Africa-Press – Burkina Faso. Le Mauritanien a été élu, le 29 mai à Abidjan, à la présidence de la banque panafricaine au terme de trois tours de scrutin seulement. Quels sont les pays qui ont fait pencher la balance en sa faveur? Comment s’est déroulé le jour de vote? Coulisses.
Les observateurs s’attendaient à une longue journée de vote et à de nombreux tours de scrutin. Finalement, à la mi-journée du 29 mai, et après seulement trois tours, les actionnaires de la Banque africaine de développement (BAD) avaient déjà choisi leur nouveau président, le Mauritanien Sidi Ould Tah, qui succède au Nigérian Akinwumi Adesina. Comment s’est déroulée cette journée? Et pourquoi une issue aussi rapide? Récit, heure par heure, d’un jour de vote qui a dessiné l’avenir du continent pour les cinq prochaines années.
Jeudi 29 mai, 9h du matin. Une fois n’est pas coutume, tout le monde – ou presque – est à l’heure. En ce jour chômé de l’Ascension, la circulation est exceptionnellement fluide à Abidjan.
9h07. Les portes de l’auditorium du Sofitel Abidjan Hôtel Ivoire se referment derrière les 81 gouverneurs de la BAD ou leurs suppléants, ainsi que sur la centaine d’observateurs autorisés dans la salle. Ils sont accueillis par Nialé Kaba, ministre ivoirienne de l’Économie, du Plan et du Développement, mais aussi présidente du conseil des gouverneurs.
Un vote secret, mais on peut deviner qui choisit qui
9h13. Vincent Nmehielle, secrétaire général de la BAD, lit le règlement. Le Sud-Africain rappelle notamment que le poids des droits de vote de chaque État actionnaire dépend du montant de sa participation au capital de l’institution. « Même s’il s’agit d’un vote à bulletin secret, il est donc parfois possible de déduire qui a voté pour qui », décryptait, quelques jours plus tôt, un candidat. Les votes du Nigeria de Bola Tinubu (9,33 %), des États-Unis de Donald Trump (6,33 %), de l’Égypte d’Abdel Fattah al-Sissi (6,33 %), de l’Afrique du Sud de Cyril Ramaphosa (5,06 %), ou encore de l’Algérie d’Abdelmajid Tebboune (5,33 %) sont donc prépondérants. Vincent Nmehielle explique aussi que, pour être élu, il faut obtenir une double majorité, c’est-à-dire au moins 50,01 % du total des voix et 50,01 % des voix attribuées aux actionnaires régionaux de la Banque, c’est-à-dire africains.
9h35. Les 81 gouverneurs ou leurs suppléants commencent à voter. Ils ont le choix entre cinq personnalités: le Sénégalais Amadou Hott, la Sud-Africaine Swazi Bajabulile Tshabalala, le Mauritanien Sidi Ould Tah, le Zambien Samuel Munzele Maimbo et le Tchadien Mahamat Abbas Tolli. Ni les candidats ni leur entourage ne sont admis dans la salle. Ils attendent les résultats dans leurs suites respectives, entourés de leurs équipes de campagne.
9h50. Le processus est laborieux et potentiellement source d’erreurs. Sur son bulletin de vote, chaque votant doit inscrire le nom du candidat de son choix, mais également le pourcentage des voix que possède son pays. Pour la première fois, il était prévu que le vote se déroule de manière électronique. L’institution avait même acheté une tablette tactile par votant. Mais, au dernier moment, certains pays dont les gouverneurs ne sont pas à l’aise avec les outils informatiques ont fait pression pour que l’idée soit abandonnée.
Une deuxième tour sans appel
10h15. Le dépouillement commence et la tension monte d’un cran dans la salle. « Cela prend beaucoup de temps parce qu’il faut vérifier qu’il n’y a pas d’erreurs et reporter le pourcentage de chaque bulletin pour calculer le total », explique le gouverneur d’un pays africain.
