Africa-Press – Burkina Faso. Elle ressemble à un bonnet de bain géant pour certains, à une soucoupe volante pour d’autres. La capsule Nyx trône au milieu d’un hangar stérile, dans la banlieue de Munich en Allemagne. Au mois de juin 2025, le véhicule cargo prendra place sur une fusée Falcon 9 de SpaceX et sera envoyée en orbite basse pour la première fois. Avec sa capsule Nyx, autonome, modulaire et durable, la start-up franco-allemande The Exploration Company veut proposer une solution de « fret spatial. » Un véhicule cargo capable d’envoyer du matériel en orbite terrestre basse, vers la Lune et peut-être au-delà. Et surtout, de renvoyer du matériel sur Terre, avant de pouvoir réutiliser la même capsule jusqu’à dix fois. Pour le moment, l’Europe dépend de SpaceX, avec sa capsule Dragon.
Mais avec Nyx, The Exploration Company espère pouvoir adapter son véhicule à différents types de mission, du transport de matériel au ravitaillement de stations spatiales, en passant par des expériences scientifiques. Avec 4.000 kg de charge utile maximale, un volume pressurisé de 20 mètres cubes, Nyx pourra rester jusqu’à 6 mois en orbite avant de revenir sur Terre, chargé jusqu’à trois tonnes de matériel à ramener. La première mission orbitale pour Nyx, prévue pour le mois de juin, doit d’abord montrer qu’elle est bien capable de voyager dans l’atmosphère. « Il s’agit de tester le bouclier thermique pour survivre aux températures extrêmes, jusqu’à 3 000 °C générées par la friction de l’atmosphère, les parachutes et amerrir en toute sécurité », nous explique Victor Maier, le responsable des affaires pour l’Allemagne et l’Europe centrale chez The Exploration Company.
Au moment de notre reportage, l’équipe d’ingénieurs s’affaire autour du véhicule, au milieu d’une salle stérile. Un endroit dans lequel ne pénètrent que ceux autorisés à travailler sur les derniers réglages. Pas de photo, pas de vidéo, pas de nourriture ni de boissons. Rien ne doit venir perturber la minutie autour du prototype. En blouse blanche, surchaussures aux pieds et charlotte sur la tête, une vingtaine d’ingénieurs fourmillent dans le grand hangar immaculé. Certains pianotent sur des rangées d’ordinateurs, d’autres inspectent scrupuleusement la capsule, en enjambant avec une infinie précaution les câbles scotchés au sol.
Deux orbites et demi avant de rentrer sur Terre
Nyx est déjà toute parée de son enveloppe de liège ignifuge de plusieurs centimètres, utilisé dans l’ingénierie spatiale, afin de repousser le feu. La chaleur doit monter jusqu’à 3000°C sur le haut de la capsule, si bien que dès 3,5 centimètres d’épaisseur de liège qui recouvrent la surface de Nyx, l’équipe ne s’attend à retrouver que 3,5 millimètres. La capsule est pour le moment posée « à l’envers », sur l’embouchure qui lui permettra, plus tard, de s’arrimer à n’importe quel vaisseau. Un détail sur lequel l’équipe n’a pas eu besoin de s’attarder pour ce vol, puisqu’il s’agit « seulement » de vérifier que Nyx parvient bien à emmener du matériel en basse altitude et à revenir sur Terre en toute sécurité. A certains endroits stratégiques se trouvent du carrelage en céramique. « Ce sont les endroits qui peuvent devenir particulièrement chauds, à proximité des propulseurs. Ou des zones cruciales derrière lesquelles se trouve par exemple des puces électroniques », explique Victor Maier. Impossible de mettre du carrelage en céramique partout. Pour des raisons de coût – le liège est moins cher – mais aussi de poids, le liège étant bien plus léger. « Il a fallu faire des choix ! », résume Victor Maier.
Nyx doit rester dans les airs entre 400 et 600 kilomètres, le temps de réaliser deux orbites et demi de notre planète. A proximité de la base, une petite ouverture est destinée à laisser passer une caméra, chargée de se repérer dans le ciel grâce aux étoiles. « Le système est le même que lorsqu’on naviguait en regardant le ciel », commente Victor Maier. Juste à côté, une ouverture laissera passer le bateau gonflable sur lequel Nyx doit voguer le temps que l’équipe de The Exploration Company vienne la chercher sur l’eau. Nyx doit toucher l’eau quelque part entre Hawaï et l’Alaska. Un premier petit parachute doit permettre à une boîte noire équipée d’un GPS d’être sécurisée, « afin de récupérer toutes les données du véhicule même en cas de problème sur le retour, comme dans les avions. » Puis le parachute classique emmènera tout le reste de l’embarcation avec plus ou moins de douceur jusqu’à nous. « Il nous faudra ensuite cinq jours en mer pour aller chercher la charge utile revenue sur Terre, quelque part dans le Pacifique. Car une fois que la capsule revient dans l’atmosphère, c’est le vent qui dirigera sa trajectoire. Nous n’avons plus la main dessus », explique Victor Maier.
