L’accélération de la Création de la Banque de L’Aes Face À L’Affaiblissement de la CEDEAO

L’accélération de la Création de la Banque de L'Aes Face À L'Affaiblissement de la CEDEAO
L’accélération de la Création de la Banque de L'Aes Face À L'Affaiblissement de la CEDEAO

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Burkina Faso. Le premier sommet extraordinaire des dirigeants du Mali, du Niger et du Burkina Faso avait annoncé la formation de la « Confédération du Sahel », le 6 juillet 2024. Ce n’était donc pas une surprise si cela avait réellement eu lieu, surtout après la formation de l’Alliance des Etats du Sahel le 16 septembre 2023, suite à la signature de la Charte du « Liptako-Gourma » entre ces trois pays.

Il faut dire que cette Charte reflétait les aspirations des nouveaux dirigeants militaires à rechercher une voie régionale alternative qui répondrait aux aspirations de leurs peuples, loin du bloc de la CEDEAO et de ses alliés occidentaux, et avec le soutien de nouveaux alliés, en particulier la Russie.

• Facteurs de motivation pour la continuité

Les dirigeants des trois pays voient dans la nouvelle confédération une entité qui garantit l’indépendance de ses États membres et protège leur souveraineté nationale, à l’abri de toute ingérence étrangère survenue avec la bénédiction de la CEDEAO, qui a intensifié son hostilité envers ces pays après le déclenchement de coups d’État militaires au cours des quatre dernières années, imposant des sanctions économiques au Mali et au Burkina Faso et menaçant même le Niger d’une intervention militaire en 2023.

Et ce, malgré la prise de conscience par la nouvelle élite militaire dirigeante de l’incapacité de la CEDEAO à relever les défis majeurs auxquels sont confrontés ses États membres, notamment le terrorisme, ainsi que de sa dépendance envers les puissances occidentales. Cela les a incités à former la nouvelle entité régionale en tant qu’entité parallèle qui représente une bonne opportunité d’accomplir ce que le bloc de la CEDEAO n’a pas réussi à réaliser en ce qui concerne les questions de sécurité et de développement au Sahel au cours des dernières années. Elle pourrait également servir de concurrent à la CEDEAO à l’avenir, si de nouveaux membres la rejoignent, ce qui est fort probable.

Le contexte régional turbulent dans la région du Sahel rend également nécessaire la recherche de solutions innovantes et différentes, plutôt que l’approche traditionnelle de la CEDEAO pour faire face aux crises dans la région. Cela peut expliquer l’insistance des trois dirigeants sur l’inévitabilité de la poursuite de la coalition de la confédération dans la période à venir. Le paysage régional du Sahel est extrêmement complexe, marqué par des troubles politiques et sécuritaires aux niveaux local et régional, compte tenu de l’escalade de l’activité terroriste qui menace la stabilité des pays de la région et, par extension, de la région au sens large. En plus de l’intensification de la concurrence internationale dans la région, principalement entre la Russie et l’Occident, cela pourrait entraîner une menace claire pour la sécurité et la stabilité des pays de la région dans la période à venir.

• L’anti-Occident dans la lorgnette des pays de l’AES

Les nouveaux dirigeants militaires de certains pays du Sahel, notamment le capitaine Ibrahim Traoré, président de transition du Burkina Faso, adoptent un discours politique antioccidental et anti-français. Il existe une volonté croissante de désengager les pays de l’Alliance du Sahel de l’Occident, en particulier de la France, étant donné que leurs dirigeants considèrent que l’Occident adopte une approche paternaliste dans ses relations avec les Africains, notamment en ce qui concerne la souveraineté nationale et l’appropriation des ressources naturelles et des richesses africaines.

C’est pourquoi les dirigeants de la nouvelle entité insistent pour affirmer que « cette époque est révolue à jamais » et que les Africains bénéficieront de leurs ressources et de leurs richesses. Cela représente une part importante de leur légitimité politique après le déclenchement de la récente vague de coups d’État, et renforce leur popularité auprès de l’opinion publique africaine, qui rejette la présence étrangère dans les pays de la région.

