rejoints en chemin par des supplétifs de l’armée, et notamment par les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), créés en 2019 par Roch Marc Christian Kaboré pour tenter d’endiguer la poussée jihadiste. À partir de cet instant, tout va très vite. Il n’est pas encore 20 h quand des militaires font irruption à la RTB et annoncent la destitution de Damiba et son remplacement à la tête du MPSR par Ibrahim Traoré.
Mais Damiba ne se rend pas. Il ne va pas non plus au Palais des sports de Ouaga 2000, où de premières négociations ont commencé, mais se trouve encore dans la capitale et le rapport de forces lui est alors favorable : l’essentiel de l’armée et de la gendarmerie lui reste, à cette heure-ci, fidèle.
L’ombre russe
Traoré tente alors un coup de poker, qui sera décisif. Samedi 1er octobre, à la RTB, il affirme que Damiba se serait réfugié à une trentaine de kilomètres de la capitale « au sein de la base française de Kamboinsin ». Et d’ajouter : « Il est en mesure de planifier une contre-offensive afin de semer le trouble au sein de nos forces de défense et de sécurité. Cela fait suite à notre ferme volonté d’aller vers d’autres partenaires prêts à nous aider dans notre lutte contre le terrorisme. » Une allusion à peine voilée à la Russie, déjà principal soutien des autorités de transition maliennes, et déjà alliée au Burkina Faso par le biais d’un accord de coopération militaire.
Dans un communiqué publié en fin de journée, le ministère français des Affaires étrangères dément « formellement toute implication dans les évènements en cours au Burkina Faso ». « Le camp où se trouvent les forces françaises n’a jamais accueilli Paul-Henri Sandaogo Damiba, pas davantage que notre ambassade », poursuit le texte. Mais la rumeur s’est répandue. Des dizaines d’individus tentent d’incendier l’ambassade de France à Ouagadougou et l’Institut français de Bobo-Dioulasso. Ce dimanche, les slogans anti-français résonnaient encore dans les rues de la capitale, et des drapeaux russes étaient brandis.
En coulisses, les négociations ont repris de plus belle. À la manœuvre, des représentants des chefs religieux et coutumiers, menés par le cardinal Philippe Ouédraogo et un représentant du Mogho Naaba, la plus haute autorité mossie. Damiba, qui voulait que les discussions se déroulent à la base aérienne, ne se déplace pas à l’archevêché, mais s’entretient par téléphone avec le cardinal. Les négociations tournent bientôt en sa défaveur. Plusieurs corps de l’armée prennent position contre Damiba. L’armée de l’air puis « probablement les forces spéciales aussi », selon une source sécuritaire. Dans la nuit, l’ensemble des chefs de corps prennent position pour les putschistes. « C’est une décision qui a été prise à l’unanimité et dans l’intérêt de préserver la paix. C’était aussi la solution la plus indiquée », explique un gradé.
L’intérim
Depuis, Damiba ne s’est pas montré et certaines sources le disent à l’extérieur du pays. Dans l’après-midi de dimanche, les pourparlers se sont poursuivis entre militaires. Ibrahim Traoré va-t-il être le nouveau chef du Burkina Faso ? Dans son entourage, on assure qu’il « veut repartir sur le terrain » et qu’il « n’est pas intéressé par le pouvoir ». Des spécialistes des questions militaires estiment surtout que la prise de pouvoir de ce capitaine trentenaire va poser un problème de commandement.
Dans la soirée de dimanche, à l’issue des concertations à l’état-major des armées, il a été décidé qu’il n’expédierait que les affaires courantes, dans l’attente de la nomination d’un homme choisi par les forces vives de la nation. Un intérim, en somme, qui propulse le Burkina Faso une nouvelle fois dans l’inconnu.
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