Du shampoing et du whisky en microgravité
La mission embarquera 300 kilogrammes de charge utile, provenant d’expériences à tester en microgravité, dont 160 kilogrammes d’expériences menées par l’Agence spatiale allemande (DLR). « Sur Terre, les protéines cristallisent sous l’effet de la gravité, ce qui perturbe souvent leur formation, provoquant des défauts. En microgravité, l’absence de convection et de sédimentation permet aux protéines de cristalliser plus lentement et plus parfaitement. Avec un module comme Nyx, les échantillons peuvent être rapidement récupérés et ramenés sur Terre, bien plus vite que lors d’expériences dans la Station spatiale internationale (ISS). Aujourd’hui, on peut obtenir quelques secondes de microgravité avec la Bremen Drop Tower par exemple, une tour pensée pour mener des expériences. Mais nous voulons proposer quelque chose entre les deux, ni quelques secondes ni plusieurs mois comme sur l’ISS », explique Victor Maier. Parmi les entreprises ayant signé pour le vol de juin figurent des compagnies pharmaceutiques, une entreprise de cosmétique spécialisée dans les shampoings, une start-up avec l’ambition de créer un rover lunaire qui veut tester sa mécanique en microgravité et même des producteurs de whisky curieux de faire vieillir leur alcool dans l’espace.
« Qu’est-ce qui se passe si ça ne marche pas, si on n’arrive pas à atteindre le bon angle pour entamer le retour sur Terre ? Tous les pires scénarios sont testés ici. » Pour revenir sur Terre, Nyx devra tout faire toute seule. La capsule n’est pas télécommandée depuis la base spatiale de Vandenberg en Californie. Tous les cas de figure ont été encodés dans le système interne, afin qu’elle retrouve son chemin toute seule, après deux heures et demie en orbite autour de la Terre.
Plusieurs semaines déjà avant le décollage, la tension monte au sein des équipes. Le 9 juillet 2024, un premier vol test a eu lieu pour Nyx Bikini, une version « réduite » de la capsule, mesurant 60 centimètres de diamètre et pesant environ 40 kilos. Dépourvue de charge utile, cette version de la capsule était destinée à détacher la capsule de l’étage supérieur de la fusée à une vitesse d’environ 28.800 km/h, pour qu’elle effectue une rentrée atmosphérique contrôlée et amerrisse dans l’océan. Mais une anomalie à l’ignition de l’étage supérieur a empêché la libération de Nyx. Depuis, la capsule est toujours attachée à l’étage supérieur et n’est pas rentrée dans l’atmosphère comme prévu.
Un premier voyage jusqu’aux Etats-Unis
La capsule démarre son voyage vers la Californie aujourd’hui. Elle va d’abord être chargée dans un conteneur blanc, floqué au logo de The Exploration Company, entreposé sur le parking de la start-up. C’est là-dedans qu’elle va être envoyée en France, à Lyon, par camion. Là, elle poursuivra son chemin jusqu’à Luxembourg, où elle va être chargée dans un avion spécifiquement dédié au transport de marchandises de ce type, jusqu’à Los Angeles. De là, elle rejoindra la base militaire de Vandenburg, près de Santa Barbara en Californie.
C’est aux Etats-Unis, la deuxième base spatiale avec Cap Canaveral en Floride, à l’autre bout du pays. Les équipes de SpaceX les attendent. Avec ses 138 vols annuels en 2024, la compagnie spatiale d’Elon Musk est devenue incontournable, comparé aux 5 vols par an d’Ariane 6, et est naturellement devenue le partenaire de The Exploration Company. Quinze personnes de la start-up, spécialisées dans l’électronique et la mécanique, seront également sur place pour le lancement. Ce sont elles qui s’occupent des derniers réglages avant le lancement, comme alimenter les batteries. « Nyx ne sera scellée qu’une fois sur place. En cause, deux gaz, l’oxygène liquide et le biométhane, qui seront livrés en même temps et inséré dans la capsule au dernier moment afin de réduire les risques de sécurité durant le transport. » Pour s’envoler dans l’espace, Nyx va être encapsulée dans la coiffe de la fusée Falcon 9. Elle sera fixée au sommet du lanceur. Après le décollage, à environ 100 kilomètres d’altitude, la coiffe s’ouvre et est éjectée. A 500 kilomètres d’altitude, Nyx sera séparée de l’étage supérieur de la fusée et placée sur son orbite basse.
L’équipe de 130 personnes a beau être surexcitée, elle se concentre déjà sur les prochains projets de la start-up: un véhicule de fret spécialement conçu pour le ravitaillement de l’ISS, commandé par l’Agence spatiale européenne (ESA). The Exploration Company a été sélectionné par l’ESA pour être son fournisseur officiel. Cette dernière a abandonné son propre programme, appelé ATV (pour « Automated Transfer Vehicule »), qui devait ravitailler la Station spatiale internationale. « Thalès était numéro 2 et Airbus n’a pas été sélectionné », détaille le responsable. Seule dans son domaine, la start-up travaille déjà sur le prochain véhicule de fret pour une mission de l’ISS, prévue pour 2028. Cinq autres missions commerciales ont déjà été vendues, avec Axiom Space, Starlab ou encore Vaast, des acteurs émergents, avec pour ambition d’établir des stations spatiales commerciales ou des services orbitaux.
The Exploration Company a vite gagné le surnom de « SpaceX européen. » Un surnom que l’entreprise ne boude pas, même si elle « préfère d’abord prouver son sérieux avant de faire trop de bruit. » Le paysage spatial doit drastiquement changer dans les années à venir, avec le démantèlement de l’ISS dès 2030: l’Inde, les Etats-Unis, le Japon, la Chine, la Russie, tous ont pour ambition d’avoir leur propre station spatiale. Des opportunités auxquelles The Exploration Company espère participer et s’installer définitivement comme la référence du fret spatial en Europe.
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