Cela reflète également un changement significatif dans les orientations de la nouvelle élite dirigeante, qui ne considère plus l’Occident comme le partenaire privilégié des pays de la nouvelle confédération. Cette élite est désormais favorable à une évolution vers l’attraction de nouveaux alliés internationaux, plutôt que de s’appuyer sur un seul partenaire qui n’a pas réussi à atteindre les objectifs pertinents pour les intérêts des pays de la région. Cela signifie l’existence d’une alternative compétente et d’un allié stratégique sur un certain nombre de questions, notamment la guerre contre le terrorisme, ce qui justifie le rapprochement avec la Russie, dont l’influence s’accroît considérablement au Sahel, en général, et dans les pays de la nouvelle confédération, en particulier.

Les dirigeants des trois pays souhaitent également s’assurer que les ressources et les richesses de leurs pays soient exploitées à l’échelle nationale, après des décennies de puissances occidentales s’emparant de ces ressources et en en privant les Africains, dont il a résulté un impact négatif sur les pays africains, d’autant plus que le Niger, le Mali et le Burkina Faso comptent parmi les pays les plus pauvres du monde, avec des économies agricoles fragiles, un accès limité aux services de base tels que l’éducation et la santé, et des taux de chômage élevés.

Ces ambitions nécessitent quand même assez d’efforts pour exploiter les ressources et le potentiel économiques afin:

a) de renforcer la coopération économique,

b) de mettre en œuvre des projets communs,

c) d’assurer la sécurité alimentaire,

d) et d’activer le processus d’intégration régionale, car c’est la seule opportunité de surmonter les défis auxquels ces pays sont confrontés.

La nouvelle confédération faciliterait le commerce transfrontalier entre les trois pays et donnerait accès à de nouveaux marchés pour les entreprises locales, stimulant potentiellement la croissance économique et créant davantage d’opportunités d’emploi. De facto, cela justifierait le soutien populaire aux efforts des nouveaux dirigeants militaires pour renverser les gouvernements précédents « alliés à l’Occident » et expulser les puissances occidentales, en particulier la France, de la région afin de protéger les ressources africaines et de les utiliser pour reconstruire les pays du Sahel.

Ainsi, les dirigeants des trois pays pourraient minimiser l’isolement politique potentiel que la CEDEAO pourrait imposer si ses efforts continus pour persuader les trois pays de revenir dans le bloc régional subiraient toujours un échec.

Par ailleurs, avec l’annonce de plusieurs projets régionaux qui facilitent l’accès des pays du Sahel, notamment ceux enclavés, aux eaux chaudes, que ce soit la mer Méditerranée ou l’océan Atlantique via l’Afrique du Nord, les trois pays pourraient devenir plus déterminés à rester sous l’égide de la nouvelle confédération, compte tenu de la présence d’une alternative régionale qui réduit leur dépendance vis-à-vis des pays voisins et de la CEDEAO. Bien que le facteur temps pour achever ces projets puisse représenter un obstacle pour les trois pays dans la période à venir.

• Les points de vue de juristes

Abdoulaye Diallo

Il importe de noter que le juriste, ayant consacré son mémoire à la Faculté des droits de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar sur la citoyenneté au sein de l’espace régional, a diagnostiqué plusieurs failles majeures au sein du bloc régional (CEDEAO), fondé par le traité de Lagos et signé le 28 mai 1975.

« Force est de constater que la Cedeao a échoué dans l’une de ses missions principales en tant que communauté économique: l’élimination de la pauvreté dans la région. Elle a échoué également dans le processus de démocratisation amorcé dans les années 90, sans parler de tensions transfrontalières », a-t-il énuméré.

Paul Amegankpo

Selon le Togolais, qui exerce comme directeur du Think Tank Institut Tamberma pour la Gouvernance (ITG): « La position radicale des dirigeants des pays en transition de l’AES vis-à-vis de la CEDEAO, découle du fait qu’ils ont compris que, pour avoir une transition plus longue, et surtout pour avoir des règles de jeu qui leur permettront de pouvoir être candidats lors des prochaines élections, pour continuer à diriger ces pays en transition, il va falloir se soustraire des règles démocratiques prévues par le Protocole additionnel de la CEDEAO ».

• Création de la Banque AES

Le projet de création d’une banque d’investissement et de développement au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES) vient de passer un grand palier.

