Emery Sun : le dernier des Mohicans

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Emery Sun : le dernier des Mohicans
Emery Sun : le dernier des Mohicans

Africa-Press – Burundi. Ce 25 mars 2023, Emery Sun a remporté la 11e édition d’Isanganiro Award grâce à sa chanson Tagata. Enfin, une reconnaissance pour cet artiste qui ne colle pas aux normes actuelles du Buja Fleva : un des derniers à préférer les lyrics bien mielleux à l’apologie, courante, du sexe dans les chansons.

Et pourtant, elle avait de sérieux concurrents, Tagata d’Emery Sun : l’excellent Body de D-One, Madamu de Drama T (sans doute le hit de l’année 2022) et Omega du groupe Victorious Team étaient dans la course.

Mais c’est Emery « Soleil » (Sun) qui a été récompensé. Qui l’aurait cru ? Pas moi, en tout cas. Face à Madame sur laquelle tous les ados (et adultes) de Buja se déhanchent et qui atteint les cinq millions de vues sur Youtube ; il était difficile de croire qu’une chanson, d’un ingénieur civil (l’autre profession d’Emery Sun), dont les paroles relatent le chemin chaotique vers le succès ; allait dépasser toutes les dix-neuf autres chansons dont la majorité n’est que des sonorités copier-coller dont « on peut deviner l’agacement du beat » comme aime dire un collègue.

Tagata a devancé ces chansons qui mettent en avant le ngidisme (de ngidi : jargon swahili qui désigne les fesses) ou le nyashisme ( de nyash : jargon originaire du Nigéria qui désigne les fesses bien blotties d’une femme) : ce type de chansons qui font l’apologie du derrière d’une femme, ont pignon sur rue sous prétexte que « maintenant le sexe, ça vend ! ».

Mais la discographie d’Emery Sun échappe encore à ce mouvement. Pour le bonheur des vrais mélomanes.

Emery Sun : l’ingénieur des mots Écouter les chansons d’Emery Sun, c’est d’abord apprécier sa voix. Douce et un peu aiguë, elle rappelle les chanteurs RnB des années 2000. Emery Sun, ce sont aussi des paroles. Des paroles qui ont un sens. Une signification. Elles parlent. Elles chuchotent un message : « Abisi buzuye uburyarya, amashari n’inzigo ni vyinshi, uteye imbere birabanka, bagashaka kupfa » ( « Les hommes sont remplis de haine et d’envie. Lorsque tu atteins le succès, ça leur fait mal, au point où ils te souhaitent la mort ») ; chante ainsi dans Indyarya. Dans Tagata, récompensé par Isanganiro Award, il chante :« Hari abavuze ngo ntaco uzovamwo, bakubonamwo uruhombo. None uno musi uri igihange, wicarana n’abahangange » ( « Ils ont dit que tu ne seras rien dans le futur, mais aujourd’hui, tu es riche, tu t’assois parmi les puissants »).

Et ce n’est pas la dextérité des paroles dans les chansons de Emery Sun qui le rendent unique. Il y a aussi la maîtrise des mélodies. Sa voix surfe sur le beat tel un surfeur pro sur les vagues californiennes.

On peut se demander pourquoi il n’est jamais cité parmi les grands chanteurs nationaux, M.Sun. Eh bien, l’industrie musicale actuelle demande aux chanteurs de devenir des influenceurs aussi : les lives Instagram grouillent entre les chanteurs du Buja Fleva, les interviews du type « une journée dans la vie de » qui sont uploadés sur Youtube (par des youtubeurs soumis à la quête des views) ou des challenges pour faire la promo d’une chanson ; tout cela semble échapper à Emery Sun, peut-être préoccupé plus par son métier d’ingénieur que par le gloubi-boulga des réseaux sociaux.

Heureusement qu’il y a Isanganiro Award pour récompenser l’excellence, le génie, le vrai talent et pas les phénomènes des réseaux sociaux. Je suis persuadé que pour cette 11e édition année, si le jury d’Isanganiro Award n’était pas très expérimenté, une chanson ngidienne allait la remporter.

Comme dans le roman Le dernier des Mohicans de James Fenimore Cooper, dans lequel est décrite la disparition totale des Mohicans et de leur mode de vie et qui est à l’origine de l’expression française « le dernier des Mohicans », désignant « un être en voie de disparition », Emery Sun est un dernier Mohican dans le Buja Fleva actuel. Il est un des derniers à préférer ni le beat ni la b*te dans ses chansons, mais aime concocter avec amour les lyrics pour le bonheur de nos oreilles.

À Emery Sun de continuer à nous éclairer !

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