De Blaise Compaoré à Ibrahim Traoré, chronique d’une descente aux enfers

De Blaise Compaoré à Ibrahim Traoré, chronique d’une descente aux enfers
De Blaise Compaoré à Ibrahim Traoré, chronique d’une descente aux enfers

Marwane Ben Yahmed

Africa-Press – Burkina Faso. Il y a dix ans, le 30 octobre 2014, Blaise Compaoré cédait son fauteuil présidentiel, chassé par la rue. Huit ans plus tard, en septembre 2022, Ibrahim Traoré s’installait à la tête de l’État burkinabè, à la faveur d’un coup d’État. Deux moments chaotiques appelés à se répéter, tant la manière de gouverner de la junte militaire au pouvoir met à mal le retour de la démocratie.

Ce 30 septembre marque le deuxième anniversaire de l’arrivée au pouvoir manu militari du capitaine Ibrahim Traoré, en lieu et place d’un autre putschiste, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. Ainsi va le Burkina depuis son indépendance, plus souvent dirigé par des militaires adeptes des coups d’État que par des présidents élus – seulement trois en six décennies, dont Roch Marc Christian Kaboré, le seul qui fut véritablement démocrate. Du lieutenant-colonel Sangoulé Lamizana à Gilbert Diendéré, en passant par Saye Zerbo et, bien sûr, Thomas Sankara ou Blaise Compaoré, le pays des Hommes intègres a un faible pour les chefs d’État en treillis et ces derniers semblent visiblement préférer le palais de Kossyam à leurs casernes.

La dictature paranoïaque d’« IB »

Deux ans, donc, qu’« IB » règne en maître absolu sur les quelque 24 millions de Burkinabè. Qu’il est loin, le temps des premiers pas du discret capitaine de seulement 34 ans, quand il affirmait à qui voulait bien l’entendre n’avoir aucune intention de rester au pouvoir. Vingt-quatre mois plus tard, il gère toujours ces « affaires courantes » qu’il promettait à l’époque d’« expédier ». Plus question de partir en juillet 2024, encore moins d’organiser des élections. Il est là, et pour longtemps, pense-t-il.

Fils d’un infirmier et d’une ménagère, symbole d’une classe populaire laissée de côté pendant des décennies, Mossi originaire de Bondokuy dans le Nord-Ouest, Ibrahim Traoré se voit en sauveur de la nation. Ses diatribes, médiocres succédanés des envolées de Sankara, Sékou Touré ou Che Guevara, se focalisent sur le peuple, la souveraineté, l’éveil des consciences, la patrie ou la lutte contre l’impérialisme. Séduisant, sur le papier. Sauf qu’en lieu et place de cette énième révolution promise, ses compatriotes n’ont qu’une pitoyable dictature paranoïaque à se mettre sous la dent. Et du vent en guise de résultats.

La restauration de la sécurité et la guerre contre les jihadistes, qui avaient servi de honteuses justifications au putsch contre Kaboré qu’il avait soutenu dans l’ombre, demeurent un mirage. La situation sur le terrain a même empiré. Le massacre de Barsalogho, le 24 août, est là pour le rappeler: plus de 300 morts lors de cette attaque terroriste revendiquée par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM, affilié à Al-Qaïda). Malgré les dizaines de milliers de Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), souvent enrôlés de force, malgré les Russes et leur armement, malgré le départ des militaires français voués aux gémonies, malgré les rodomontades, les purges dans l’armée et la énième réorganisation de cette dernière. Mais la propagande officielle, elle, tourne à plein régime. Les médias publics ont été transformés en Pravda sahélienne, tandis que les médias étrangers (notamment Jeune Afrique) ont été suspendus ou interdits. Les autres, tous les autres, journalistes, société civile, acteurs politiques ou simples citoyens, sont réduits au silence et ont peur d’être emmenés de nuit par des militaires encagoulés, emprisonnés, envoyés de force au front, voire pire.

Il n’y a plus qu’une seule vérité: celle de la junte et de son chef. Qui ne mesure peut-être pas la fragilité de son régime, lui qui ne compte pas que des amis au sein de sa propre armée, loin de là. Il connait pourtant le sens de l’histoire au Burkina: le retour de la démocratie ne sera sans doute pas pour demain, mais un autre militaire viendra prendre sa place, comme il a pris celle de Damiba. Tout ça pour ça…

L’usure et l’illusion du pouvoir chez Compaoré

Dans un mois, le 30 octobre, autre anniversaire: les dix ans de la chute de Blaise Compaoré. Double putschiste, le 4 août 1983 avec Thomas Sankara, puis le 15 octobre 1987 contre ce dernier, et vingt-sept ans de pouvoir qui ont hissé le Burkina à un rang auquel son potentiel économique ou sa démographie ne le prédisposaient pas. Cet animal politique à sang-froid, fin stratège, toujours informé de ce qui se tramait aux quatre coins du continent, aussi doux en apparence que machiavélique de nature, a su préserver son pays des affres du terrorisme. Sans doute grâce à quelques compromissions, évidemment en négociant avec l’ennemi ou en faisant du Burkina un sanctuaire pour certains dirigeants jihadistes. Un pacte avec le diable, donc. Mais il disposait surtout d’une armée efficace, notamment le tout-puissant Régiment de la sécurité présidentielle (RSP), comme l’étaient également les services de renseignements du pays.

Sa chute fut le fruit de l’usure et de l’illusion du pouvoir, comme il le reconnut lui-même à l’époque, conjugués à la soif de changement d’un peuple après quasi-trois décennies passées sous la férule du même chef. Reclus à Abidjan où il vit avec son épouse Chantal, l’enfant de Ziniaré n’est aujourd’hui plus que l’ombre de lui-même. À cause de la maladie, ses capacités intellectuelles ne lui permettent plus de suivre le cours des événements qui ont marqué son pays. Mais la dernière fois que nous nous sommes entretenus avec l’ex-chef de l’État, dans la villa que feu Hamed Bakayoko avait mise à sa disposition dans la capitale économique ivoirienne, il était encore lucide. Nous parlions justement de sa chute et de la trace qu’il laissera auprès des Burkinabè. Donc inévitablement de son bilan, de ce qui lui était reproché, les affaires Sankara et Norbert Zongo, sa propension à abriter et à aider les opposants africains de tous horizons, son frère François… « Je ne suis ni un ange ni un démon, nous avait-il répondu. Ils ont souhaité que je parte, je suis parti. Si le Burkina va mieux, et c’est tout ce qui m’importe, ils auront eu raison. L’histoire nous le dira… » Une Révolution, une transition, deux élections démocratiques et deux coups d’État plus tard, l’Histoire a parlé: le Burkina, pris en otage par un quarteron de militaires à la fois incompétents et despotiques, poursuit sa descente aux enfers. Pas de quoi pavoiser ni célébrer quoi que ce soit…

Source: JeuneAfrique

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Burkina Faso, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here