Vie des déplacées internes de Sakoula : De l’enfer au purgatoire

Vie des déplacées internes de Sakoula : De l’enfer au purgatoire
Vie des déplacées internes de Sakoula : De l’enfer au purgatoire

Africa-Press – Burkina Faso. Elles ont fui le terrorisme à Pougzinguebaongo, commune de Kelbo, province du Soum, région du Sahel. Elles ont dû traverser de grandes épreuves. Elles ont perdu leurs maris sur la route Djibo-Kongoussi. Elles ont été convoyées comme du bétail jusqu’à Ouagadougou. Finalement, elles ont été parquées dans la banlieue de Sakoula, dans l’arrondissement 9 de Ouagadougou. Depuis deux ans, elles y sont cloitrées. Elles pensaient ainsi sauver leur vie. Malheureusement, elles ont plutôt au quotidien la misère comme compagne. Pour se nourrir, elles balaient le sable pour vendre. a partagé leur journée le jeudi 11 novembre 2021.

Sakoula, c’est un village de l’arrondissement 9 de Ouagadougou. Il est situé au nord-est de la capitale burkinabè. Le jeudi 11 novembre 2021, nous embarquons dans notre véhicule. Direction, Sakoula. Là-bas, il y a des déplacés internes. Du quartier Tanghin, nous traversons les rails. A partir de là, Il faut jongler avec les nids de poule qui constellent la voie. Il faut aussi rester vigilant. L’on peut se retrouver dans une cour d’habitation. C’est le commun des non lotis. Ce cirque, notre chauffeur Thierry Toé le maîtrise. Pendant que les rayons du soleil nous frappent en plein visage, nous arrivons à destination. C’est juste après le Centre de santé de de promotion sociale (CSPS) du village.

Une grande poussière nous accueille à notre arrivée

A notre arrivée, c’est un énorme nuage de poussière qui nous accueille. De loin, on aurait cru que c’est une course de chameaux au Sahel qui serait à l’origine. Mais non, c’est la carrière en plein air de sable des femmes déplacées internes de Sakoula. La lumière du soleil est très vive. L’harmattan frappe fort. Sur ce site, chaque femme tient un balai, un seau et une assiette. Certaines possèdent en plus des pioches. C’est sur un grand espace plat. De part et d’autres, il y a des maisons. Certaines sont en construction. Un peu devant, des femmes se reposent déjà. Elles sont là depuis le matin de bonne heure. Parmi elles, il y a Bibata Sawadogo.

Elles ont dû fuir les violences pour se réfugier à Ouagadougou

Grande de taille, teint noir, 45 ans, elle est mère de 10 enfants. Elle se rappelle de leur chemin de croix. Il y a deux ans de cela. « Un jour, nous étions dans notre village à Pougzinguebaongo. C’est dans la commune rurale de Kelbo. On a attaqué un village voisin. Un messager est venu nous dire que le lendemain, ce serait notre tour », introduit-elle. Elle poursuit : « c’est ainsi que nous étions obligés de prendre nos baluchons pour fuir ».

Ce choix fut difficile. Mais voilà Bibata et les siens dans la brousse. Bibata fait partie d’une famille de plus de 200 personnes. Ils n’arriveront pas tous à destination. Les souvenir défilent dans sa tête. « Nous avons entre-temps pu embarquer dans un camion à bétail communément appelé dix tonnes. Entre Djibo et Kongoussi, les terroristes nous ont arrêtés. Ils ont tué mon mari et trois autres personnes. Ils ont aussi enlevé des gens », souffle-t-elle.

Elles ont dû enjamber des cadavres pour se sauver

Ces femmes ont vécu des scènes horribles. C’est ce que confirme Roukieta Ouédraogo, une rescapée assise à côté de Bibata. « On a enjambé des cadavres. Partout où l’on posait le pied sur la route, il y avait des corps », précise-t-elle. C’est dans cette situation que le groupe arrive à Bourzanga. Choqués par les événements, les fuyards mettent le cap sur Ouagadougou, la capitale burkinabè. Une partie débarque à Pazani. La famille de Bibata est conduite à Sakoula. Elle raconte leur première nuit. « On est venu nous déverser comme des animaux. Il n’y avait rien. Nous avons passé la nuit à la belle étoile avec nos enfants. Le lendemain, nous avons vu des maisons. Certaines étaient inachevées. Nous nous sommes installés quand même ».

