Claude Sahy Soumahoro : L’inattendu à la présidence de la République de Côte d’Ivoire

Claude Sahy Soumahoro : L’inattendu à la présidence de la République de Côte d’Ivoire
Claude Sahy Soumahoro : L’inattendu à la présidence de la République de Côte d’Ivoire

Africa-PressBurkina Faso. C’est un décret présidentiel publié le mardi 8 juin 2021 qui a nommé Claude Sahy Soumahoro au poste de chef de cabinet du président de la République de Côte d’Ivoire, Alassane D. Ouattara. Une information qui n’a pas manqué d’étonner les observateurs de la vie politique ivoirienne. Sahy Soumahoro n’est pas, pour l’instant, une tête d’affiche politique en Côte d’Ivoire mais ambitionne, semble-t-il, de le devenir. Plus encore, ce n’est pas un « technocrate » mais un « politique » dont le parcours s’inscrit totalement dans les méandres de la conjoncture ivoirienne depuis 2002. C’est un homme de convictions – et elles ne lui manquent pas – qui vient de loin, tout particulièrement du compagnonnage avec « IB », Ibrahim Coulibaly, « père de la rébellion ivoirienne » (exécuté en 2011), compagnonnage rompu avant de soutenir Laurent Gbagbo lors de la présidentielle 2010. Pour le reste, voici une douzaine d’années que Sahy Soumahoro se considère comme « l’une des personnalités politiques émergentes de la scène ivoirienne » (L’Inter du vendredi 15 octobre 2010 – entretien avec F.D. Bony). Est-ce à dire que, pour lui, l’émergence, c’est maintenant ?

Politologue et diplomate

A première vue, son CV est celui d’un « technocrate ». Rien de plus. Originaire de Biankouma, de l’autre côté des Monts du Toura, à une cinquantaine de kilomètres au Nord de Man, « capitale » de l’Ouest ivoirien, c’est tout naturellement au lycée moderne de Man que Claude Sahy Soumahoro a fait ses études secondaires sanctionnées, en 1989, par le bac. Il rejoindra ensuite l’Ecole normale supérieure (1989-1992) pour y décrocher une licence de lettres modernes.

En 1999-2000, il suivra les cours de l’Ecole supérieure de journalisme (ESJ) à Paris. Il s’inscrira ensuite, toujours à Paris, au Centre d’études diplomatiques et stratégiques (CEDS) ; le CEDS est animé par Pascal Chaigneau, particulièrement proche de l’ex-président du Faso, Blaise Compaoré (qui en a été fait docteur honoris causa). Le Burkina Faso est un fil rouge dans la vie de Sahy Soumahoro : en 2016, il a suivi à Ouagadougou le cours de master de l’Institut des sciences et techniques de la communication (Istic).

La vie professionnelle de Sahy Soumahoro est plus imprécise. On note qu’en janvier 2014, il rejoint le ministère de l’Intérieur et de la Sécurité en tant que directeur des Affaires politiques. Mais c’est déjà, largement, un quadragénaire. Son ministre n’est autre que Ahmed Bakayoko, ministre d’Etat, numéro un du gouvernement, lui aussi un « ancien » du Burkina Faso. Sahy Soumahoro sera en charge de la facilitation du dialogue républicain avec les formations politiques ivoiriennes, de la conception et du suivi du plan de redynamisation de la cohésion sociale, et apportera son expertise en action publique tout en assurant l’analyse de l’actualité sociopolitique nationale et internationale afin de formuler des propositions de stratégies « pertinentes ».

Il assurera ce job jusqu’en juin 2018. Il ne tardera pas à rejoindre le ministère des Affaires étrangères, où officiait désormais Marcel Amon-Tanoh, comme conseiller technique. Promu ambassadeur le 12 janvier 2019, il était jusqu’à présent directeur de cabinet adjoint au ministère de l’Administration du territoire et de la Décentralisation confié alors à Sidiki Diakité avec qui Sahi Soumahoro avait collaboré, déjà, quand Bakayoko avait quitté l’Intérieur pour la Défense.

Compagnon de route de « IB »

Sahy se revendique donc « politologue et diplomate ». Or, il est bien plus que cela. Son nom est depuis la « rébellion » de 2002 associé à celui de Ibrahim Coulibaly. Les deux hommes se sont rencontrés à Paris. Sahy Soumahoro deviendra le porte-parole de celui qui se faisait appeler « IB ». Pour autant, il dira n’avoir « pas été dans la rébellion ». Ajoutant : « Cependant, même si j’étais de la rébellion, la tendance actuelle est à l’apaisement, à la réconciliation, aux rapprochements et à la restauration de l’Etat » (L’Inter – cf. supra).

