Africa-Press – Burkina Faso. Adoptée le 22 octobre 2025 par le Parlement, la nouvelle loi portant Réorganisation agraire et foncière (RAF) du Burkina Faso redéfinit en profondeur la gestion du domaine foncier national. L’État en devient désormais le propriétaire unique, tout en prévoyant des mécanismes de transfert et de délégation aux collectivités territoriales. Amos Zong-Naba, expert agréé en fiscalité et foncier et président de l’Association Fiscalité et Développement Local (AFDL), analyse pour les enjeux et perspectives de cette réforme.
En effet, le 22 octobre 2025, le Parlement a adopté la nouvelle loi portant Réorganisation Agraire et Foncière (RAF) dont l’une des innovations majeures consacre désormais la pleine et entière propriété à l’Etat sur le domaine foncier national. Il y a lieu de rappeler le contexte de cette loi qui veut résoudre le sempiternel et urgent problème foncier présenté pour beaucoup d’observateurs comme une « bombe sociale ». Il faut préciser que la loi adoptée n’est pas encore effective car non promulguée par le Président du Faso qui dispose de 21 jours pour ce faire. Par conséquent, tout ce qui se dit sur cette loi est sous l’hypothèse que la loi sera promulguée comme telle.
Pour revenir à votre question, je dirai que non, cette centralisation ne va pas réduire l’autonomie des collectivités territoriales. Au contraire, elle va renforcer leur autonomie si la loi est bien mise en œuvre. Ce que dit la nouvelle loi est que le domaine foncier national est de plein droit propriété de l’État (notamment l’article 20). Ça, c’est le principe.
Pour être plus simple, l’Etat est propriétaire initial car il y a lieu de préciser qu’il peut en céder certaines terres en propriété privée, mais par principe, c’est l’État. La même loi dans son article 25 dispose que le propriétaire qu’est l’Etat « transfère une partie du domaine foncier aux collectivités dont les modalités par décret et gère « en collaboration avec les collectivités » sous les principes de transparence et de lutte contre la corruption. Plus loin, l’article 32 de la nouvelle RAF réaffirme que les terres et immeubles du domaine foncier national sont de plein droit propriété de l’État, sauf ceux cédés en propriété et ceux transférés aux collectivités territoriales.
En d’autres termes, les Collectivités en tant que démembrements de l’Etat central, auront une partie des terres déjà immatriculées au nom de l’Etat par le truchement des transferts. Ces terres seront donc les propriétés des collectivités qui pourront en disposer comme elles veulent. Ce n’est donc pas une recentralisation « contre » les collectivités. Aussi, le cadastre fiscal est un bel outil qui permettra aux communes de mieux gérer leurs ressources foncières.
L’article 78 de la loi prévoit même que l’Etat peut déléguer une partie du domaine foncier national à la gestion par les collectivités. Aussi, il est même dit à l’article 34 que la gestion des terres du domaine foncier national se fait en collaboration avec les collectivités. Mieux, sur certaines terres (notamment du domaine immobilier non affecté, aménagées à des fins d’usages autres que d’habitation et à but lucratif) cédées aux collectivités, la loi privilégie le bail emphytéotique (contrat de longue durée de 18 à 99 ans) qui peut être un levier puissant pour générer des redevances/loyers pluriannuels pour les collectivités tout en sécurisant l’usage productif.
En résumé, l‘autonomie de gestion des ressources foncières n’est pas remise en cause car juridiquement, la loi ouvre la voie à de vraies marges locales. Cependant, il faut travailler de sorte que dans la pratique, ces transferts aux collectivités soient concrétisés. Le risque réel peut se poser si les décrets de transfert tardent ou si l’État garde la main sur la quasi-totalité des décisions.