Condamnées à balayer et vendre le sable pour survivre

Bibata et les siens pensaient avoir trouvé leur terre promise. Pour la mère de dix enfants, elle était arrivée dans un monde meilleur. Pourtant, ce n’était vraisemblablement qu’un mirage. « Les jours passaient et se ressemblaient. Nous n’avions pas de nourriture », avait-elle fini par comprendre. Dans cette situation, elle sait qu’elle ne se trouve pas dans l’eldorado. Elle est en train plutôt d’engager un autre combat. C’est celui de la survie. « C’est de l’enfer au purgatoire », lance une des rares chrétiennes du groupe. Sans ressources, ses camarades et elle sont obligées de balayer le sable pour le vendre. Pour espérer avoir le plein d’un taxi moto, il faut au moins deux jours de travail. « Quand on gagne le voyage de taxi-moto, on peut vendre entre 3 000, 3500, 4 000 francs CFA » narre-t-elle.

Ce travail ne marche forcément pas. Pour preuve des tas de sable, ramassé l’année passée, sont encore invendus. Pourtant, elle doit nourrir ses dix enfants, les soigner et les scolariser. Par manque de moyens, ses enfants sont renvoyés tous les jours de l’école. Ceci, pour impayés. « Ma fille a carrément abandonné. Elle était en classe de 3e. Elle aussi balaie le sable », soutient-elle, presque en larmes. Elle utilise son voile pour s’essuyer discrètement.

Ces déplacés internes manquent de tous

Les déplacés internes de Sakoula font face à un gros problème d’eau. Il y a un forage, mais, il appartient à un particulier. « Il veut bien nous aider. Seulement, il donne un bidon de 20 litres d’eau à chaque personne chaque jour. Cela n’est pas suffisant. Nous sommes obligés alors de boire l’eau des rivières », assure la veuve de 45 ans.

Le balayage de sable n’est pas aussi sans conséquences. Plusieurs femmes sont atteintes de maladies respiratoires. « Le travail est fatigant. La nuit parfois, j’ai des palpitations. Quand je crache, c’est la poussière que j’ai avalée. J’ai fait un mois de maladie », ajoute Bibata. « Ça nous rend malades certes, mais on va faire comment ? La maladie va peut-être nous tuer. Si nous ne balayons pas non plus nous allons mourir de faim », rétorque une vieille.

Les femmes demandent de l’aide au président du Faso

Jusque-là, ces femmes assurent n’avoir pas obtenu de soutien de la part du gouvernement. Et Bibata en a gros sur le cœur. Aujourd’hui, elle a un crédit de 65 000 francs CFA qu’elle n’arrive pas à rembourser. C’est une somme qu’elle a réussi à emprunter pour ses soins. Elle a un message pour le président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré. Elle supplie : « Roch, lève-toi et regarde notre situation. Nous sommes veuves. On a tué nos enfants et nos maris. Nous n’avons pas de maison. Nous mourrons de faim. Mais tout cela est arrivé depuis ta prise de pouvoir. Lève-toi et trouve une solution pour que nous retrouvions nos maisons. Nous faisons pitié. »

Le soleil est maintenant au zénith. Les femmes commencent à rentrer. D’autres ont rejoint l’ombre des arbres. Elles veulent manger et reprendre des forces. Certaines boivent de l’eau, sous le chant des oiseaux. Elles espèrent toujours que demain sera meilleur. Nous prenons congé d’elles. Une des femmes murmure « l’éternel est notre berger ». « C’est cela qui nous permet de vivre », nous lance-t-elle quand nous jetons un regard vers elle. En donnant dos à ces vulnérables, Auguste Paré, notre cameraman se demande bien jusqu’à quand elles garderont la foi. Dimitri OUEDRAOGO Auguste Paré (Vidéo et photo)

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