L’instabilité au Burkina Faso suscite l’anxiété en Côte d’Ivoire qui cherche à maintenir les groupes armés loin de ses régions du nord

L’instabilité au Burkina Faso suscite l’anxiété en Côte d’Ivoire qui cherche à maintenir les groupes armés loin de ses régions du nord
L’instabilité au Burkina Faso suscite l’anxiété en Côte d’Ivoire qui cherche à maintenir les groupes armés loin de ses régions du nord

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Burkina Faso. Les groupes armés extrémistes du Sahel continuent d’effectuer des sorties répétées dans les pays sahéliens d’Afrique de l’Ouest, dont la Côte d’Ivoire. Jusqu’à présent, Abidjan a pu largement repousser leurs tentatives d’avancée, avec un mélange d’initiatives sécuritaires et socio-économiques. Néanmoins, elle devrait redoubler d’efforts sur les deux fronts.

La Côte d’Ivoire reste vulnérable aux violences répandues par ces groupes, en raison principalement de la longueur et de la porosité de ses frontières avec le Mali et le Burkina Faso, surtout que la zone des trois frontières est une zone de transit clé en Afrique de l’Ouest.

A titre d’exemple, le Mali et le Burkina Faso, s’approvisionnent essentiellement en carburant à travers le port d’Abidjan, sur les circuits terrestres, alors que de nombreux Burkinabé demeurent tributaires du commerce transfrontalier informel avec le nord de la Côte d’Ivoire. Les liens ethniques et familiaux transfrontaliers sont également étroits. Même si la plupart des habitants des villes et villages du nord affirment que la mise en place de troupes à la frontière a renforcé la sécurité, ils sont perpétuellement nerveux à l’idée de s’aventurer dans la brousse et hésitent même à rendre visite à leur famille au Burkina Faso, car l’instabilité dans ce pays voisin suscite naturellement l’anxiété en Côte d’Ivoire.

Il importe de noter que le gouvernement ivoirien est conscient du fait que les atouts de la Côte d’Ivoire pourraient aussi handicapants, car il s’agit notamment de son classement comme la plus grande économie de l’Afrique de l’Ouest francophone. La richesse relative du pays, ainsi que les liens étroits d’Abidjan avec l’ancienne puissance coloniale, la France, pourraient le rendre particulièrement attrayant pour les acteurs extérieurs qui tentent d’attiser le sentiment antigouvernemental. « La Côte d’Ivoire est une vitrine de l’Occident », a déclaré un observateur à certains médias, faisant référence aux relations du pays avec les donateurs européens et autres, en ajoutant que « Déstabiliser la Côte d’Ivoire aurait une valeur de propagande significative ».

Par ailleurs, la Côte d’Ivoire prépare deux événements très médiatisés dans un avenir proche :
• la Coupe d’Afrique des Nations de football, qui devrait se dérouler dans les stades tout au long du pays, en janvier-février 2024
• et une élection présidentielle en octobre 2025.

Les sources de résilience

Compte tenu de la position de la Côte d’Ivoire en tant que plaque tournante commerciale de l’Afrique de l’Ouest francophone, les observateurs s’inquiètent, à juste titre, d’une recrudescence déstabilisatrice de la violence des groupes armés dans le nord du pays. Leur insurrection a provoqué des crises humanitaires au Mali et au Burkina Faso, sachant que les attaques tuent des milliers de personnes chaque année et ne montrent aucun signe de ralentissement. Des pans entiers du Sahel sont devenus inaccessibles, ces groupes détruisant les moyens de subsistance des agriculteurs et coupant les routes commerciales régionales.

D’ailleurs, de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest sont confrontés à des prix élevés des denrées alimentaires et des engrais en raison de la guerre en Ukraine, en dehors du conflit meurtrier et de l’instabilité politique au Sahel. Pourtant, même si les six régions du nord de la Côte d’Ivoire présentent certains des facteurs de risque qui ont contribué à l’émergence de violences ailleurs, notamment la pauvreté, le sous-développement et une activité illicite omniprésente, la Côte d’Ivoire semble maîtriser les attaques, et semble mieux placée que d’autres pays pour faire face à la menace sécuritaire à l’avenir.

