Le Golfe, nouvel horizon ou impasse de la culture arabe ?

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Le Golfe, nouvel horizon ou impasse de la culture arabe ?
Le Golfe, nouvel horizon ou impasse de la culture arabe ?

Africa-Press – Burundi. Richissimes et sous-peuplés, les Etats du Golfe se développent à un rythme effréné. Sports, musées, chaînes satellitaires, think tanks et fondations académiques, rien n’est trop coûteux pour ériger leurs rivages en nouveau centre de gravité du monde arabe. Un pari néanmoins loin d’être gagné.

Il paraît si loin le temps où Le Caire passait pour la « Mère de l’univers », Damas pour « le coeur battant de l’arabisme » et Beyrouth pour la « capitale de la culture arabe ». C’était il y a si longtemps !

Le Caire n’est plus qu’une mégapole rampante, livrée à elle-même, à l’anarchie urbaine et à l’arbitraire d’un régime militaro-policier. L’Egypte a eu beau s’offrir un nouveau musée… pharaonique, abriter créateurs, artistes et poètes de talent, elle ne donne plus guère le la.

La capitale de la Syrie n’est plus, elle, le but d’un quelconque chemin de Damas. Enclose sur elle-même, la ville millénaire, première capitale de l’empire arabe sous les Omeyyades, ne tient plus debout qu’avec l’appui résolu et non dénué d’équivoque de Moscou et de Téhéran, sans oublier le coup de pouce du Hezbollah libanais pro-iranien. Laminée par une guerre à la fois civile et internationale, elle gémit toujours sous la chape de plomb d’un pouvoir dictatorial. Pour autant, de salon du livre en forums littéraires, les éditeurs de la ville forcent toujours le respect en présentant aux lecteurs arabophones les meilleures traductions des grands auteurs russes, latins et anglo-saxons.

Beyrouth, capitale de la soit disant « Suisse du Proche-Orient », est désormais et pour un moment le chef-lieu d’un Etat failli, sans un sou vaillant, la monnaie nationale ayant perdu tout crédit. L’ex-ville lumière qui ne reçoit plus de carburant qu’à partir de l’Iran et via la Syrie, n’en a plus assez pour se fournir en courant électrique constant. Il n’empêche, elle n’a rien perdu de sa verve artistique ni de son esprit rebelle, sauf que cet esprit « beyrouthin » ne suscite plus autant d’écho à travers l’aire arabe.

Les lumières du Golfe

Lux Ex Oriente, « La lumière vient de l’Orient », dit l’adage romain. De nos jours, cet Orient d’antan s’est déplacé et vers l’est et vers le sud, jusqu’à la rive ouest du Golfe persique, à l’orient de la Péninsule arabique. Riyad prétend désormais supplanter Le Caire, le cinéma et les cabarets en moins ; Doha détrôner Damas, le contact avec Israël et le Hamas en plus ; Dubaï évincer Beyrouth, grâce au talent de cadres libanais y ayant trouvé asile, travail et fortune.

En effet, il ne s’écoule pas une semaine sans qu’un grand événement artistique, -exposition thématique, biennale, festival de cinéma, salon du livre, forum ou sommet- ne se déroule sur la rive arabe du Golfe persique, à grands renforts d’invités, souvent prestigieux, issus du gotha international, y compris de Hollywood.

Berceau de l’islam, la Péninsule arabe fut très tôt confinée au vénérable statut de « désert saint », au profit de Damas, puis Bagdad, Le Caire, Kairouan, Fez, Grenade et Istanbul, où la foi de Mahomet a pu briller de tout son or. Bien sûr, La Mecque n’en demeura pas moins le pôle de la prière vers laquelle s’oriente chaque mosquée et où doit se rendre en pèlerinage tout croyant bon pied bon oeil. Un horizon spirituel donc, mais nullement une pépinière profane d’écrivains, de peintres, d’artistes ou de cinéastes.

Retour de bâton de pèlerin ou revanche du destin : un millénaire et demi après l’essor de l’islam, le Golfe est le nouvel Eldorado arabo-islamique, grâce, hier, à la foi tombée du ciel, aujourd’hui à l’or noir jaillit du sous-sol. L’ex-Côte des Pirates, soumise aux Britanniques au XIXème siècle, a plus que jamais la cote, depuis que Londres y a levé le camp courant 1971.

La Sorbonne sans Quartier latin

Sur la rive arabe du Golfe persique prospèrent six Etats –Koweït, Bahreïn, Arabie saoudite, Qatar, Oman, Emirats arabes unis, celui-ci regroupant pas moins de sept émirats- ! Le nouveau centre de gravité du monde arabe est ainsi on ne peut plus paradoxal : sous-peuplé et richissime. Pour autant, l’axe Abou Dhabi-Doha-Riyad a détrôné celui qui relia naguère Le Caire-Beyrouth-Damas, trois métropoles historiques, chefs-lieux de nos jours déchus d’Etats désormais hors jeu. Jusqu’à quand ?

Toujours est-il qu’en un demi-siècle, ces Etats jaillis de l’oubli des Arabes et de l’intérêt des « majors » du pétrole étalent un niveau de vie égal sinon supérieur à celui de l’Europe et des Etats-Unis. Dépourvus de patrimoine archéologique comparable à ceux de la vallée du Nil, du Levant et de la Mésopotamie, ils s’efforcent, avec l’ardeur et l’impatience de pays soudain enrichis, d’acquérir art et savoir, et tiennent par-dessus tout à le faire savoir.

