Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Burkina Faso. Le gouvernement militaire du Burkina Faso a annoncé la reprise des relations diplomatiques avec la Corée du Nord, en partie pour revitaliser le commerce d’armes entre les deux pays.
Les relations commerciales entre les deux États avaient été officiellement suspendues en 2017 à cause d’une disposition recommandée par l’Organisation des Nations-Unies à tous ses États membres dans une résolution de sanctions prises contre Pyongyang, notamment la résolution 2270 du Conseil de sécurité de l’ONU qui interdit les transactions d’armes et munitions nord-coréennes et qui a été adoptée en 2016 juste après le 4e essai nucléaire nord-coréen.
Entre-temps, le pays s’est trouvé en proie aux violences perpétrées par des groupes extrémistes qui ont fait prés de 10.000 morts, entre civils et militaires, d’après des informations rendues publiques par des ONG, ainsi qu’environ deux millions de déplacés.
Ce à quoi le capitaine Ibrahim Traoré, au pouvoir depuis septembre 2022, s’est engagé à en finir avec la menace terroriste et à rétablir l’ordre dans le pays, promettant de doter à l’avenir les forces combattantes d’équipements « adéquats et conséquents ».
C’est d’ailleurs pour cette raison que, six ans après, soit le 29 mars 2023, le Burkina Faso décide de se tourner de nouveau vers la Corée du Nord, car le pays sahélo-africain entend compter sur ce pays d’Asie pour l’acquisition de matériels militaires.
Dans ce contexte, et à l’issue d’un conseil ministériel tenu à Ouagadougou, la ministre des Affaires étrangères, de la Coopération régionale et des Burkinabè de l’Extérieur, Mme Olivia Rouamba, a fait la présente déclaration aux médias :
La Cheffe de la diplomatie burkinabé Olivia Rouamba
«Cette reprise des relations diplomatiques avec la Corée du Nord permettra à ce pays d’Asie de l’Est et au Burkina Faso d’entretenir une coopération bilatérale exemplaire dans plusieurs domaines comme le secteur de la sécurité, à travers l’octroi à notre pays d’équipements et de matériels militaires, les secteurs des mines, de la santé, de l’agriculture et de la recherche ».
Rouamba a ajouté que M. Chae Hui Chol a été désigné en tant qu’Ambassadeur Extraordinaire et plénipotentiaire de la République Populaire Démocratique de Corée au Burkina Faso, agissant depuis sa résidence à Dakar, et qu’une coopération avec Pyongyang dans « l’exploitation minière, la santé, l’agriculture et la recherche » sera engagée, sans toutefois fournir plus de détails.
De son côté, un communiqué de presse publié par le bureau présidentiel est venu confirmer qu’un conseil ministériel, présidé par le président Ibrahim Traoré, « a approuvé un accord pour la nomination d’un ambassadeur de la RPDC au Burkina Faso », et que cette décision facilitera une coopération bilatérale « exemplaire » dans le « secteur de la sécurité, en accordant à notre pays des équipements et du matériel militaires ».
Conseil ministériel présidé par Ibrahim Traoré
Il va sans dire que le pays d’Afrique de l’Ouest compte bien faire face à une éventuelle pénurie d’armes et de munitions, après la fin de la mission de l’armée française au Burkina Faso et le départ des dirigeants militaires de ce pays vers la Russie.
« Le Burkina a besoin d’armes, notamment pour les 50 000 VDP (Volontaires pour la patrie) récemment recrutés », a indiqué également la cheffe de la diplomatie burkinabé.
Il importe de noter également que la Corée du Nord a réussi d’établir un commerce d’armes robuste avec le continent africain, ces dernières années, en fournissant des armes, des équipements et d’autres biens et même des services jugés « illicites » à plusieurs pays africains en violation des sanctions onusiennes, européennes et américaines, qui lui interdisent toute vente d’armes.
Par ailleurs, on a constaté que les ambassades nord-coréennes ont intensifié leurs relations diplomatiques dans la région au cours des derniers mois, sachant que l’an dernier des diplomates de la Corée du nord ont signé des accords de coopération médicale et économique avec des représentants du Gabon, du Mali, de la Guinée, du Nigeria et de la Libye.
A ne pas oublier que le Burkina Faso a jadis entretenu de très bonnes relations avec la Corée du nord, qui était un partenaire privilégié sous la période de la Révolution burkinabé d’août 1983.
Une visite en Mauritanie après le rétablissement des relations avec la Corée : Pourquoi ?