On relève que les groupes terroristes actifs dans le Sahel cherchent à s’étendre sur la côte atlantique en Afrique de l’Ouest où des actions dans le nord du Bénin et du Togo sont signalées. Un rapport de l’Institut d’études de sécurité (ISS) révèle que ces groupes sont déjà actifs dans le nord de la Côte d’Ivoire et s’adonnent à divers trafics.

Ces groupes terroristes qui sévissent dans le Sahel travaillent à s’implanter dans les États côtiers d’Afrique de l’Ouest et veulent faire du nord de la Côte d’Ivoire un de leurs points d’ancrage.

Jusqu’à présent, on peut dire que plusieurs facteurs ont contribué à l’efficacité relative de la réponse des autorités :

• La Côte d’Ivoire met l’accent sur le développement économique

Les troubles civils de 2002 à 2011 en Côte d’Ivoire, qui ont été marqués par des flambées régulières de violences meurtrières, influencent encore aujourd’hui une grande partie de la politique gouvernementale. La rébellion étant encore présente en mémoire, la Côte d’Ivoire a commencé à prendre des mesures pour faire face aux menaces pesant sur sa sécurité dès 2011.

De facto, le président ivoirien Alassane Ouattara avait opté pour des réformes économiques structurelles au cœur de sa stratégie de redressement, imbu du fait que la croissance économique demeure la légitimité de l’État et favorise la stabilité politique.

Grâce à la volonté des gouvernements étrangers et des organisations multilatérales qui sont intervenues avec des fonds de financement, Abidjan a rapidement obtenu l’argent nécessaire pour renforcer les forces de sécurité, construire des infrastructures économiques modernes dans tout le pays et restaurer l’autorité de l’État dans les zones où elle avait dérapé pendant le mandat de l’ancien président Laurent Gbagbo de 2002 à 2011.

Ouattara ne s’est pas trompé en mettant en place des technocrates à des postes de responsabilité, avec comme objectif de superviser ses nouvelles politiques de gouvernance. Une décennie d’investissements publics, en grande partie fournis par des partenaires extérieurs, a amélioré l’accès à l’électricité, à l’eau potable, à l’éducation et les soins de santé à l’échelle nationale.

En réalisant cet investissement, le gouvernement a considérablement réduit le taux de pauvreté national, même si l’impression que la richesse du pays est inégalement répartie est répandue, en particulier parmi les jeunes urbains.

En outre, l’ancien Premier ministre ivoirien Patrick Achi (10 mars 2021 – 6 octobre 2023) avait lancé au mois de janvier 2022, officiellement, le « programme spécial d’insertion des jeunes des régions frontalières des pays en proie au terrorisme » lors d’une tournée effectuée dans le nord de la Côte d’Ivoire. Et ce, afin d’éviter que ces derniers ne rallient les groupes jihadistes dans ces zones où le sentiment d’abandon de l’État est présentement ressenti.

Ainsi, initialement doté d’une enveloppe de 2 milliards de F CFA, le budget a été revu à la hausse, aussi bien que le nombre des bénéficiaires.

Ce qui a valu, à la fin de 2022, à 22.912 jeunes d’être intégrés au projet, désormais doté de 9,602 milliards de F CFA, déjà mobilisés en grande partie par l’État. Il est également prévu, à terme, qu’en 2024 ces jeunes compteront 65.613 personnes, et l’enveloppe aura été réévaluée à 33,3 milliards de F CFA.

• Une armée remaniée

Les forces de sécurité et de défense de la Côte d’Ivoire ont réalisé des progrès considérables ces dernières années. Ouattara a prêté serment comme président après d’intenses combats entre les rebelles qui occupaient la moitié nord du pays depuis près d’une décennie et les forces de sécurité fidèles à Gbagbo, qui ont refusé de démissionner après avoir perdu les élections de décembre 2010 face à Ouattara.

A rappeler dans ce contexte, que les mutineries ont motivé le gouvernement à pousser par le biais de réformes militaires et, ce faisant, freiner la domination des anciens comzones, et note aujourd’hui, que la composition ethnique et régionale de l’armée est considérablement plus équilibrée qu’elle ne l’était il y a dix ans.