C’est que le partenariat avec « IB » sera devenu pesant. Les accords de Marcoussis n’auront pas permis de solutionner la crise ivoirienne. C’est le Burkina Faso qui, désormais, mènera la médiation. L’accord politique de Ouagadougou (4 mars 2007) va porter Guillaume Soro, ex-allié de « IB » devenu son ennemi personnel, à la primature sous la présidence de Laurent Gbagbo. Sahy Soumahoro va percevoir rapidement que les opérations militaires menées par « IB » n’ont mené nulle part et qu’il faut passer à une autre étape : le retour au politique. Avec « IB », il va fonder, dès le 6 juin 2006, l’Union nationale des Ivoiriens du renouveau (Unir) dont Sahy Soumahoro prendra la présidence.

Unir se voulait le parti de « la génération qui assumera plus tard des responsabilités à un niveau très élevé ». Le parti sera créé, aux dires de Sahy Soumahoro, avec « l’aide de certaines personnalités », notamment grâce à « certaines largesses » de Gbagbo qui entretiendra le dialogue avec Sahy Soumahoro. Sauf que « IB » n’a pas rompu avec ses habitudes « musclées » de « sergent rebelle » adepte des coups de force, réussis ou foireux. En marge de la 5è session du Cadre d’évaluation et d’accompagnement (CEA), qui se tenait le jeudi 10 juillet 2008 à Ouagadougou, Sahy Soumahoro va officialiser, lors d’une conférence de presse introduite par le colonel Gilbert Diendéré, chef d’état-major particulier du président Blaise Compaoré, sa « démarcation » avec « IB ». Le dialogue plutôt que la violence conformément à l’Accord politique de Ouagadougou. « Un parti n’est pas fait pour perpétrer des coups d’Etat » soulignera Sahy Soumahoro. Autrement dit : Soro plutôt que « IB ».

C’est encore à Ouagadougou que Sahy Soumahoro formalisera sa vision de la « crise ivoirienne ». Dans un entretien avec Antoine Battiono publié par le quotidien privé Le Pays (vendredi 2 octobre 2009)1. « La Côte d’Ivoire a été prise en otage par nos aînés politiques et l’échec du pays c’est la défaite d’une partie de ces derniers ». Tout débute, pour Sahy Soumahoro, en 1991, à la veille de la mort (annoncée) de Félix Houphouët-Boigny. Il y a là l’ancien Premier ministre, Alassane D. Ouattara, qui « supplée le chef de l’Etat en cas d’absence ».

Pour Sahy, c’est « l’héritier institutionnel ». Il y a aussi Henri Konan Bédié, président de l’Assemblée nationale, « qui assure l’intérim du président de la République en cas d’incapacité à assurer ses fonctions ou en cas de vacance ». Konan Bédié est donc « l’héritier constitutionnel ». Quand au général Robert Gueï, chef d’état-major, c’est le « gardien du temple ». Reste Laurent Gbagbo ; lui, c’est le « leader de l’opposition » dès lors qu’il a opposé sa candidature à celle de Houphouët-Boigny quand cela « a fait sourire au départ ».

Sauf qu’aucun des quatre n’aurait assumé son rôle, chacun étant « persuadé d’avoir un destin national » : « Ce sont donc ces aînés, dans leur volonté de se neutraliser, qui ont donc conduit le pays dans la situation où il est » conclura Sahy Soumahoro. Qui ajoutait par ailleurs : « On n’est peut-être pas d’accord avec Gbagbo, avec Bédié, avec Ouattara [Gueï ayant été assassiné en 2002], mais ils ont un profil politique ». Ce qui laisse entendre que ce n’est pas le cas de « IB » ou de Soro.

