Patrice Kouraogo : Le député qui rêvait d’être le boucher de son village

Patrice Kouraogo : Le député qui rêvait d’être le boucher de son village
Patrice Kouraogo : Le député qui rêvait d’être le boucher de son village

Africa-PressBurkina Faso. L’histoire de Patrice Kouraogo est celle d’un enfant qui détestait l’école et qui rêvait d’être le boucher de son village. Finalement, il deviendra chercheur, enseignant d’université, conseiller spécial du chef de l’Etat et député. Tout cela, grâce à son père, un paysan illettré, qui s’est mis en tête de scolariser ses enfants pour qu’ils aient un meilleur avenir.

Patrice Kouraogo a vu le jour dans une famille paysanne à Zambanga, village situé à sept kilomètres de Boulsa, dans le Namentenga. De son propre aveu, il a grandi dans une famille profondément chrétienne. « Je suis issu d’une famille dont l’éducation est très rigoureuse. C’était le travail ou rien. Nous travaillions au champ et à l’école. »

Son papa est parmi les premiers catéchistes du village. C’est ce père qui s’est battu avec d’autres personnes pour que l’église du village voit le jour. Il membre d’une fratrie de 14 enfants. « Tous les enfants ont été scolarisés par mon père qui n’a jamais mis le pied à l’école. Il était le premier à envoyer ses enfants à l’école dans ce village. Il avait compris que l’école était utile. Il n’a pas du tout badiné avec notre éducation », se souvient Patrice Kouraogo.

Tandis que ses frères aînés acceptent de bonne grâce de se rendre aux cours, le jeune Patrice lui, fait de la résistance. « Je n’avais pas pour vocation l’école. J’ai fait l’école buissonnière. Comme j’aime à le raconter à mes étudiants, mon ambition était d’être le boucher du village. C’est un métier qui me plaisait », confesse-t-il dans un grand éclat de rire.

Scolarisé par son père à Boulsa, il monte un subterfuge pour ne pas aller suivre les cours. « Au lieu de rester à Boulsa où mon père m’avait trouvé un tuteur, je préférais parcourir chaque jour les sept kilomètres qui séparaient Zambanga de Boulsa. Le matin je partais à pied et je ne rentrais que le soir. C’était très pratique pour sécher les cours : ceux de mon village croient que je suis à Boulsa et ceux de Boulsa croient que je suis au village. Pendant ce temps, moi j’étais dans la nature », se souvient-il.

Son instituteur finit par remarquer ses fréquentes absences et s’en ouvre au vieux Kouraogo. « Il a remarqué que malgré mes absences, je me présentais quand il y avait une composition. Et je n’étais pas le dernier de la classe. Il a donc dit à mon père que je suis paresseux parce que je ne venais pas à l’école, mais je terminais quand même parmi les 20 premiers. Mon papa m’a clairement fait comprendre que si j’abandonnais l’école, je n’aurais jamais la paix avec lui. J’ai donc repris le chemin des classes pour qu’il me colle la paix, mais aussi grâce à un grand frère qui m’encourageait, je me suis vraiment mis à étudier. C’est à partir de la 5e que j’ai pris conscience de l’utilité de l’école. »

Ce sera le début d’un long parcours scolaire et académique. Après le primaire dans son Boulsa natal, il fréquente les classes de seconde et de première à Koudougou, avant de rejoindre Ouagadougou pour la classe de terminale. Il fréquente le lycée Vénégré où il décroche le baccalauréat A4. Puis il choisit de s’inscrire au département de sociologie de l’Université de Ouagadougou. Mais l’étudiant, hébergé par un de ses frères, a des envies d’indépendance. Si bien qu’après la première année, il choisit de passer un concours : celui de l’Ecole nationale des enseignants du primaire (ENEP).

Il explique : « J’ai passé le concours des ENEP pour être rapidement employable. Je suis un fils de paysan. Il est vrai que j’avais des aînés chez lesquels je logeais. Mais à 25 ans, je trouvais que le temps était venu de me prendre en charge moi-même, de voler de mes propres ailes. J’ai été reçu au concours et je suis allé me former à Loumbila ».

