Africa-Press – Burkina Faso. C’est le tout premier élément dans le tableau de Mendeleïev, le plus léger, celui qui est apparu immédiatement après le Big Bang et qui constitue encore les immenses nuages de gaz qui parsèment l’Univers et où se forment les étoiles. Sur Terre, il est partout: avec l’oxygène, l’hydrogène constitue l’eau (H2O) et se lie à de très nombreuses molécules. Et la planète en produit naturellement, en raison de l’oxydation de roches volcaniques, notamment au fond des océans, ou encore par l’effet de la radioactivité qui casse les molécules d’eau. C’est l’hydrogène dit « blanc « .
Mais sa forme gazeuse composée de deux atomes (dihydrogène, H2), celle qui intéresse les industriels, est rare dans la nature. Un seul petit gisement, au Mali, est actuellement exploité. En France, plusieurs permis de recherche ont été déposés, mais l’évaluation des stocks réellement disponibles fait débat. L’impact environnemental de son extraction et de sa purification reste aussi à déterminer. C’est pourquoi on doit pour l’instant le fabriquer, en grandes quantités, notamment à partir de gaz naturel, pour de multiples usages: raffinage des produits pétroliers, synthèse de l’ammoniac destiné à l’industrie des engrais par exemple. « Cet hydrogène est très carboné. Pour en produire 1 kg, on émet 11 kg de CO2 », explique Luc Bodineau, coordinateur du programme hydrogène à l’Ademe. Parfois qualifié de « gris », cet hydrogène industriel devient « bleu » lorsque le CO2 émis lors de sa production est capté, avec à la clé un bilan carbone un peu meilleur.
Mais ce qui mobilise aujourd’hui les scientifiques et les industriels, c’est l’hydrogène complètement décarboné (« vert »). Car l’hydrogène est une source d’énergie. Injecté à très forte pression avec de l’oxygène dans une chambre de combustion, il permet par exemple de propulser les moteurs principaux de la fusée Ariane 6. Il en existe cependant une application plus courante: la pile à combustible, qui produit de l’électricité à partir d’hydrogène, mis là encore en contact avec de l’oxygène, le plus souvent celui de l’air, et qui n’émet que de la vapeur d’eau. Idéal sur le papier.
De toutes tailles, elles sont capables d’alimenter des usines, des trains, et même certains taxis à Paris. La filière peine toutefois à émerger, du fait d’une demande encore trop faible. Une nouvelle réglementation, plus stricte, sur les émissions de gaz à effet de serre devrait la stimuler. Mais cela ne suffira pas: pour espérer un jour utiliser massivement l’hydrogène, la recherche doit relever trois défis techniques majeurs.
1/ Produire de l’hydrogène « vert » à grande échelle
L’électricité produite par les panneaux solaires ou les éoliennes est intermittente. Quant à la production nucléaire, elle est parfois en décalage par rapport à la demande. Que fait-on de l’électricité en excès ? On la stocke dans des batteries, on l’utilise pour pomper de l’eau qui fera tourner des turbines hydroélectriques. Ou encore on l’emploie à fabriquer de l’hydrogène, par électrolyse: dans un réservoir d’eau, on plonge deux électrodes et on applique un courant électrique. « Les électrons viennent casser la molécule d’eau, ce qui donne du dihydrogène et du dioxygène », explique Christophe Turpin, responsable des activités hydrogène du laboratoire Laplace (Toulouse). Ce centre cherche à améliorer électrolyseurs et piles à combustible.
L’électrolyseur a été conçu en 1800 par les Britanniques William Nicholson et Anthony Carlisle. En plongeant dans l’eau (« l’électrolyte ») deux fils de cuivre reliés aux deux bornes d’une pile (les « électrodes »), ils ont observé un dégagement de fines bulles: de l’hydrogène. Mais ce procédé, l' »électrolyse alcaline », a un défaut notable: l’électrolyseur met longtemps à atteindre son plein régime. Il est donc peu adapté à une électricité intermittente.