Quant à l’appréciation de l’AFDL, la centralisation du titre originaire peut assainir les bases (un livre foncier unique, un cadastre cohérent), donc moins de doublons, moins de spéculations, plus de sécurité pour l’investissement. C’est une bonne base pour des finances locales plus prévisibles. Toutefois, le risque réel est que la « propriété-État » se traduise en réduction d’autonomie si les décrets de transfert ou de délégation tardent ou restent timides. La loi prévoit le transfert et même la délégation de gestion aux collectivités, tout se jouera donc dans les décrets et la répartition des recettes.
Comme dit plus haut, la nouvelle RAF de 2025 encadre avec précision la possibilité pour l’État de confier une partie de la gestion foncière aux collectivités territoriales. En effet, les articles 25, 34 et 35 donnent la base légale du transfert patrimonial vers les communes et régions, les principes et les modes de gestion.
Ces dispositions ouvrent d’importantes perspectives fiscales et économiques pour les communes et les régions. Les impacts attendus peuvent se décliner à 03 niveaux: Renforcement des ressources fiscales locales, la valorisation économique du domaine transféré et l’effet d’entraînement économique au niveau local.
Le cadastre foncier prévu aux articles articles 80 à 82 de la nouvelle RAF fournit une base d’évaluation normalisée des biens bâtis et non bâtis, servant à calculer les taxes foncières et redevances domaniales locales. Ainsi, ce lien direct entre cadastre et fiscalité accroît la fiabilité des bases imposables et donc va améliorer le rendement des impôts locaux et des recettes fiscales locales.
Par ailleurs, des redevances et loyers issus des baux emphytéotiques et permis d’occuper/exploiter qui sont des titres de jouissance énumérés par la loi pourront renflouer les caisses des budgets des collectivités.
L’article 102 précise que les collectivités peuvent conclure des baux emphytéotiques. Ces baux, d’une durée de 18 à 99 ans, génèrent des redevances stables et encouragent l’investissement productif (zones artisanales, industrielles, agricoles). Ces opérations de concession ou de cession, après publicité foncière et paiement des droits et taxes (art. 68), créent un flux de recettes propres (droits de cession, frais d’immatriculation, redevances annuelles).
Le 3è impact économique est que la mise à disposition de terres aménagées et sécurisées au profit des collectivités encourage l’installation d’entreprises et d’exploitants agricoles, la création d’emplois et la valorisation du foncier communal et régional comme levier de développement (zones économiques, habitats, marchés, équipements collectifs).
En tant qu’acteur technique et citoyen de la gouvernance locale, l’Association Fiscalité et Développement Local (AFDL) peut envisager l’accompagnement des collectivités en renforcement des capacités par la formation des élus et agents communaux sur la gestion du domaine transféré et aussi par le plaidoyer pour des décrets équitables et applicables.
Vous avez raison, la non sécurisation des terres rurales et la non formalisation des transactions foncière est l’une des causes des conflits fonciers en milieu rural. La RAF 2025 introduit un mécanisme inédit de sécurisation des droits coutumiers. En effet, l’article 67 précise que « L’attestation de possession foncière rurale est un acte administratif qui consacre la reconnaissance de la possession foncière rurale. Elle est transmissible par succession et peut être cédée entre vifs, à titre gratuit ou onéreux » et l’article 101 stipule que « La possession foncière rurale est le pouvoir de fait, légitimement exercé, sur une terre rurale. Elle confère un droit de superficie à son titulaire. Nonobstant la possession foncière rurale, la terre demeure la propriété de l’État ».
Ce mécanisme prévu via les 02 articles ci-dessus vise à officialiser et sécuriser les droits coutumiers qui, jusque-là, n’étaient pas reconnus par le droit écrit, tout en maintenant la propriété pleine et entière de l’État sur le domaine foncier national. L’APFR constitue donc une reconnaissance légale du droit d’usage coutumier et permet à son détenteur d’être reconnu administrativement par l’État, de transmettre son droit à ses héritiers (succession), de céder ou valoriser son droit de superficie (usage économique encadré) et d’éviter la spoliation par des tiers grâce à la publicité foncière (art. 69: informatisation obligatoire des titres).
