Africa-Press – CentrAfricaine. Dans leur stratégie de maintien au pouvoir du président Faustin-Archange Touadéra, les mercenaires russes du groupe Wagner avaient initialement cherché à réviser la Constitution de 2016, mais leur manœuvre juridique a créé un piège qui pourrait exclure le président lui-même de toute élection future.
Le pays de Boganda, pays de Zo Kwé Zo vit aujourd’hui un paradoxe constitutionnel d’une rare complexité. Ce qui devait être l’arme juridique parfaite pour écarter les opposants politiques de Faustin-Archange Touadéra s’est transformé en un boomerang susceptible de frapper de plein fouet le président actuel et l’ensemble de la classe politique du pays. Cette situation découle d’une série de manœuvres politiques organisée par les mercenaires russes du groupe Wagner, dont les conséquences juridiques n’avaient manifestement pas été anticipées.
L’histoire de cette dérive constitutionnelle commence par une tentative classique de révision de la Constitution de 2016. Les mercenaires russes, dans leur volonté de pérenniser le pouvoir de Touadéra, avaient d’abord envisagé de modifier le texte existant pour faciliter une réélection. Cette approche se heurtait néanmoins à un obstacle de taille: la Cour constitutionnelle de l’époque, dirigée par la Professeure Danièle Darlan, refusait de cautionner cette démarche. Face à cette résistance institutionnelle, les stratèges du régime ont opté pour une solution radicale: le remplacement pur et simple de la présidente de la Cour constitutionnelle.
Professeure Danièle Darlan a ainsi été limogée et remplacée par son vice-président, Jean-Pierre Waboué, un proche parent du Président Touadera. Ce dernier, soumis à des pressions considérables, a finalement cédé en proposant non plus une révision, mais la rédaction complète d’une nouvelle Constitution. Cette décision marquait un tournant dans la stratégie du pouvoir, qui abandonnait la voie de la modification pour celle de la refondation constitutionnelle totale.
C’est dans l’élaboration de ce nouveau texte que les mercenaires de Wagner ont commis leur erreur fatale. Obsédés par l’idée d’écarter définitivement les principaux opposants de Touadéra de toute compétition électorale future, ils ont inséré dans l’article 10 une disposition particulièrement restrictive. Cette clause exige que tout candidat à la présidence et aux plus hautes fonctions publiques soit de nationalité centrafricaine d’origine. Mais les rédacteurs ne se sont pas contentés de cette formulation générale. Dans un souci de précision qui va se révéler catastrophique, ils ont décidé de définir explicitement dans le texte constitutionnel ce qu’ils entendaient par “nationalité d’origine”.
L’article 10 stipule ainsi que la nationalité centrafricaine d’origine s’obtient exclusivement en étant né de parents eux-mêmes centrafricains d’origine. Cette définition, en apparence logique, cache en réalité une impossibilité mathématique et historique que ses auteurs n’avaient pas perçue. Pour comprendre l’ampleur de cette bévue, il faut remonter aux origines mêmes de l’État centrafricain.
Le territoire qui constitue aujourd’hui la République centrafricaine portait avant 1960 le nom d’Oubangui-Chari et constituait une colonie française. Les habitants de ce territoire possédaient donc la nationalité française, statut qui avait été renforcé et généralisé par la loi Lamine Guèye adoptée en 1946. Cette loi accordait la citoyenneté française à tous les ressortissants des territoires d’outre-mer, ce qui incluait naturellement les habitants de l’Oubangui-Chari.
La République centrafricaine n’a acquis son existence juridique qu’en 1958, dans le cadre de la Communauté française, avant d’accéder à l’indépendance complète le 13 août 1960. C’est seulement à partir de cette date historique que l’on peut légitimement parler de nationalité centrafricaine au sens strict. Avant cette échéance, tous les habitants du territoire étaient juridiquement français, quelle que soit leur origine ethnique ou leur lieu de naissance.
Cette chronologie historique simple crée une impossibilité logique totale pour l’application de l’article 10. Les générations nées avant 1960 étaient de nationalité française et sont devenues centrafricaines par acquisition lors de l’indépendance. Elles ne peuvent donc pas être considérées comme centrafricaines “d’origine” selon la définition stricte retenue par la Constitution. Les enfants nés après l’indépendance sont effectivement centrafricains d’origine par leur naissance, mais leurs parents, nés avant 1960, ne remplissent pas ce critère.
Selon la logique implacable de l’article 10, il faudrait donc attendre l’émergence de la troisième génération post-indépendance pour qu’un citoyen puisse prétendre remplir pleinement les critères d’éligibilité. Autrement dit, seuls les petits-enfants des Centrafricains de 1960 pourraient théoriquement se porter candidats aux plus hautes fonctions de l’État. Cette situation crée un vide juridique total qui frappe l’ensemble de la classe politique actuelle, sans exception.
Le président Touadéra lui-même se trouve pris au piège de cette définition. Né en 1957, il était juridiquement français au moment de sa naissance et n’est devenu centrafricain qu’en 1960, par acquisition de la nouvelle nationalité. Ses parents, nés bien avant l’indépendance, étaient également français. Selon les critères de sa propre Constitution, Touadéra ne peut donc pas se prévaloir de la nationalité centrafricaine d’origine telle qu’elle est définie par l’article 10.
Cette situation concerne également tous les leaders politiques actuels, qu’ils soient de l’opposition ou de la majorité. L’âge moyen de la classe politique centrafricaine fait que la quasi-totalité de ses membres sont nés avant 1960 ou sont enfants de personnes nées avant cette date. Le verrouillage électoral imaginé pour consolider un pouvoir vacillant a donc créé une impasse juridique qui frappe aveuglément tous les acteurs du jeu politique.
Le Conseil constitutionnel se trouve désormais confronté à un casse-tête juridique d’une complexité rare. Il devra soit interpréter l’article 10 de manière à le rendre applicable, au risque de trahir la lettre de la Constitution, soit accepter que personne ne puisse légalement se porter candidat aux prochaines élections présidentielles. Cette situation place l’institution dans une position particulièrement délicate, où toute décision risque d’être contestée.
L’ironie de cette situation dépasse le simple aspect technique. Elle montre une méconnaissance profonde de l’histoire du pays de la part de ceux qui ont conçu cette Constitution. Les mercenaires de Wagner, malgré leur influence politique considérable, ont manifestement négligé les réalités historiques et juridiques locales dans leur empressement à verrouiller le système électoral. Cette négligence transforme aujourd’hui leur arme politique en un poison qui menace de paralyser complètement le système démocratique centrafricain.
La manœuvre politique, conçue dans l’ignorance de l’évolution juridique du pays depuis l’indépendance, montre les dangers des manipulations constitutionnelles improvisées. En voulant exclure les adversaires politiques de Touadéra, ses conseillers ont créé un monstre juridique qui pourrait bien exclure tout le monde, y compris leur protégé. L’article 10 n’est plus un outil de contrôle politique, mais un obstacle majeur au fonctionnement normal des institutions démocratiques.
Source: Corbeau News Centrafrique
Pour plus d’informations et d’analyses sur la CentrAfricaine, suivez Africa-Press