La Sorbonne d’Abou DhabiDR D’Abou Dhabi à Doha en passant par Riyad, Koweït-City et Manama, les musées font florès, avec le concours des meilleurs architectes du moment, Jean Nouvel, Zaha Hadid, Leoh Ming Pei.

Abou Dhabi à sa Sorbonne et son musée du Louvre, Doha sa Georgetown, Dubaï et Sharjah leur American University…. Toutefois, l’extérieur futuriste des locaux qui abritent ces prestigieuses institutions, leurs équipements ultra-modernes, à faire pâlir d’envie un étudiant américain ou européen, n’en ploient pas moins, ici ou là, sous le poids d’un esprit rigoriste d’un autre âge. Il n‘y est ainsi point aisé d’enseigner les Lumières, la laïcité, l’approche historiciste des religions…

Des Prix tous azimuts

Beyrouth, Damas et Le Caire ont su et pu donner jour, nonobstant la chape de plomb de régimes militaro-policiers ou la ruine des guerres civiles, de grands esprits, d’éminents artistes et d’intellectuels de renom international, Youcef Chahine, Adonis, Mahmoud Darwish, Elias Khoury, Naguib Mahfouz, Nobel de littérature. Verra-t-on jaillir sur les rives arrosée d’eau dessalée du Golfe autant de cinéastes, de poètes et d’écrivains ? L’avenir le dira.

Des poètes et des écrivains, il en vient et à souhait. De fait, il n’est point une ville qui n’organise, chaque année, un salon international du livre, des rendez-vous littéraires qui portent déjà ombrage à ceux de Beyrouth, du Caire, de Casablanca.

Cela a un prix. Et se traduit par l’essor de Prix, de littérature, d’architecture, de sciences, d’éducation et même de lutte contre la corruption… chaque Etat mettant un point d’honneur à doter le sien d’un prestige optimal. Au prix international du roi Fayçal de Riyad répond le prix bahreïni du roi Hamad pour la Jeunesse, le prix du Koweït pour la Science, le prix qatarien Cheikh Tamin Anticorruption, le prix Cheikh Zayed du Livre, du nom du « père » des Emirats arabes unis.

Le Louvre d’Abou Dhabi.DR Ce dernier prix, le Sheikh Zayed Book Award, décerné le 24 mai 2022, lors de la Foire internationale du Livre d’Abou Dhabi, en direct du Louvre local, a récompensé sept lauréats. Chacun a reçu une médaille d’or, un certificat de mérite et la coquette somme de 193 700 euros. L’année 2022 ayant été marquée par un nombre record de plus de 3 000 candidatures provenant de 55 pays, le jury n’a eu que l’embarras du choix.

La poétesse et romancière Emiratie, Maisoon Saqer a obtenu le prix des Lettres pour son ouvrage consacré au café Riche, un haut lieu mythique du Caire, fondé au début du XXème siècle, inspiré d’un établissement parisien de l’époque.

L’Arabie enfin heureuse ?

Riyad n’a ni Louvre ni Sorbonne mais elle a basculé d’un coup du rigorisme wahhabite le plus strict à un activisme culturel trépidant, voué avant tout à étancher la soif de bouger, de danser, en un mot de vivre au rythme de la planète, à des jeunes jusqu’alors voués à une existence étriquée, tracée au cordeau du berceau au tombeau.

Outre un salon international du Livre en plein essor, des concerts de musique à l’envi et autres festivals du film ou de la mode, elle dispose de centres d’art qui, rompant avec une pesante tradition rigoriste, proposent concerts, films, pièces de théâtre, opéras… Centre du roi Abdelaziz pour la connaissance et la culture, à Dhahran en Arabie saoudite.DR

A l’exemple du King Abdulaziz Center for World Culture, ouvert à Dhahran, une ville jusqu’ici vouée à l’extraction et l’exportation de l’or noir. Soutenu par la compagnie pétrolière d’Etat, Saudi Aramco, il dispose d’un musée, de salles de concerts et de cinéma, de halls d’exposition.

D’aspect aussi insolite que futuriste, le site présente une méga-exposition d’un genre inédit dans ce pays où l’on professe un islam trop souvent plus proche de la lettre que de l’esprit.

Intitulée « Hijra, sur les traces du Prophète », elle s’inspire de l’historiographie classique pour reconstituer, au virage et à l’étape près, l’hégire, la « Migration » de Mahomet depuis La Mecque, sa ville natale, jusqu’à Médine, la première capitale de l’islam. Chargement du lecteur…

L’organisateur n’y fait pas allusion mais l’exposition coïncide avec le 1 400 ème anniversaire de cet « Exode » fondateur, entamé le 16 juillet 622, qui inaugure le calendrier musulman, dit, justement, hégirien. Elle devrait « migrer » à son tour, d’abord à travers le royaume puis les cinq continents. Prochaine étape, Djeddah, cet hiver, où se tiendra, au même moment, le second festival du cinéma, rendez-vous désormais annuel des auteurs et acteurs du grand écran arabe. Hijrah Memory Map, Ayesha Amjad, Londres 2022, Ithra Museum

A priori, le Golfe offre le cadre idéal pour tout créateur, confort matériel, stabilité, moyens financiers quasi illimités, dispositif technique dernier cri. Tout y est, il ne manque plus qu’une étincelle pour illuminer cet imposant dispositif, l’étincelle de la liberté, condition sine qua non pour l’essor de l’art et du savoir, liberté de penser, de créer, de chercher, d’échanger… En y incluant cette liberté, le Golfe pourrait alors se prévaloir de l’antique maxime : Lux Ex Oriente !

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