Des sources de sécurité suggèrent de manière plausible que le gouvernement de Ouattara a constitué l’armée la plus professionnelle que la Côte d’Ivoire ait jamais eue, qui sera bientôt aussi la plus grande.

D’ici fin 2023, l’armée devrait compter 24.000 hommes, tandis que la police et la gendarmerie devraient compter 40.000 agents de sécurité supplémentaires.

• Base de pouvoir des autorités : le nord une priorité

Le nord, à majorité musulmane, constitue la base politique d’Ouattara et sa circonscription électorale la plus fiable. Tout juste après son élection à la tête de la présidence en Côte d’Ivoire, Ouattara avait augmenté le nombre de régions du pays de dix à 31 afin de renforcer l’État aux niveaux local et régional, ce qui à son tour a facilité la réalisation de son programme de développement économique. Ces changements ont particulièrement augmenté le nombre de représentants gouvernementaux (et de personnalités politiques) du nord. De plus, des personnalités clés du gouvernement et de l’armée ainsi que certains des hommes d’affaires les plus riches du pays sont originaires du nord, ceux qui en ont les moyens accordant leurs largesses aux villes et villages du nord. Abidjan accorde donc une attention particulière à la manière dont le nord est gouverné. Bien que des griefs contre le gouvernement existent, principalement parmi les jeunes au chômage, la loyauté envers Ouattara et son entourage est profonde. En outre, les souvenirs de l’anarchie qui a régné dans le nord pendant le conflit de 2002 à 2011 signifient qu’il y a peu ou pas d’appétit apparent pour de nouveaux bouleversements, du moins pas à l’heure actuelle.

• Tolérance religieuse et surveillance étroite du gouvernement

La plupart des Ivoiriens considèrent la violence extrémiste comme une menace extérieure. Ouattara, lui-même musulman marié à une catholique, a fait de la tolérance religieuse une priorité du gouvernement, en partie pour inverser la stigmatisation des musulmans sous son prédécesseur Gbagbo. Les responsables ivoiriens et les chercheurs indiquent par ailleurs que la Côte d’Ivoire est dotée d’un islam tolérant, notamment « malékite », avec diverses communautés musulmanes dont les membres vivent côte à côte ou se marient avec des personnes d’autres confessions religieuses. Bien que les groupes armés aient gagné en influence parmi les musulmans depuis les années 1990, ils ont pris soin de se distancer des récits du « jihad » traditionnel. La diversité religieuse du pays a favorisé une culture de dialogue et les conversions religieuses sont devenues courantes.

• Projets sociaux : dans le Nord d’abord

En rouge les frontières ivoiriennes avec le Burkina Faso et le Mali, où la menace terroriste persiste

Conscientes de la délicatesse des régions du nord ivoirien, les autorités de la Côte d’Ivoire ont tenté de ne pas se baser principalement sur des redéploiements militaires pour faire face à la menace terroriste, mais de mettre en marche des réformes économiques structurelles ainsi qu’une planification sociale afin qu’elles soient le pilier central de la stratégie de stabilisation du gouvernement, générant des investissements publics considérables dans les infrastructures, notamment :
• les routes pavées,
• les lignes électriques,
• les écoles,
• et les cliniques.

Les autorités tentent de trouver des solutions pour réduire les inquiétudes des jeunes hommes et femmes du nord qui seraient susceptibles d’être enrôlés par les groupes armés terroristes en raison des difficultés socio-économiques.

Les mots de la fin

D’une manière générale, on peut considérer la Côte d’Ivoire comme étant sur la bonne voie et devrait continuer, sans relâche, à poursuivre les stratégies mises en place par le gouvernement pour renforcer la sécurité le long de ses frontières nord ainsi que les programmes visant à réduire la pauvreté et le chômage dans la région.

Des investissements supplémentaires devraient obligatoirement être pris en considération et réalisés dans les meilleurs délais, notamment en ce qui concerne ce qui suit, principalement dans le nord du pays, afin de ne laisser aucune chance aux groupes terroristes de s’y implanter ni de recruter les jeunes ivoiriens désespérés :
• les économies locales,
• les relations communautaires-militaires,
• la coopération militaire transfrontalière
• et les capacités militaires.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Burkina Faso, suivez Africa-Press

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