D’Alexandrie à Rabat

Mais pour autant, il n’arrête pas ses cours à l’université. « Un ami qui suivait les cours prenait des notes avec du papier carbone. Chaque semaine je venais les récupérer pour bosser. Je me débrouillais pour prendre part aux devoirs et aux TP », assure-t-il.

Son premier poste d’instituteur a été Korsimoro, dans le Sanmatenga. Il est affecté non loin de Ouagadougou après quelques années de service. Ce qui lui permet de faire une licence de sociologie et de soutenir en 2004 une maîtrise en sociologie de l’éducation et de la communication, sur le thème : « Contes moosé dans les médias : appauvrissement ou enrichissement, l’exemple des soirées de contes télévisuelles et radiophoniques ».

Il demande alors à rejoindre le ministère de la Culture et, après un an à la direction du patrimoine culturel, sa soif d’apprendre le pousse à passer avec brio un concours à quatre étapes pour rejoindre l’université Senghor d’Alexandrie. « A Alexandrie, les Burkinabè étaient la plus forte communauté. Treize en tout. Il y avait 24 nationalités. J’ai proposé à mes camarades qu’au retour, nous fassions des activités pour faire connaître davantage l’importance de cette formation », explique Patrice Kouraogo.

Son Master en gestion du patrimoine culturel en poche, il rentre au Burkina en 2007. Avec d’autres promotionnaires, il mène des activités pour faire connaître leur métier. « Nous avons eu le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Djibril Bassolé, comme parrain. Il nous a invités pour savoir davantage. Puis il a demandé ce qu’il pouvait faire pour accompagner nos carrières. C’est dans ce cadre qu’il m’a proposé de me nommer conseiller des affaires culturelles à l’ambassade du Burkina Faso au Maroc. Mais comme j’étais toujours fonctionnaire de catégorie B, on m’a nommé attaché culturel ».

A Rabat, il décide de faire un doctorat, estimant qu’il serait dommage qu’il revienne au Burkina sans ce diplôme. « Mais l’ambassadeur était réticent. Il pensait que cela allait impacter négativement mon travail administratif. J’ai tenu à le rassurer que c’est comme cela que j’ai bâti ma carrière. Je suis bon travailleur, je remplis toujours mon contrat et parallèlement je m’organise pour mes études. C’est comme cela que j’ai pu m’inscrire ».

Au bout de quatre ans, il soutient sa thèse sur le thème : “Patrimoines culturels oraux et développement au Burkina Faso : Analyse socioculturelle des contes et légendes, des proverbes et devises moose”. « Je précise que malgré mon master et mon doctorat, je suis toujours resté en catégorie B à cause d’un dispositif de la Fonction publique qui disait qu’on ne prenait pas de diplôme acquis en cours de carrière. De retour du Maroc, j’avais deux possibilités : aller à l’université ou dans la recherche. Un de mes codirecteurs de thèse, le Pr Sissao, m’a orienté vers la recherche. J’ai ainsi été accueilli au CNRST, au département des langues, linguistique. En 2020, je suis passé maitre de recherche ».

Pédagogie douce

C’est pendant ses recherches pour son mémoire qu’il rencontre le Larlé Naaba, chef coutumier et homme politique très engagé et bien connu au Burkina. C’est lui qui lui mettra le pied à l’étrier, côté politique. « Mon engagement politique s’est fait en côtoyant le Larlé Naaba avec qui j’ai beaucoup travaillé en matière de culture. Quand il se rendait à un meeting, je le suivais. Je l’écoutais parler, défendre ses idées. Cela a dû m’influencer un peu, au point que quand j’étais au Maroc, vers la fin de mon séjour, on m’a demandé de mettre en place une section du CDP, ce que j’ai fait. Je suis venu au dernier congrès où les Roch Kaboré et Simon Compaoré avaient été mis à l’écart du CDP. C’est moi-même qui avais lu la motion de remerciement au président Roch Kaboré. »

Son retour du Maroc coïncide avec la création du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP). « Quand les anciens caciques du CDP ont démissionné et ont voulu mettre en place le MPP, ils se sont retrouvés avec les représentants de 44 provinces. Aucun des députés du Namentenga n’a voulu démissionner pour les suivre. C’est à ce moment que le Larlé Naaba m’a proposé de me lancer. C’est ainsi que j’ai été le point focal de la création du MPP au Namentenga. J’ai parcouru toutes les communes pour mettre les structures en place, les animer au point que, à la campagne de 2015, je devrais même être le candidat. Mais nous avons préféré mettre d’autres. Roch Kaboré, qui était le président du parti à l’époque, m’a demandé de conduire la campagne. J’ai donc été directeur de campagne dans ma province, sans être candidat. Au plan national, nous sommes arrivés troisième province après le Ganzourgou et le Zandoma ».