11h07. Les résultats du premier tour tombent et s’affichent sur l’écran géant. Samuel Maimbo est en tête avec 40,41 % du total des voix, mais seulement 26,57 % des voix africaines. Sidi Ould Tah arrive en deuxième position avec 33,21 % du total, mais près de la moitié des voix africaines: 47,03 %. « Cela prouve que Samuel Maimbo est le candidat des actionnaires non régionaux, tandis que le docteur Sidi est celui des africains », glisse alors un membre de son équipe de campagne. Selon nos informations, il avait alors derrière lui la quasi-intégralité des pays d’Afrique centrale, de la Ligue arabe, dont l’Algérie (malgré, à l’origine, un parrainage de la candidature sud-africaine), mais aussi d’Afrique de l’Ouest et notamment du Nigeria qui n’aura pas porté son choix sur Amadou Hott, pourtant dauphin désigné du président sortant, Akinwumi Adesina. « C’est un ralliement de dernière minute, confie un gouverneur. Le premier actionnaire de la BAD a misé sur celui qui avait le plus de chance de gagner. Akinwumi Adesina est entouré de Nigérians dans toutes les instances de direction. Abuja va essayer de conserver un maximum de postes clés. »
11h18. Le second tour commence. Les votants doivent désormais départager quatre candidats, le Tchadien Mahamat Abbas Tolli ayant été éliminé au premier tour avec un score de 0,52 % des voix.
11h35. Le processus s’accélère et le dépouillement du deuxième tour commence.
12h14. Les résultats du deuxième tour sont sans appel. Sidi Ould Tah prend largement la tête du scrutin avec 48,41 % du total voix et 68,42 % des votes continentaux. Dans le même temps, les scores baissent chez tous ses concurrents. « C’est plié, il a gagné », réagit alors un cadre de la BAD auprès de Jeune Afrique. De fait, Samuel Maimbo ne parvient en effet à réunir que 36,68 % des voix, soit 10 points de moins qu’au premier tour. Amadou Hott récolte 9,02 % des voix et Swazi Tshabalala seulement 5,90 %, soit à peu près l’équivalent du poids de son pays, l’Afrique du Sud. Elle est éliminée.
Quand Bassirou Diomaye Faye envisage de lâcher Amadou Hott
12h15. Une pause de cinq minutes est décrétée avant de reprendre le vote. L’élection sera bouclée avant que les gouverneurs n’aillent déjeuner. La France, le Canada et l’Arabie saoudite en profitent pour essayer de faire définitivement pencher la balance en faveur du Mauritanien. Ils essaient notamment de convaincre les États-Unis, qui ont soutenu Samuel Maimbo au cours des deux premiers tours.
12h20. Reprise du vote pour le troisième tour de scrutin.
12h45. Début du dépouillement. Selon nos informations, le Sénégal de Bassirou Diomaye Faye envisage alors, en cas de quatrième tour, de retirer la candidature d’Amadou Hott.
13h20. Sidi Ould Tah est élu président de la Banque africaine de développement avec 76,18 % du total des voix et 72,37 % chez les actionnaires africains. « C’est un double mandat, une victoire avec une telle majorité n’est jamais arrivée dans l’histoire de la BAD », se réjouit alors auprès de Jeune Afrique la Tanzanienne Frannie Léautier, directrice de campagne du candidat élu et ancienne vice-présidente de l’institution. Vincent Nmehielle, secrétaire général de la BAD, va chercher Sidi Ould Tah dans sa suite et le convie à rejoindre l’auditorium.
13h45. Sidi Ould Tah prononce un bref discours. « J’aimerais remercier l’Afrique pour la confiance qu’elle vient de m’accorder. Je vous remercie pour cet honneur dont je mesure la responsabilité et le devoir qui l’accompagne », déclare-t-il avant de conclure en anglais: « Now, it’s time to go to work. I’m ready », (« Maintenant, au travail. Je suis prêt »). Dans un coin de l’auditorium, Serge Ekué, le président de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), et Patrick Achi, ministre d’État à la présidence ivoirienne, se prennent dans les bras, visiblement émus.
14h. Le nouveau président de la BAD rejoint sa suite. Il passera son après-midi au téléphone à répondre à une avalanche d’appels de chefs d’État. Quelques heures plus tard, Alassane Ouattara, le président ivoirien, l’accueille dans sa résidence de Cocody pour le féliciter.
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