C’est pourquoi les scientifiques s’attachent à développer une autre technologie la membrane échangeuse de protons (MEP). Constituée d’un polymère, elle joue le rôle d’électrolyte et sépare l’hydrogène et l’oxygène. Avantage considérable: un régime de croisière très vite atteint. En 2021, la société Air Liquide a installé au Québec un site basé sur cette technologie. Il produit plus de 8 tonnes d’hydrogène par jour, à partir d’électricité hydroélectrique. Une autre technologie d’électrolyseur, dite à « oxyde solide », fonctionne quant à elle à haute température (600 à 800 °C). Elle valorise la chaleur inutilisée dégagée lors de processus industriels. Mais des problèmes demeurent.
« L’électricité fournie par les sources d’énergie renouvelables comme les éoliennes n’arrive pas de manière régulière. Cela accélère le vieillissement des électrolyseurs. Nous travaillons à lisser la puissance électrique, par exemple en utilisant une batterie qui absorbe les pointes de production et redonne cette électricité à l’électrolyseur quand il y a sous-production, explique le chercheur. Un autre enjeu important est la performance et la durée de vie des systèmes auxiliaires, comme les pompes qui font circuler l’eau et captent l’hydrogène et l’oxygène. »
Enfin, les électrodes sont constituées de platine ou d’iridium, qui servent de catalyseurs dans la réaction d’hydrolyse. Des métaux coûteux, dont l’approvisionnement constitue un enjeu stratégique. « On cherche à réduire la quantité d’iridium, qui reste encore le catalyseur de référence pour l’électrode positive de l’électrolyseur MEP » , souligne Christophe Turpin. Il est essentiel de développer le recyclage, voire de s’affranchir de ces matériaux. L’électrolyseur AEM, développé par la start-up allemande Enapter, pourrait apporter une solution, car, sans métaux précieux, il combine électrolyse alcaline et technologie MEP.
2/ Stocker efficacement et en toute sécurité
Un litre d’hydrogène gazeux représente, à température et pression ambiantes, une masse de 83 mg à peine. Pour en stocker ne serait-ce que 5 kg, il faudrait un ballon de 5 mètres de diamètre. C’est pourquoi les rares stations-service qui proposent à leurs clients de l’hydrogène le délivrent sous forme fortement comprimée, à près de 800 bars de pression.
Mais cette petite molécule a une autre faculté: celle de se glisser partout. « Les réservoirs des véhicules doivent être à la fois résistants et étanches. C’est pour cela qu’ils sont multicouches », explique Fermin Cuevas, chercheur à l’Institut de chimie et des matériaux Paris-Est (ICMPE). Une couche de matériau polymère assure l’imperméabilité, tandis qu’une autre, de fibre de carbone mélangée à de la résine époxy, apporte la rigidité.
Il faut compter 50 kg de fibre de carbone (à 30 euros le kg) pour un réservoir standard de 120 litres, soit près de 1.500 euros, et rajouter une somme équivalente pour la fabrication. Quant au remplissage du contenant, il revient à près de 3 euros le kg d’hydrogène… « Comprimer mécaniquement à 700 bars nécessite l’équivalent de 15 % de l’énergie que peut fournir l’hydrogène », précise Fermin Cuevas.
Autre problème: ce gaz s’enflamme facilement et brûle rapidement. Prévenir toute fuite exige une maintenance rigoureuse des systèmes de remplissage et de leurs jonctions (vannes, joints). Une solution serait de porter l’hydrogène à l’état liquide. Mais il faudrait le refroidir considérablement, puisque son point d’ébullition (sous forme de dihydrogène) se situe à – 252,8 °C. Un procédé réservé au spatial.
C’est pourquoi les recherches se portent sur de nouveaux modes de stockage. « Certains matériaux peuvent absorber l’hydrogène puis le libérer. Et ce, à température ambiante et pression modérée », souligne Fermin Cuevas. Son équipe étudie des matériaux métalliques formés de combinaisons d’éléments chimiques en différentes proportions. Le gaz (sous forme de dihydrogène), mis sous pression à 10 bars, se dissocie en atomes d’hydrogène qui s’insèrent spontanément dans le matériau. Lorsqu’on relâche la pression, aux alentours de 2 bars, l’hydrogène est libéré. Le gaz se reforme et va alimenter par exemple une pile à combustible.