En 2016, quand il est appelé à travailler aux côtés du chef de l’Etat comme conseiller, le natif du Namentenga hésite. « Je vous avoue que je n’étais pas très chaud. Je n’avais jamais rêvé de travailler à la présidence. Je ne savais pas exactement ce qui m’y attendait comme travail ». Il accepte cependant et qualifie son passage de quatre ans dans le saint des saints comme une très belle expérience car, à l’en croire, c’est là que vous vous rendez compte qu’entre une idée pour transformer la société et sa concrétisation, il y a un grand travail à abattre. Mais ce qu’il retient surtout, c’est la « méthode de pédagogie douce du président ».

D’après Patrice Kouraogo, Roch Marc Christian Kaboré n’est pas le genre de chef à engueuler un collaborateur parce qu’il a fait quelque chose qui n’est pas bien. « Il ne menace pas. Il te laisse faire ton expérience. C’est toi-même qui va tirer les conclusions. Il attire simplement ton attention sur certains points et te laisse faire ton expérience. J’ai appris cette façon de manager. Il ne manage pas avec le bâton, des sermons ni la carotte. Il ne distribue pas d’argents à ses collaborateurs. Ce qu’il t’apprend, c’est le travail, l’amour du travail bien fait et surtout la conscience. Il aime jouer dans les consciences. Il t’amène à te demander si toi-même tu es fier de ton travail. »

Roch Kaboré, un patron “facile”

Cette collaboration lui a permis d’engranger de l’expérience, soutient-il : « Le danger, quand vous êtes jeune et mis à ce genre de postes, est qu’il ne faut pas échouer. Sinon, vous refermez la porte pour les autres jeunes alors que, quoi qu’on dise, on n’est pas jeune éternellement. Et c’est la jeunesse qui va demain diriger ce pays. »

Avoir étroitement travaillé avec le chef de l’Etat est l’une des plus belles choses qui lui soient arrivées, estime Patrice Kouraogo. Surtout que, estime-t-il, M. Kaboré est un patron facile. « Il n’est pas dans les bavardages. Ce n’est pas la peine d’essayer de lui rapporter des ragots du genre untel à fait ceci, l’autre a dit cela… Avec lui, il ne faut surtout pas se mêler des choses qui ne te regardent pas. S’il te confie une mission, tu l’exécutes. Point. Tant que tu t’en tiens à ta mission, tu n’as aucun problème avec lui. »

Ce qui l’a marqué le plus chez le président du Faso, c’est sa simplicité. A en croire l’ancien conseiller, l’actuel locataire du palais de Kosyam est tellement humble au point que, parfois, il s’est demandé si c’est bien lui le président. Et de raconter cette anecdote qui l’a marqué : « Alors que les municipales approchaient, je suis allé chez lui. Je n’étais pas encore conseiller à la présidence. Je lui ai expliqué que je voulais battre campagne mais que je n’avais pas les spécimens du parti. Il a déposé ses portables, est allé sous un hall. Il y est resté pendant pratiquement 15 minutes à fouiller lui-même les cartons. Il a trouvé les spécimens, les a mis dans un sachet. Et puis il est venu tout couvert de sueur me les remettre. Cela peut vous sembler banal. Mais pour moi, un président du Faso qui laisse ses téléphones pour aller fouiller des cartons pendant 15 minutes au lieu de le faire faire par quelqu’un d’autre, cela montre son humilité. »

Elu député sous la bannière du MPP en 2020, Patrice Kouraogo fait l’option de venir siéger après échange avec le patron. Il se justifie : « C’est une nouvelle expérience. J’ai été conseiller pendant quatre ans. J’ai engrangé des expériences, mais du côté exécutif. Là, j’avais une chance de vivre une autre expérience côté peuple. J’ai voulu participer à la conception des lois, au contrôle de l’action gouvernementale. Je ne regrette pas d’être là. » Lire la suite

 

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