COP27 : “Les pays du Nord se détournent de leur responsabilité historique en terme d’émissions”

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COP27 : "Les pays du Nord se détournent de leur responsabilité historique en terme d'émissions"

Africa-Press – Burundi. L’Afrique est aux premières loges des effets climatiques liés au réchauffement de la planète. Pourtant, le continent est responsable de moins de 3% des émissions globales de gaz à effet de serre. Alpha Oumar Kaloga, négociateur pour le Groupe Afrique et porte-parole pour les « pertes et dommages » à la COP 27 nous explique les enjeux et les engagements attendus de la part des pays du Nord, pollueurs historiques, vis-à-vis du continent africain.

Le continent africain a décidé de parler d’une seule et même voix à cette COP27. Pourquoi est-ce important ?

Alpha Oumar Kaloga, négociateur pour le Groupe Afrique et porte-parole pour les « pertes et dommages » à la COP 27 : Cela fait déjà des années que le continent parle d’une seule voix. C’était d’autant plus important à cette occasion car la COP se déroule en Afrique. Le groupe africain a eu beaucoup de réunions préparatoires pour s’assurer que les positions que nous allions proposer étaient les plus ambitieuses possible pour le continent.

43 pays africains font partie des pays les moins avancés (PMA). Nous sommes des pays en transition, des pays émergents. Dans un sens d’unité et de panafricanisme, nous devons arriver à concilier nos différentes positions dans l’intérêt de nos populations.

Quelles sont les enjeux du groupe Afrique à cette COP ?

Alpha Oumar Kaloga : Le premier enjeu était la reconnaissance du cas spécial de l’Afrique, notamment en parlant de financements adaptés pour faire face aux défis climatiques. Nous avons dû aborder le programme du travail d’atténuation des effets climatiques pour lequel les pays développés s’étaient engagés à apporter une contribution. Seulement une vingtaine de pays l’a fait.

On avait aussi la question de l’agenda de cette adaptation. À Glasgow, les pays développés avaient promis de doubler leur soutien. On a vu cette année que seulement un tiers de ces engagements avaient été remplis. C’est un réel enjeu pour nous que d’identifier les leviers auxquels nous pouvons faire appel.

Vous êtes le porte-parole pour les « pertes et dommages ». Pourquoi est-ce devenu un enjeu central pour le continent ?

Alpha Oumar Kaloga : Les pertes et dommages sont une réalité quotidienne dans nos pays. À l’échelle du continent, nous avons subi plus de huit évènements extrêmes météorologiques avec des incidences économiques qui auront des répercussions sur des dizaines d’années. Nous rencontrons aussi des problèmes d’aspect financier et fiscal qui nous empêchent de répondre à ces événements climatiques.

Les pertes et dommages sont donc désormais centrales parce que nous n’avons pas été assez ambitieux dans la mise en oeuvre de l’atténuation des effets climatiques en amont. Nous atteignons les limites de ce qu’on appelle “l’adaptation”. Les impacts résiduels deviennent de plus en plus importants de par le monde.

Par ailleiurs, nous avons longtemps attribué ces pertes et dommages aux pays insulaires mais elles sont aussi très concrètes en Afrique. Les préjudices liés au réchauffement sont d’ailleurs entrain de décimer des années d’avancées en terme de développement. Un vieil hotel submergé par la montée des eaux au lac Baringo à Kampi ya Samaki, au Kenya on Wednesday, le 20 juillet 2022.AP/Brian Inganga

Les négociations sur les pertes et dommages ont déjà eu lieu. Comment se sont-elles déroulées ?

Alpha Oumar Kaloga : Les pays du Nord ont utilisé tout une rhétorique rassurante en disant qu’ils comprenaient et souscrivaient aux demandes des pays africains. Mais en réalité, ces discussions sont conditionnées. Les arrangements institutionnels sont déjà discutés. La pertinence de la discussion est donc limitée. Les sujets des compensations et des poursuites judiciaires ont été exclus de la discussion.