Un démonstrateur de 50 kg a été développé dans le cadre du projet européen HyCare. L’expérience a pris fin en 2023, mais les recherches se poursuivent en France (programme Solhyd). Certaines équipes explorent d’autres pistes, comme l’ammoniac ou les LOHC, molécules organiques liquides, également capables de capter et de relâcher l’hydrogène.
3/ Utiliser durablement les piles à combustible
Une pile à combustible c’est, schématiquement, un électrolyseur utilisé à l’envers. Cette fois, on apporte l’hydrogène vers une électrode, et de l’air (contenant de l’oxygène) vers l’autre électrode. Résultat: l’hydrogène se dissocie en un flux d’électrons, qui est capté, et de protons (H+), qui vont se combiner avec l’oxygène de l’air pour former de l’eau, le tout assorti d’un dégagement de chaleur.
Les premières piles ont été mises au point au début du 19e siècle. Mais le succès du moteur à pétrole les a éclipsées. Les technologies récentes ont relancé leur intérêt. Il en existe de toutes les tailles. Les plus grandes, basées sur la technologie dite à oxyde solide, sont statiques et alimentent en électricité des sites industriels ou parfois des immeubles, comme au Japon. D’autres, plus petites, dotées d’une membrane échangeuse de protons (PEMFC), équipent des véhicules légers, telle la Toyota Mirai, lancée en 2014. Annoncée aujourd’hui à partir de 73.000 euros sur le site français de Toyota, sa diffusion reste confidentielle. La Hyundai ix35, sa contemporaine, et plus récemment une Peugeot Expert à hydrogène, sont exploitées notamment par la société de taxis Hype à Paris.
« L’enjeu est de passer des véhicules individuels, avec des piles qui peuvent fonctionner quelques milliers d’heures, à des transports lourds opérant pendant des dizaines de milliers d’heures » , soulignent Sylvie Escribano et Fabrice Micoud, ingénieurs-chercheurs au CEA au sein du laboratoire Liten à Grenoble, où l’on étudie les piles à combustible, de l’échelle atomique des matériaux qui les constituent à celle du système complet.
En matière de transports lourds, un TER à hydrogène est annoncé pour 2026. Il circulera dans les régions Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Grand Est et Occitanie alors que les trains du groupe français Alstom circulent déjà en Allemagne depuis 2022. Il s’agit de trains bi-mode, qui peuvent s’alimenter en électricité via les caténaires ou en hydrogène quand les lignes ne sont pas électrifiées, ce qui permet de remplacer les polluantes locomotives diesel.
Ces moyens de transport arrivent lentement sur le marché, l’objectif restant d’améliorer les performances et la longévité, mais aussi de réduire les coûts. « Il faut maîtriser les conditions de fonctionnement dans les systèmes et les matériaux. Par exemple, dans les piles, nous étudions la couche active, là où se passent les réactions électrochimiques. Les particules de platine qui servent de catalyseur sont déposées sur une structure de carbone. Il faut faire en sorte que les protons et les gaz réactifs y accèdent le mieux possible. Nous cherchons à développer les meilleurs matériaux et à maîtriser les procédés de fabrication », précisent les scientifiques.
Le coût des matériaux reste un obstacle majeur. Pour une seule pile, il faut compter de quelques dizaines à une centaine de grammes de platine… à 29.000 euros le kilo. Et la membrane est facturée plusieurs centaines d’euros le mètre carré. Sachant qu’une pile, comme un électrolyseur, est constituée d’un « stack » un empilement de nombreuses couches, chacune constituée des électrodes et d’une membrane.
Une véritable filière de recyclage de ces piles devra se mettre en place. « Dans les facteurs limitant l’innovation technique aujourd’hui, il y a aussi le manque de retour d’expérience, en particulier sur la durabilité à long terme des systèmes PEMFC », concluent Fabrice Micoud et Sylvie Escribano.
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