Leader politique, il soutient Gbagbo en 2010

Dans cette perspective, Claude Sahy Soumahoro va, le 22 août 2009, convoquer au palais de la culture d’Abidjan les cadres d’Unir. Pour prendre acte des « divergences de méthodes, d’objectifs et d’ambitions ». Unir, ou ce qu’il en reste, deviendra ainsi Espérance Côte d’Ivoire qui, dira Sahy Soumahoro, a « un projet de société, un programme de gouvernement, une vision pour la Côte d’Ivoire ». Espérance Côte d’Ivoire se voulait alors « un parti démocratique, socialiste et fédérateur », appartenant à la « gauche socialiste » tout en allant « au-delà des idéologies ». Le lâchage de « IB » par Sahy Soumahoro et les siens ne pouvait alors que satisfaire ceux qui, au sein du RDR d’Alassane D. Ouattara n’appréciaient pas la montée en puissance du sergent, « en l’occurrence, dira « IB », Amadou Gon Coulibaly, Amadou Soumahoro, Hamed Bakayoko ».

A la veille du premier tour de la présidentielle (31 octobre 2010), Espérance Côte d’Ivoire, affirmera son « soutien au candidat Laurent Gbagbo », le chef de l’Etat sortant étant considéré comme « la seule personnalité qui permettra à cette jeunesse que nous constituons d’émerger ». « Allons aux élections pour confirmer le président Gbagbo, mais surtout permettre à une nouvelle classe politique d’émerger sereinement à l’intérieur des différents partis politiques afin que des idées nouvelles naissent et fassent avance la Côte d’Ivoire. Notre génération n’est pas une génération d’héritiers, mais une génération de bâtisseurs ».

Une ambition nationale portée par un idéal à atteindre

Amadou Gon Coulibaly va mourir le 8 juillet 2020. Il était Premier ministre et candidat désigné du RHDP à la présidentielle 2020. Ahmed Bakayoko, qui avait pris sa suite, mourra le 10 mars 2021. L’un et l’autre représentaient la nouvelle « génération de bâtisseurs » que Claude Sahy Soumahoro ne cessait d’appeler de ses vœux. L’ex-compagnon de « IB », « sergent rebelle », l’ex-leader de l’Unir puis de l’Espérance, le « politologue et diplomate » qu’a été Sahy Soumahoro va revenir à ses fondamentaux : sa proximité avec le pasteur Thomas Kouassi de l’Eglise protestante baptiste. Sahy Soumahoro avait trouvé auprès de lui, à la fin des années 1980, le réconfort spirituel nécessaire lors de la mort de son frère aîné, Philippe, alors qu’il était en terminale au lycée de Man.

La mort de Gon Coulibaly (avant celle de Bakayoko) va le conduire à trouver dans la spiritualité les réponses aux questions qui ne sont pas du ressort de la science politique. Il consacrera son blog et ses interventions sur les réseaux sociaux à la « tolérance » qui doit « nous aider à bâtir une Côte d’Ivoire plurielle » dans la perspective d’un « pacte social » qui soit un « nouveau pacte républicain ». « La seule et vraie raison de notre présence sur terre est de laisser manifester la magnificence de Dieu en nous et autour de nous », écrira-t-il, ajoutant : « J’ai du mal à comprendre [que les hommes] ne comprennent pas que si Dieu est « Tout en Tout », il n’est pas possible qu’il y ait des choses qui ne soient pas Dieu ».

Loin de « l’orgueil, de la suffisance, de la vanité, de la méchanceté, de l’hypocrisie », l’homme doit découvrir son « désert intérieur », celui qui résulte de sa « course après la célébrité », « la reconnaissance des autres », « l’avidité de la réussite sociale ». De cette longue réflexion spirituelle, il en tirera la conclusion que « toute ambition qui n’est pas portée par un idéal est simple désir de gloire personnelle ». Il faut donc que celui qui est « convaincu d’avoir un destin national » se « forge un idéal à atteindre plutôt qu’une ambition à poursuivre ».

Il en veut pour preuve, écrira-t-il, Denis Mukwege, Joseph Cugnot, Thomas Edison, Ray Tomlisson, Tim Berners, Jelly Roll Morton, Bob Marley, Amadeus Mozart, Leonard de Vinci, Aimé Césaire, Pelé, Nelson Mandela, Félix Houphouët-Boigny, Mère Teresa de Calcutta…

Claude Sahy Soumahoro est aujourd’hui le chef de cabinet du président Alassane D. Ouattara. Et peut désormais rêver d’un destin national porté par un idéal. La génération émergente, c’est lui désormais ; et il a quelques années devant lui pour gravir les marches du pouvoir !

1 Claude Sahy reformulera cette vision de la crise ivoirienne dans son entretien avec L’Inter (déjà évoqué) publié le vendredi 15 octobre 2010.

 

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