Il n’y a donc eu aucun engagement de la part des pays riches pour soutenir les pays du Sud ?

Alpha Oumar Kaloga : Non, aucun engagement. Ils nous ont annoncé qu’ils étaient en train d’explorer des sources de financements innovants, mais nous, nous comprenons cela comme une détournement de la prise de responsabilité historique des pays du Nord en terme d’émissions.

La majeure partie des financements que l’on nous propose sont des prêts et mobilise le secteur privé. Or, il a été démontré que la question de la mobilisation des 100 milliards ne pourra pas être résolue de manière privée. (NDLR : En 2009, à Copenhague, les pays développés se sont mis d’accord sur 100 milliards par an pour résoudre la question de la justice climatique)

Quand il a fallu financer des guerres, on a trouvé les ressources . Quand il a fallu faire face à la pandémie, on a trouvé les ressources. Cet esprit de discrédit rend la discussion difficile. Nous ne pouvons pas atteindre le niveau de développement des pays développés en suivant le “business as usual”. Nous devons trouver un soutien pour entamer un développement sobre en carbone, mais pour l’instant personne n’est prêt à nous assister. Chargement du lecteur…

Le recours à la voie judiciaire est-il une option envisagée pour traiter la question climatique

Alpha Oumar Kaloga : Il y a déjà des programmes pilotes qui tente déjà de structurer cette possibilité. C’est en effet une option qui reste sur la table. Pourquoi ? On parle beaucoup des pertes économiques. Mais les personnes déplacées, qui va s’en occuper ?

Sur les côtes en Guinée par exemple, nous perdons des villages mais nous perdons aussi une connexion avec nos ancêtres, nous perdons nos cimetières. Nos terres qui étaient jadis fertiles, ne sont plus productibles à cause de la mer qui désormais s’infiltre. Ces problématiques sont irréversibles. La compensation n’est qu’un élément pour atténuer les impacts mais ce n’est pas la solution ultime. On ne peut pas compenser une vie humaine.

Et je ne pense pas que le secteur privé ouune compagnie d’assurance puisse s’engager à assurer un pays face aux aléas climatiques. On parle de milliards de dollars. Les poursuites judiciaires pourraient donc être envisageables si on ne trouve pas de solution.

Le Ghana, l’Afrique du Sud et l’Union Africaine ont annoncé qu’ils ne comptaient pas renoncer au charbon, au pétrole et au gaz. Est-ce aux pays développés de montrer l’exemple ?

Alpha Oumar Kaloga : Ces décisions de la part des pays africains relèvent du pragmatisme. Nous sommes responsables de moins de 3% d’émissions globales. Ces émissions sont donc légitimes.

Ce qui reste clair, c’est que les compagnies d’énergie fossile concernées en Afrique sont toutes hébergées dans les pays développés. Ce sont elles qui viennent exploiter les ressources, ce sont donc elles qui doivent prendre leur responsabilités. Cela pourrait commencer par cesser d’envoyer des subventions pour soutenir les énergies fossiles dans les pays développés. Après, on pourra voir dans quelle mesure nous pourrons parler des pays en développement.

La responsabilité est donc commune mais différenciée. Il faut que les pays développés prennent les devants dans ce combat. Donc dire à un pays de renoncer à ses ressources naturelles et ne pas donner de contrepartie ou d’opportunité vers un développement sobre, c’est tout autant paradoxal.

La question énergétique est par ailleurs vitale dans nos pays. Enlever les subventions sur les énergies fossiles peut créer de graves incidences politiques. Notre mode de développement est basé sur les énergies fossiles tout comme celui des pays du Nord l’a été à un moment.

Êtes-vous optimiste sur les mesures concrètes qui pourrait sortir de cette COP ?

Alpha Oumar Kaloga : Oui il le faut. La question technique est plus moins résolue, maintenant c’est aux politiques de suivre et d’affirmer cela à travers des actions concrètes. Nous restons donc optimistes et pragmatiques dans nos prises de décision.

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