Après que les autorités de transition au Burkina Faso ait décidé le rétablissement des relations diplomatiques avec la RPDC, le chef d’état-major général de l’armée du Burkina Faso, le colonel-major David Kaboré, s’est rendu dans la capitale mauritanienne, Nouakchott, soit le vendredi 31 mars 2023, dans le cadre d’une visite qui intervient deux jours après l’annonce de la reprise des relations avec la Corée du Nord, dans le but de consolider la coopération militaire avec Pyongyang.
Kaboré a eu des entretiens avec le chef d’état-major des armées mauritaniennes, le lieutenant-général Mukhtar Bella Shaaban, qui ont porté sur le renforcement des moyens de développer la coopération militaire et sécuritaire dans la lutte contre le terrorisme.
Le fond de cette visite semble avoir été tenu au secret.
A propos de la diplomatie burkinabé
Il importe de noter que depuis l’arrivée d’Ibrahim Traoré au pouvoir à Ouagadougou, la diplomatie burkinabè s’est forcée de travailler à la diversification des relations avec d’autres partenaires (non traditionnels), dont la Russie et la Chine.
On peut donc avancer que ce partenariat avec la Corée du Nord, avec celui de la Russie ou même ceux d’autres pays du bloc de l’Est comme l’Iran ou la Chine, ont souvent été évoqués par des membres du gouvernement burkinabè et même au sein de la population, appelant à ce que les actes concrets soient désormais soulevés.
Selon les observateurs et analystes politiques, depuis la prise du pouvoir par Traoré au Burkina Faso, plus le temps passe et plus l’axe Occident se rend compte du fait qu’après le Mali, c’est désormais le Burkina Faso qui apparaît désormais au centre d’une lutte anti-Occident acharnée, une lutte multidimensionnelle qui surprend plus d’un.
D’ailleurs, Le gouvernement burkinabè a acquis de nouveaux avions et drones, au profit de l’armée de l’air, a rapporté la télévision nationale, le jeudi 23 mars 2023. L’armée a renforcé sa flotte aérienne avec l’acquisition d’hélicoptères de combat, de transport (troupes, vivres, évacuation sanitaire et logistique) et des drones de combat et de surveillance, a indiqué le Chef d’Etat-major général des armées (CEMGA), le colonel-major David Kaboré.
Le CEMGA a indiqué entre-autres que ces « moyens stratégiques » ont été acquis au compte du budget national dans le but de renforcer les capacités opérationnelles des forces de défense et de sécurité (FDS).
Mais en réalité, cet évènement diplomatique reste pour l’instant comme dans une boule de cristal, et ne tardera pas à éclater, très bientôt, pour dévoiler les dessous de l’accord de reprise de ces relations diplomatiques.
Toutefois, alors que les sanctions contre Pyongyang ne sont pas encore levées, comment comprendre la décision des actuels tenants du pouvoir burkinabé de renouer avec la Corée du Nord ?
Ce qu’en disent les experts
Inoussa Dianda, Doctorant en Histoire des relations internationales à l’Université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou, soutient que « Dans le contexte de lutte contre le terrorisme, la Corée du Nord peut être un partenaire pour le Burkina Faso si, et seulement si, certaines préoccupations liées à la liberté de presse et d’expression sont prises en compte ».
Au lendemain de l’annonce officielle du gouvernement, le doctorant a indiqué que le fait même de savoir que Pyongyang soutient militairement Ouagadougou, « même sans un soutien logistique conséquent », peut dissuader les groupes terroristes qui écument le pays depuis 2015.
Amanar Advisor, cabinet en intelligence stratégique et de veille sur le Sahel basé en France, estime que « Le premier axe est diplomatique : pour montrer l’aboutissement du changement de stratégie des autorités burkinabè, la nomination d’un ambassadeur de Corée du Nord au Burkina-Faso va sceller le retour des discussions entre les deux pays ».
Le Cabinet Amanar Advisor poursuit : « Clairement cette reprise des relations entre les deux pays est un tacle envoyé aux instances internationales et aux pays tels que les Etats-Unis qui ont été des partenaires. Elle participe aussi à la posture choisie et assumée de ‘révolutionnaire’ du capitaine Traoré ».
Antoine Bondaz, directeur du programme Corée à la Fondation pour la recherche stratégique a lancé une alerte : « Mais attention aux sanctions internationales », en ajoutant qu’ « Il faut être prudent sur ce qui est faisable pour le Burkina ».
Mais vu le « flou » qui entoure cette question et la sècheresse d’infos à ce sujet, ce dossier sera traité de nouveau dès que possible, car, on ne sait pas encore si la junte militaire du Burkina Faso serait capable de tenir sa promesse d’établir et de maintenir une coopération militaire avec le régime de Kim Jong Un, ou non.
Appui médiatique :
Vidéo de l’intervention de Mme Rouamba
Vidéo de la visite de du Pt Thomas Sankara en Corée du nord en septembre 1983
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