En effet, mi mars 2025, le général d’armée Assimi Goïta, président de la transition malienne et président en exercice de l’AES, a annoncé que l’institution financière sera dotée d’un capital initial de 500 milliards de francs CFA, soit environ 7,62 milliards d’euros.

Cette annonce intervient dans un contexte de réorganisation régionale majeure pour les trois pays membres – Mali, Burkina Faso et Niger – qui ont quitté la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

La future banque représente un pilier de leur stratégie d’autonomie financière et de développement économique.

« La mise en place de cette institution financière vise à financer des projets d’envergure dans les secteurs des infrastructures, de l’agriculture et de la sécurité alimentaire », indiquent des sources de Sika Finance. L’objectif affiché est également « d’accélérer l’intégration régionale pour les populations du Sahel ».

Ces initiatives s’inscrivent dans la continuité des travaux entamés en janvier 2025, lorsque les experts des trois pays s’étaient réunis à Bamako pour réfléchir aux contours de cette future banque régionale.

Alhousseini Sanou, ministre malien de l’Économie et des Finances, avait alors souligné que cette démarche s’inscrivait « dans le cadre de la réalisation des actions prioritaires de la feuille de route de la Confédération des États du Sahel ».

L’Alliance des États du Sahel, formalisée par la signature de la Charte du Liptako-Gourma, avait initialement été conçue comme une alliance de défense collective.

Elle s’est progressivement transformée en un projet d’intégration économique et politique plus ambitieux, sur fond de tensions croissantes avec la CEDEAO et de dégradation des relations diplomatiques avec la France.

La création de cette banque dotée de 500 milliards de francs CFA marque donc une nouvelle étape dans l’affirmation de l’AES comme acteur régional autonome.

La nouvelle banque de l’AES témoigne de la volonté des trois États sahéliens de mutualiser leurs ressources pour financer leur développement selon leurs propres priorités, indépendamment des mécanismes financiers de la CEDEAO dont ils se sont détachés.

• Goïta, sous sa présidence, compte propulser l’AES au plus haut niveau

Depuis le sommet inaugural de l’AES, en juillet 2024 à Niamey, les lignes ont bougé, et Assimi Goïta entend bien le faire savoir. Trois axes stratégiques, martelés comme un triptyque idéologique: Défense et Sécurité, Diplomatie et Développement.

C’est un tournant militaire assumé. Au Mali, au Burkina Faso et au Niger, les régimes de transition ont définitivement tourné la page des interventions étrangères. Finie l’époque des coalitions sous perfusion occidentale. Désormais, les règles sont celles de la souveraineté retrouvée, des alliances redéfinies et des rapports de force imposés par les armes.

Un espace commercial unique se dessine donc, mais surtout, les grands chantiers logistiques: un chemin de fer trans-sahélien, une compagnie aérienne confédérale, une figurent en bonne place dans les plans stratégiques.

• Un pari audacieux, mais qui soulève une question: où trouver les financements ?

La future banque sera l’un des piliers de l’autonomie financière et des stratégies de développement économique.

« La mise en œuvre de cette institution financière vise à financer des projets de haute qualité dans les domaines des infrastructures, de l’agriculture et de la sécurité nutritionnelle ». La cible indiquée est également «l’accès à l’intégration régionale des populations de la zone Sahel ».

Lors de la réunion, le Général Goïta a permis d’aborder plusieurs dossiers stratégiques pour l’alliance, dont l’élaboration d’un code en douane avec pour ambition de promouvoir la libre circulation des marchandises entre les trois pays.

En plus, de grandes infrastructures ont été discutées, en particulier, la construction du réseau ferroviaire commun et la création de compagnies aériennes conjointes.

Ces initiatives, ainsi que la divulgation du drapeau de l’AES, sont une continuation des travaux qui ont commencé en janvier 2025 lorsque des experts de trois pays se sont réunis à Bamako pour examiner le contour de cette future banque régionale.

Par conséquent, la création de cette banque avec 500 milliards de CFA marque une nouvelle étape pour confirmer l’AES en tant qu’acteur régional autonome.

Ainsi, la nouvelle banque AES prouve la volonté des trois États du Sahel de remplir les ressources pour financer le développement en fonction de leurs priorités, quels que soient les mécanismes financiers de la CEDEAO.

Un pari audacieux, mais qui soulève une question: où trouver tous les financements nécessaires ?

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