Toutefois, cela reste insuffisant pour prévenir tous les conflits fonciers qui ont souvent d’autres causes autres que celle de la reconnaissance des actes ou des droits. En effet, l’ignorance et/ou la mauvaise interprétation des dispositions législatives et réglementaires de gestion foncière rurale, mésentente sur les limites, disputes éleveurs et agriculteurs, autochtones et migrants (migrations), la marchandisation et la monétarisation de la terre, la croissance urbaine sont entre autres des causes de conflits fonciers.
Aussi, la loi notamment l’article 101 rappelle que, malgré la possession, la terre reste propriété de l’État. Ainsi, le détenteur d’une APFR dispose d’un droit de superficie, non d’un droit de propriété. En cas de conflit avec un projet d’utilité publique ou un investisseur bénéficiant d’une concession, le détenteur coutumier reste toujours vulnérable.
Par ailleurs, il subsiste des risques de superposition de droits car le texte ne définit pas encore avec précision la hiérarchie entre droits coutumiers reconnus et droits nouveaux (baux emphytéotiques, permis d’exploiter, etc.).
En termes de recommandations, pour renforcer la portée de l’APFR, il y a lieu d’adosser l’APFR à un cadastre rural public et informatisé permettant une bonne traçabilité, mettre en place des commissions locales mixtes de validation, mettre l’accent sur les APFR collectives, mener des actions pour que l’APFR soit une garantie de crédit bancaire et créer un mécanisme de médiation et de règlement des conflits fonciers.
Historiquement, le foncier burkinabè a été marqué effectivement par cette critique. La nouvelle RAF, même si elle ne résout pas tout donne cinq garanties légales fortes que j’ai pu identifier pour la transparence et l’équité.
En effet, la première garantie est mentionnée dans l’article 34 dispose que « La gestion du domaine foncier national est assurée par l’État en collaboration avec les collectivités territoriales. Elle se fait dans la transparence, le respect des droits de l’homme, la lutte contre la corruption, et le développement participatif, inclusif et durable. ». Cet article pose clairement le principe de transparence comme obligation légale, et non comme un simple vœu politique. Il élargit aussi la gouvernance en associant les collectivités et, indirectement, les populations locales, garantissant une gestion partagée du foncier.
La 2è garantie donne l’obligation de publicité et de traçabilité des droits fonciers dans la nouvelle loi. En effet, l’article 69 dispose que « les procédures de demande, d’instruction et de délivrance des titres de jouissance doivent être informatisées ». L’article 114 précise que tout droit réel sur un immeuble doit être publié pour être opposable aux tiers.
La numérisation réduit les manipulations de dossiers, permet de suivre chaque attribution et rend les informations accessibles et vérifiables et la publicité foncière garantissent administrative. Quant à la publicité foncière, cela garantit la traçabilité des transactions et limite les ventes frauduleuses ou les doubles attributions.
La 3è garantie est le cadastre national ouvert et consultable qui permet non seulement la transparence foncière, mais aussi la justesse fiscale: chaque parcelle est identifiée, ce qui réduit les marges d’arbitraire dans les attributions et les taxes.
La 4è garantie est relative aux procédures formalisées d’attribution et de cession. Cela signifie que nul ne peut obtenir une terre sans contrepartie légale: fini les affectations discrétionnaires et les « lettres de complaisance ».
Quant à la 5è garantie, elle donne la responsabilité et la sanction en cas de manquement notamment pour le receveur de la publicité foncière (RDPF) qui peut être condamné à des dommages-intérêts. L’État prévoit également un fonds d’assurance pour réparer les préjudices liés aux erreurs d’enregistrement. La culture de redevabilité est donc consacrée: les agents domaniaux ne sont plus simplement détenteurs d’un pouvoir, mais responsables devant la loi.
En assurant la transparence et la traçabilité, les communes disposeront de données fiables pour planifier et fiscaliser le foncier, les investisseurs auront davantage confiance dans la sécurité juridique et les citoyens pourront suivre les attributions et réduire les litiges. En somme, la transparence foncière devient un levier de développement économique et social, et non plus un frein.
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